L’indignant Labeaume

Pierre Mouterde, Droit de parole, Québec, décembre 2011

Au tout début, il avait dit qu'il les comprenait les indignés, qu'il en était lui-même un et qu'il partageait « cette grande critique globale contre la mondialisation ». Mais voilà qu'à peine quelques jours plus tard, il fait brutalement marche arrière, sommant les indignés de Québec « de quitter dans les quelques heures » la place de l'Université du Québec. Il envoie lendemain à 13 heures, une bonne soixantaine de policiers, venus en force non pas… vider la place, mais protéger une poignée d'employés municipaux chargés de déplacer une demi-corde de bois que les indignés s'apprêtaient d'ailleurs à enlever. Prémices, depuis, d'un travail de harcèlement policier permanent qui ne veut pas dire son nom ! À quel jeu joue donc le maire Labeaume ?

En fait, on a là, devant les yeux, l'exemple parfait de ce que peuvent être les petits manoeuvres d'un politicien populiste de droite. Avec clef en main, les principales recettes à suivre en la matière.

 

Première recette :

 

Quand l'occasion s'en présente, il faut toujours vous faire écho – via les médias – des sentiments très personnels que vous partagez avec vos électeurs, en leur faisant voir, et surtout croire, que vous êtes « cool » et de tout coeur avec eux.

Ce qui fait que si des centaines de villes en Amérique du Nord et au Canada accueillent des indignés et que leur action paraît plaire au grand public, eh bien, il faudra faire pareil à Québec, en en rajoutant même : « moi-même, je suis un indigné ! »

 

Deuxième recette :

 

Mais au-delà du discours grand public, il vous faut toujours prêter une oreille attentive au monde des affaires, en lui montrant comment vous êtes d'abord à son service et prêt à vous plier au moindre de ses desiderata.

Alors quand la compagnie Kevlar (un groupe immobilier et de gestion de stationnements de Québec) craignant pour son parking souterrain (situé juste en dessous  campement) et enflammée par les diatribes de quelques radios-poubelles, vous a adressé en tant que maire de Québec une mise en demeure, il vous faudra obtempérer sur le champ, en demandant haut et fort aux indignés de partir. Et vite à part ça, pour montrer ou plutôt donner l'illusion qu'à Québec, le maire a d'la poigne !

 

Troisième recette :

 

Avant, cependant, de passer réellement aux actes, il ne vous faut jamais oublier la rumeur publique ou les sondages et surtout l'image que vous risquez de donner dans les médias.

Alors comme ça risquait vraiment de faire « tache » d'être le premier maire en Amérique du Nord à chasser manu militari des indignés et que la presse d'ici en aurait fait toute une affaire, il vaut mieux effectuer un autre virage à 180 degrés : ne pas chasser immédiatement les indignés, mais plus habilement les harceler, non pas au nom de leurs opinions politiques, mais au nom de pseudo-impératifs très « politiquement corrects » de « sécurité ».

 

Quatrième recette :

 

C'est là le nec plus ultra, pour tenter de rester malgré tout « populaire », il vous faudra apprendre à masquer vos réelles intentions, en les habillant d'un discours très « politiquement correct » qui ne heurtera personne, c'est-à-dire qui se coulera dans des évidences apparemment partagées par tout le monde. Et peu importe à ce moment-là que « vos babines » soient en complet divorce avec « vos bottines » ; ou que l'hypocrisie en soit la matière première. Alors, en faisant solennellement appel à l'expertise technique des pompiers de la ville, vous n'aurez qu'à vous présenter comme le défenseur de la sécurité du campement auquel votre devoir de maire exige de veiller. Ce sera suffisant pour mettre les indignés sur la défensive et leur ôter peu à peu les moyens de continuer leur occupation (abris, chauffage, électricité, etc.). Mais saris jamais paraître aller à l'encontre de leurs idées, bien au contraire, puisque vous prétendez les protéger de possibles dangers et attendez seulement le moment propice pour en finir en douceur avec eux.

 

De quoi paraître comme un maire au-dessus de tout soupçon !

 

Mais ce double jeu permanent fait tout à la fois d'obséquiosité médiatique et de servilisme vis-à-vis les grands de ce monde, n'est-ce pas justement ce dont tant de citoyens de la planète ont assez, ce qui permet à ce 1 % de la population de gouverner à si bon compte les 99 autres ? N'est-ce pas d'abord cela le message des indignés : oser enfin dire non à l'indignant comportement de nos élites politiques et économiques ?

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