Camille Laberge et une collègue de l’organisme «Au cœur des familles agricoles». Photo © par Daniel Rancourt.

Merci Camille !

Daniel Rancourt, Le Félix, Saint-Félix-de-Kingsey,
novembre 2023

En ville, il y a des travailleurs-euses de rue. Dans nos campagnes, il existe des travailleurs-euses de rang. Un-e travailleur-euse de rang (TR) est un intervenant professionnel (travailleur social, psychologue, psychoéducateur) formé en relation d’aide et connaissant les réalités agricoles.

« Je suis une travailleuse sociale et travailleuse de rang pour la région Centre-du-Québec, mais je suis née dans une famille de producteurs agricoles : j’ai grandi dans le milieu agricole, je sais ce que cela représente », explique Camille Laberge lors d’une entrevue téléphonique.

« Il n’y a pas de portrait typique des problèmes que rencontrent les producteurs agricoles. Il peut s’agir d’anxiété, de stress, de problèmes de communication dans l’entreprise familiale, de difficultés financières, problèmes de dépendances (alcool, drogue, jeux), de violence conjugale, etc. Puis il y a aussi les moments de crise que tous les secteurs de l’agriculture affrontent régulièrement : une année, c’est la production porcine, l’année suivante, la production laitière, une année, la sècheresse, l’année suivante, les pluies abondantes, etc. Arrive un moment où le producteur, la productrice, a besoin d’aide ».

Comment ça fonctionne Les services des travailleurs de rang sont gratuits et flexibles : un numéro de téléphone unique (450 768-6995, option 1) où un-e intervenant-e est disponible du lundi au samedi de 8h à 20h.

« Dans 40 % des cas, ce sont les producteurs eux-mêmes qui ont besoin d’aide qui vont communiquer avec nous. Et dans 60 % des cas, ce sont des proches, des membres de la famille, le conjoint, des intervenants agricoles (par exemple, un vétérinaire, inséminateur, agronome) ou un banquier, qui vont nous signaler quelqu’un qui semble vivre une détresse ou une problématique quelconque. Demander de l’aide demeure toujours et encore un tabou : on a peur d’avoir honte, d’être stigmatisé, et puis, on a appris à se débrouiller tout seul. Selon nos observations, cela commence à changer et les plus jeunes semblent accepter plus facilement de consulter et demander de l’aide », ajoute Camille.

« Ma première tâche consiste à établir un lien de confiance avec le producteur. Je ne force personne à me voir ; c’est un geste volontaire. Il faut prendre le temps d’écouter, laisser parler la personne pour déterminer la problématique et bien saisir les besoins. Je compare souvent mes inter- ventions à rassembler toutes les pièces d’un casse-tête pour ensuite aider la personne à remettre les morceaux à la bonne place. Je ne suis pas là pour dire quoi faire et ensuite il n’y aura plus de problème. Je veux amener les gens à découvrir ce qu’ils veulent vraiment, selon eux et selon leurs besoins. Chacun est expert de lui-même et peut développer leurs propres outils pour cheminer. Moi, je suis là pour proposer un plan d’intervention et voir au suivi, à l’amélioration du processus. Les producteurs agricoles attendent souvent longtemps pour demander de l’aide, mais quand ils le font, ils sont prêts à passer à l’action », continue Camille.

Rappelons que les tâches d’un producteur agricole ont pris une ampleur qu’on ne leur connaissait pas auparavant. Aujourd’hui, un agriculteur doit avoir des connaissances en biologie, en comptabilité, en fiscalité, en informatique, en administration, en environnement, etc. Les situations sont plus complexes avec un lot de nouveaux problèmes.

« Aujourd’hui, la ferme familiale est devenue davantage une entreprise industrielle où les associés sont souvent aussi les membres d’une même famille. Parfois on observe des interactions entre un parent et son enfant dans un contexte professionnel où on intervient en demandant : est-ce que tu parlerais comme ça à ton patron ? À ton employé ? À ta mère ou à ton père ? Est-ce que ces personnes auraient les mêmes interactions si elles n’avaient pas de lien familial ? Est-ce que deux associés se parleraient de cette façon ? Ou un patron envers un employé ? », indique Camille. « Et il y a toute l’aventure de transfert de la ferme. Certains peuvent ressentir de la pression à reprendre la ferme. Mais les enfants d’aujourd’hui n’ont peut-être pas envie de travailler 24 heures sur 24, 365 jours par année. Il faut respecter les décisions des enfants. Ils ont d’autres préoccupations et cela peut entraîner des frustrations chez les parents. On voit aussi du côté des cédants actuels que certains ont mis tous leurs œufs dans le même panier et peuvent se retrouver face au néant quand ils n’ont pas développé d’autres hobbys, d’autres passions… Qu’ils doivent cesser de travailler pour raisons de santé, ou autrement. Il se développe beaucoup d’anxiété… Sans oublier de mentionner qu’au Québec, le taux de suicide des hommes en agriculture est deux fois plus élevé que chez les hommes dans la population générale. Ceux qu’on appelle les néo-ruraux ont aussi besoin de soutien : une fois que le nuage rose s’est estompé, ils s’aperçoivent que le travail avec la nature n’est pas le même qu’en ville. Ils font parfois beaucoup d’investissements sans aucun profit en vue ».

« C’est une passion, l’agriculture. Ceux qui choisissent la production agricole, c’est qu’ils aiment vraiment ça. J’ai grandi sur une ferme et le milieu agricole est comme une grande famille. J’ai beaucoup d’échos de mon travail, de mes interventions pour aider les gens à aller mieux et ainsi contribuer à leur travail. Et ils le remarquent, ils constatent les changements et ils sont reconnaissants et me le disent : Merci Camille! », conclut-elle.