Serge Chrétien, une force tranquille

Johanne Fournier, Graffici, Gaspésie, février 2023

SAINTE-ANNE-DES-MONTS | Une petite neige tombe sur les premiers jours de l’année à Sainte-Anne-des-Monts. Dans le bureau de son commerce, Serge Chrétien accueille GRAFFICI avec un malaise évident à l’idée de parler de lui. Pourtant, il y aurait de quoi écrire un livre sur le père biologique et adoptif, le coresponsable d’une famille d’accueil, l’haltérophile, l’entraîneur, le philanthrope et l’homme d’affaires. Rencontre avec celui que l’athlète olympique Maude Charron appelle son mentor.

Dès l’âge de 12 ans, Serge Chrétien devient un athlète. « J’ai eu la piqûre tout de suite pour l’haltérophilie, raconte celui qui est né et a grandi à Matane. Clément Lapierre était mon entraîneur. L’été, personne ne s’entraînait, et je lui faisais ouvrir la salle d’entraînement juste pour moi. »

L’haltérophile

D’une force herculéenne, l’adolescent n’a pourtant pas la silhouette d’une armoire à glace. « J’avais 15 ans. Claude Quenneville, qui animait l’émission Les héros du samedi à Radio-Canada, était surpris que je sois autant élancé. Je pesais 123 livres. Je n’avais pas le physique de l’emploi. Mais, Claude Hardy, qui était un haltérophile, lui avait dit que je gagnerais. J’avais gagné toutes les compétitions. » À 18 ans à peine, il prend la relève de son entraîneur pour accompagner de jeunes haltérophiles aux Jeux du Québec.

En 1999, Serge Chrétien s’inscrit au Championnat canadien des maîtres d’haltérophilie à Belleville en Ontario. « J’avais 40 ans. J’ai gagné la médaille d’or. » Deux ans plus tard, il décroche la médaille de bronze chez les 35 ans et plus aux Championnats panaméricains qui s’étaient tenus à Savannah, en Géorgie, aux États-Unis. « J’ai fait tous les championnats panaméricains jusqu’en 2012. »

De 2002 à 2006, comme « la motivation était très forte », il se mesure aux meilleurs de la planète lors des Championnats du monde des maîtres d’haltérophilie. Après celui de 2002 à Melbourne, en Australie, il revient avec la médaille de bronze. L’année suivante à Savannah, il monte sur la plus haute marche du podium.

En 2004 en Autriche, il arrive sixième. « J’étais malade », précise-t-il. En 2005 à Edmonton, en Alberta, il se classe quatrième. « Mais, il y a un Russe qui s’est fait disqualifier pour dopage. J’ai reçu ma médaille de bronze par la poste. » L’année suivante, lors du championnat tenu en France, il s’empare de la médaille de bronze.

C’est une déchirure du tendon du quadriceps d’un genou survenu lors du Championnat canadien d’haltérophilie de Toronto en 2013 qui force l’homme fort à prendre sa retraite de la compétition. « Je suis resté entraîneur pour essayer de donner la piqûre à d’autres. J’ai formé à peu près 600 jeunes, que ce soit pour les Jeux du Québec ou les championnats du monde junior. »

Serge Chrétien lors de ses derniers Championnats panaméricains à Santo Domingo en 2012, en République dominicaine. Photo : Fournie par Serge Chrétien

Serge Chrétien et Maude Charron, à son retour des Jeux olympiques. Photo : Fournie par Serge Chrétien

La période Maude Charron

Puis, arrive ce que l’entraîneur appelle « la période Maude Charron ». « Maude faisait du CrossFit, relate-t-il d’une voix empreinte d’un mélange de fierté et d’émotion. Pour améliorer ses performances en haltérophilie, elle m’avait contacté parce que j’étais l’entraîneur le plus près. Je me suis rendu à sa salle d’entraînement à Rimouski. Je lui ai demandé de faire des levées. En trois secondes et quart, je me suis dit qu’il y avait quelque chose qui se passait. Elle avait déjà de bonnes charges. Je lui ai demandé si elle pouvait prendre plus. Elle m’a dit oui. »

Pendant un an, il l’accompagne pour améliorer ses performances en CrossFit. « Dans ma tête, c’était une haltérophile. Mais, elle n’y croyait pas. Son but était de faire les CrossFit Games. En 2016, je la convaincs de faire les Championnats canadiens senior d’haltérophilie à Vancouver. Elle gagne facilement la médaille d’or. À la fin de la compétition, je lui dis quelque chose qu’elle ne veut pas entendre. Je lui dis que je peux continuer à l’entraîner pour le CrossFit, mais un peu à reculons parce qu’elle est une haltérophile, pas une fille de CrossFit. Je lui dis que si elle m’écoute, je l’emmènerais aux Olympiques. C’était un rêve, pour elle, d’aller aux Olympiques. Ça a donné ce que ça a donné : elle est devenue championne olympique quelques années plus tard. »

Serge Chrétien a entraîné Maude Charron pendant environ cinq ans. « Elle m’appelle son mentor, souffle-t-il humblement. Moi, j’appelle ça un motivateur. » N’ayant pu assister à ses performances aux Jeux olympiques de 2021 en raison de la pandémie, il se promet d’être là en 2024 à Paris.

