Lise Millette, L’Indice bohémien, Abitibi-Témiscamingue, Décembre 2022,
J’ai été habitée par cette réflexion du cinéaste Pierre Perrault qui, dans ses films documentaires faisant partie du « cycle abitibien », a présenté la réalité d’un territoire pour qui on avait sonné le glas. C’était au début des années 1970, alors que le gouvernement de Robert Bourassa développait la baie James. Véritable « plan Nord » avant l’heure, le développement hydroélectrique faisait entrer le Québec dans sa modernité.
Au même moment, le gouvernement avait recensé des territoires où « la colonisation » ne livrait pas les résultats escomptés. Il coûtait cher, peut-on lire dans les débats de l’Assemblée nationale, d’entretenir ces chemins de colonisation, « pour si peu » pouvait-on comprendre en sous-texte. On a ainsi déterminé que des communautés étaient non viables et devaient, en quelque sorte, être abandonnées.
D’un côté, la conquête de la grande baie et de son énergie; de l’autre, la finalité annoncée après des décennies à avoir sué la terre de la hache et des muscles.
Piqué dans les fondements de son existence, dans la source de ses espoirs, Hauris Lalancette, colon de Rochebaucourt, a refusé l’exil et s’est ancré, encore plus profondément, dans les sillons de son pays à lui.
Revisiter les films de Pierre Perrault constitue une leçon d’une histoire pourtant pas si lointaine. L’Abitibi-Témiscamingue demeure une région jeune, où certaines collectivités n’ont pas encore atteint leur 100e anniversaire ou viennent à peine de le marquer. C’est dire que de mémoire de génération, plusieurs peuvent encore dire avoir travaillé à rendre l’enracinement possible de citoyennes et citoyens venus de partout, des villes du sud comme des pays étrangers. L’Abitibi-Témiscamingue est une terre d’adoption pour les personnes qui décident d’y planter les pieds.
Notre région est aussi un lieu de fuite, l’endroit refuge où trouver une forme de paix. Elle a été la promesse d’un avenir pour les générations futures, un abri pour celles et ceux qui ont fui la crise économique des années 1930, mais aussi la sécurité pour des vagues d’immigration qui ont suivi les guerres ou les conflits – et on le revit encore maintenant avec ces gens venus de Syrie ou d’Ukraine tout récemment. Ce fut aussi, pour moi, le retour délibéré vers les racines pour ne pas vieillir sur du béton dans une métropole qui m’étouffait et où les îlots de verdure sont emprisonnés entre les tours de bureaux et les bouchons de circulation.
Le conteur, Pierre Labrèche, écrit dans un de ses contes : « Quand il a fait l’Abitibi, le bon Dieu a vu qu’il avait fait un pays dur, alors il a décidé d’y envoyer des gens qui avaient la tête encore plus dure ».
Il est vrai qu’il faut une dose de résignation pour s’établir en pays d’hiver, avec l’impression d’être loin pour tout le reste de la province et d’avoir le sentiment de sombrer dans l’oubli des priorités dictées ailleurs…
Et pourtant! Pourtant, on vit bien chez nous! Le temps pèse moins quand on se laisse le prendre, qu’on apprécie les mois d’été, pour les savourer comme des délices éphémères, et qu’on se coule l’hiver au chaud ou dans ses plaisirs généreux pour celles et ceux qui n’ont pas froid aux yeux.
Vouloir rêver, ce n’est pas de faire contre mauvaise fortune bon cœur ou se contenter passivement de ce que l’on a. Au contraire, il faut relever ses manches et se laisser animer par la force de croire. Croire en sa région, croire en ses gens et en la fierté de savoir sa différence et sa capacité de résister, sans avoir rien à prouver.
Peut-être qu’elle réside là, la différence, dans l’ultime conviction d’exister et non dans le besoin de tout démontrer pour le prouver. Le faire, tout simplement.