Jeanne-Marie Rugira, Le Mouton NOIR, Rimouski, mars-avril 2012
Quelques décennies après le rapport Parent, juste au moment où le Québec devrait être en train de fêter fièrement son quarantième anniversaire, près de 100 000 étudiants québécois bravent courageusement le froid et investissent massivement les rues pour manifester contre la hausse des frais de scolarité. Dans l’opinion publique, les discours qui accompagnent cette mobilisation étudiante portent essentiellement sur la question de l’endettement étudiant et sur celle du financement des universités. C’est à croire que l’idéologie libérale nous a collectivement convaincus de la primauté des enjeux économiques sur toute autre considération socioculturelle et politique.
En effet, comme le rappelle si bien le psychosociologue français Vincent de Gaulejac, « l’idéologie dominante de notre temps est l’idéologie gestionnaire ». On le sait bien, la gestion telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui par les multinationales – mais aussi par les grandes institutions internationales comme la Banque mondiale, le FMI, etc. – impose à nos gouvernements et à nos institutions des critères de gouvernance, des formes de pouvoir et des logiques de fonctionnement qui expliquent à mon avis la crise dans laquelle nous sommes aujourd’hui. C’est terrifiant de voir que les politiciens sont totalement contaminés par cette idéologie gestionnaire, ce qui fait qu’ils évaluent la pertinence de leurs actions politiques et prennent la plupart des décisions importantes à partir de critères presque exclusivement économiques, au prix du bien être des personnes, de la santé des collectivités et des institutions.
Dans ce contexte, il me semble que bien plus que leurs aînés, les étudiants québécois sont ceux qui actuellement défendent le mieux les acquis sociaux que nous devons tous à la Révolution tranquille en général et au rapport Parent en particulier. En effet, quoi qu’en pensent ses détracteurs, la grève actuelle me semble être une lutte pour la justice et la solidarité sociale. Elle cherche à sauvegarder le legs de ceux qui ont eu l’audace de créer au Québec une culture, des institutions, des cadres de vie et une pédagogie qui ont révolutionnés non seulement le système d’éducation du Québec, mais aussi toute une civilisation.
Lorsque j’observe les événements actuels, les revendications des étudiants, la position du ministère de l’Éducation qui pousse les établissements à continuer d’offrir la formation malgré les mandats de grève, la posture des syndicats des enseignants qui plaident l’obligation légale des professeurs de se présenter au cours, au risque de banaliser les décisions prises démocratiquement par les étudiants et de favoriser des affrontements entre eux, je crains le recul de la démocratie et de l’idéal de l’éducation pour tous devant une vision du monde pro-capitaliste qui s’impose de plus en plus. C’est à se demander si le Québec veut toujours relever le défi d’offrir à tous et partout, sans aucune discrimination, un enseignement de masse, de bonne qualité et adapté aux besoins diversifiés de tous et chacun. Depuis la commission Parent, le projet éducatif québécois est apparu aux yeux du monde entier comme une véritable révolution copernicienne. Risque-t-il aujourd’hui de laisser ses plumes dans la marée de la pensée unique ?
Au-delà des considérations individuelles concernant l’accessibilité à l’éducation supérieure, soulignons que la grève actuelle nous invite à ne pas perdre de vue la raison d’être du réseau des universités du Québec, spécifiquement des universités situées en région. En effet, comme on peut le lire au paragraphe 12, volume 4 du rapport Parent : « Il est nécessaire que chaque étudiant [quel que soit son origine socio-économique] puisse poursuivre ses études jusqu’au niveau le plus avancé qu’il est capable d’atteindre, compte tenu de ses aptitudes et de ses succès scolaires. »
Pour conclure signalons que l’issue des négociations de l’administration de l’Université du Québec à Rimouski (UQAR) avec l’Association générale des étudiants du campus de Rimouski (AGECAR) quant à la reconnaissance de la grève étudiante est une excellente nouvelle. Après un départ houleux et certaines fausses notes, l’UQAR réaffirme ainsi son souci de participer à la construction d’une société qui donne à tous les chances égales d’accéder à la meilleure éducation possible, et adopte une posture inspirante pour les autres établissements scolaires.