Maude Charron n’a pas seulement réalisé son rêve. Elle a aussi accompli celui de Serge Chrétien. « En 2002, quand j’avais des haltères entre les mains, je m’étais dit que, comme je ne pourrais jamais faire les Olympiques, j’allais trouver quelqu’un qui allait gagner aux Olympiques. J’y croyais. Quand elle est montée sur le podium, c’était un grand moment. C’est ma grande victoire. Ce n’est pas tout le monde qui se rend là! »

Le père et le philanthrope

Le résident de Sainte-Anne-des-Monts est un philanthrope. « J’ai toujours voulu redonner à ma communauté et à autrui. » Avec sa femme, Suzanne Barriault, il a accueilli plusieurs dizaines d’enfants pris en charge par la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ). Parmi eux, trois ont été adoptés par le couple, en plus d’un quatrième à l’international. M. Chrétien est aussi le père biologique d’Éric, 43 ans, qui est issu d’une première union. « Je suis grand-père sept fois », indique l’homme de 63 ans qui, avec sa femme, a encore deux enfants de la DPJ sous son aile.

« La première enfant qu’on a accueillie souffrait de paralysie cérébrale. J’ai alors épousé la cause. » Arrivée chez lui à l’âge de 18 mois, elle est demeurée au sein de sa famille d’accueil jusqu’à son décès, à 33 ans. »

Serge Chrétien ne peut arriver à nommer toutes les causes auxquelles il a adhéré. Mais, lorsque sa mère, Germaine Lepage, reçoit un diagnostic de cancer, il imagine un événement caritatif en rassemblant le plus de personnes et de familles possible touchées par cette terrible maladie. En 2010, il organise une vague humaine qui rassemble 7000 personnes et qui déferle sur une distance de cinq kilomètres à Sainte-Anne-des-Monts.

« Ma mère m’avait dit qu’elle ferait la vague, se remémore-t-il, la gorge nouée. Mais, elle est morte avant. J’étais secoué. Je me suis demandé si je serais capable de la faire. J’ai dit à ma mère que j’allais faire la vague ici, mais qu’elle devrait la faire d’en haut. Le temps était sombre avant que la vague commence.

Puis, quand elle a commencé, le ciel s’est ouvert et le temps s’est éclairci. » L’Annemontois réitère l’événement en 2012, auquel prennent part 5500 personnes. Les deux événements permettent alors de verser un total de 68 000 $ à l’Association du cancer de l’Est du Québec.

Serge Chrétien est père, coresponsable d’une famille d’accueil, haltérophile, entraîneur, philanthrope, homme d’affaires et mentor de Maude Charron. Photo : Johanne Fournier

L’entrepreneur

Serge Chrétien a une longue feuille de route dans le commerce de détail. Dès l’âge de 12 ou 13 ans, il tient déjà un « genre de petit dépanneur » dans le solarium de la maison de son voisin. Après deux à trois mois d’études en sciences pures au Cégep de Matane, le jeune homme de 18 ans est impatient de travailler. Il est embauché comme discothécaire dans une discothèque de Matane, puis ensuite comme gérant dans un commerce de vente de disques et de cassettes de La Pocatière. « C’est là que j’ai appris le travail de commerçant. » Après avoir travaillé comme discothécaire à Amqui, il se dirige vers Montréal, où il gravit les différents échelons de la vente dans une maison d’édition.

Après la gérance d’un magasin de disques à Baie-Comeau, il a le goût d’un retour au bercail. Il devient alors représentant sur la route pour Imprimerie Services de Sainte-Anne-des-Monts. Pendant deux ans, simultanément, il est aussi conseiller publicitaire pour la station de radio locale CJMC, où il restera neuf ans au total, faisant même des remplacements occasionnels à l’animation.

En même temps, il est propriétaire d’une disco mobile. « Ça a été ma première entreprise. Le disquaire n’était jamais très loin. C’est là qu’est venu au monde mon magasin de disques, Kompak Son. » Trente ans plus tard, son commerce, devenu la Cité Hi-Tech, a toujours pignon sur rue à Sainte-Anne-des-Monts.

Relation père-fils

Serge Chrétien est issu d’une famille de deux enfants, soit lui et sa soeur cadette Josée. Si l’homme parle avec tendresse de sa relation avec sa mère, le lien avec son père était tout aussi important. « Quand j’étais plus jeune, il était plus absent; il travaillait et écrivait tout le temps. J’étais plus proche de ma mère. »

Georges-Guy Chrétien était rédacteur publicitaire à CKBL, devenu CBGA de Radio-Canada à Matane en 1972. En plus d’écrire pour le Bulletin des agriculteurs, il a, sous son nom de plume Georges-Guy, signé des radios-romans, des recueils de nouvelles, une trentaine de pièces de théâtre et un roman.

Une vingtaine d’années avant le décès de Georges-Guy Chrétien, la relation père-fils devient quasi fusionnelle. « Tous les jours, on allait déjeuner ensemble. L’après-midi, on se retrouvait encore ensemble. Il prenait un thé et moi, un café. C’était mon confident, mon meilleur ami. Il était un homme doux avec tout le monde. Je ne l’ai jamais vu fâché. C’était un père exceptionnel, qui m’a beaucoup inspiré. » Décédé en février 2019 à l’âge de 92 ans, il laisse un vide énorme dans la vie de son fils.

Serge Chrétien et son père Georges-Guy devant le studio 42 de l’ancienne tour de Radio-Canada à Montréal. Photo : Fournie par Serge Chrétien