La lutte des étudiants, c’est la lutte de tous et toutes

Pierre Mouterde, Droit de parole, Québec, mars 2012

Les étudiants, ils sont cent-trente-cinq mille à être en grève aujourd’hui dans tout le Québec. Et beaucoup les regardent encore avec un brin d’amusement ou de cynisme, comme s’il ne s’agissait que des excès d’une jeunesse dont il fallait bien s’accommoder des inévitables débordements, fermeture du pont Jacques-Cartier en prime. Après tout, qu’est-ce que 325 $ de plus par année, même pendant 5 ans ? Et quand on se compare à nos plus proches voisins (les États-Unis, l’Ontario), on se trouve malgré tout «pas si pire ». De quoi avoir tout pour se consoler et attendre au plus vite la fin de l’hiver.

Pourtant, qu’on le veuille ou non, cette grève représente quelque chose d’essentiel. En ce début de 2012, la lutte des étudiants, c’est la lutte de tous et toutes. Et le fait qu’elle soit victorieuse ou non pèsera nécessairement lourd dans la suite des événements.

On ne le dira jamais assez : en luttant pour un gel des frais de scolarité, les étudiants font beaucoup plus que défendre leurs propres intérêts d’étudiants, en proie qu’ils sont à l’endettement ou à la discrimination. Ils s’attaquent à une pièce clef d’un plan d’ensemble, un plan qui vise non seulement à démolir l’idée de services publics gratuits, mais encore à faire assumer le coût de ce virage au monde ordinaire, et rien qu’au monde ordinaire.

Le dernier budget Bachand du gouvernement libéral n’en est que l’expression la plus manifeste avec sa taxe-santé régressive, ses hausses de la TVQ et d’électricité, ses cadeaux fiscaux aux grandes entreprises et ses hausses de frais de scolarité… Dans les années 60 et 70, à la faveur de la révolution tranquille, de larges secteurs de la population ont pu avoir accès à de meilleures conditions de vie, grâce notamment à la santé et l’éducation gratuites(ou presque gratuites), au bien-être social, à l’assurance-chômage, au salaire minimum, etc.; des acquis que tous à l’époque ont loués, signe même des progrès que le Québec pouvait connaître.

Et aujourd’hui, alors qu’on est devenu une société bien plus riche qu’il y a 40 ans (tous les experts le reconnaissent !), c’est justement ces meilleurs conditions de vie que l’on s’emploie à détruire : en rognant peu à peu — à la faveur d’une sorte de contre-révolution tranquille — tous ces acquis, les uns à la suite des autres, en s’acharnant au passage à faire de l’éducation une simple marchandise qu’on achète et qu’on vend. Et la tentative n’est pas que québécoise. On la retrouve à l’œuvre aujourd’hui partout dans le monde, avec toujours les mêmes arguments (c’est la crise, nous sommes endettés, ces services nous coutent trop chers, etc.) ; et avec trop souvent ces mêmes acceptations passives de la part des directions des mouvements sociaux traditionnels, gagnées par le défaitisme ou la résignation.

Comme si on ne voyait pas (ou plus), pendant ce temps, de formidables richesses s’accumuler dans les mains d’une toute petite minorité. Comme si le 1% avait réussi à imposer ses propres vues aux 99 autres %. Et qu’il ne valait plus la peine de tenter de relever la tête, ne serait-ce que pour s’en indigner ! C’est là l’intérêt de cette grève, la promesse qu’elle porte en elle : les étudiants, non seulement nous rappellent tout ce que ces mesures ont d’injuste et d’arbitraire, mais encore nous montrent qu’en s’organisant ensemble, en osant descendre dans la rue et faire grève, on peut changer le cours des choses et faire plier un gouvernement. Tout au moins se donner le moyen de le faire.

Encore faut-il que les étudiants reçoivent l’appui et le soutien que leur lutte mérite tant. Saurons-nous être à leurs côtés, partager leur audace et leur détermination et transformer cette fin d’hiver en un printemps festif et victorieux?

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