Au cœur du « Plan »

Julie Delvaux, L’Itinéraire, Montréal, le 15 janvier 2012

Mabidi et Mohammed habitent au « Plan ». C'est ainsi que les locataires des Habitations Jeanne-Mance surnomment leur quartier. L'un a débarqué à Montréal à l'âge de neuf ans, l'autre y est né. Des traditions d'ailleurs se mêlent à la réalité québécoise. Le documentaire Le Plan, de la réalisatrice Isabelle Longtin, nous guide dans cet univers multiethnique où cohabitent plus de 70 nationalités différentes.

Originaire de la République démocratique du Congo, Mabidi n'a pas seulement vécu le déracinement culturel. Il a également connu l'abandon à l'âge de neuf ans. « J'étais en train de jouer dans le sable puis là, ma tante est venue avec ma mère et elles m'ont dit : "Demain, tu prends l'avion ; tu pars au Canada." Je ne savais même pas où c'était, le Canada ! » confie-t-il dans le documentaire, le regard dans le vide, en longeant les bâtiments du quartier qui l'ont vu grandir.

Mabidi se retrouve au Plan, chez un oncle inconnu qui le met rapidement à la porte. Obligé de se débrouiller, il prend part au trafic de drogue qui sévit autour de chez lui. Mohammed est quant à lui né à Montréal et vit au Plan depuis l'âge de quatre ans : « Je suis Canadien Québécois d'origine du Bengladesh », dit-il pendant que sa mère, vêtue de voiles colorés, s'anime dans la cuisine. Inscrit à l'Université McGill, il fait des études pour devenir comptable agréé : « Grandir là, ça me pousse à faire de meilleures choses. C'est très important parce que mon père est venu au Canada pour nos études. Alors si on ne fait pas nos études, pourquoi on est ici ? », s'exclame-t-il, près du mur sur lequel sont accrochées sa photo et celles de ses soeurs, diplôme à la main. Son rêve ? Acheter une maison au centre-ville pour s'y installer avec toute sa famille.

« Les Habitations Jeanne-Mance doivent rester un tremplin pour les nouvelles générations ; le but n'est pas qu'elles s'y installent à long terme », insiste Isabelle Longtin. La réalisatrice est sensible aux défis que rencontrent les enfants d'immigrants depuis son intervention comme animatrice dans un HLM au nord de Montréal.

Au Plan, plusieurs organismes communautaires tentent de faire régner l'harmonie en répondant aux besoins des locataires. Mabidi pense encore aux personnes qui l'ont aidé dans sa jeunesse : « J'ai beaucoup appris, je me sens prêt à transmettre ça aux enfants », dit-il, dans le centre de jour du quartier, entouré d'adolescents qui se pressent autour de lui en riant. Les jeunes doivent souvent composer avec la vie montréalaise et une famille encore très attachée à ses traditions. « La nouvelle génération vit une quête identitaire, explique la réalisatrice. Au centre-ville, les enfants grandissent plus vite que les autres ; ils sont confrontés à la drogue, à la prostitution et à la violence. Cela nécessite une surveillance accrue. »

Isabelle Longtin se souvient avec émotion de la première diffusion du Plan, à la Grande Bibliothèque : « C'était un très beau moment, Mabidi était ému aux larmes et très fier, tout comme Mohammed. » Elle pense d'ailleurs que ce visionnement a été un électrochoc pour Mabidi, qui vit aujourd'hui à Trois-Rivières, déterminé à finir son secondaire pour pouvoir intégrer une équipe de basketball. Le documentaire lui a permis de tourner une page et de clore la période de sa vie aux Habitations Jeanne-Mance.

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