Mariannick Mercure, La Gazette de la Mauricie, Trois-Rivières, février 2022
Les conseillers municipaux de la ville de Trois-Rivières siégeaient récemment pour la première fois sur leurs nouveaux comités. C’est qu’une réforme, adoptée en décembre dernier, est venue complètement réorganiser ces lieux de travail qui permettent aux élus de débattre en amont des décisions pour co-construire une vision commune entre les membres, élus et citoyens, invités, fonctionnaires et experts de diverses organisations partenaires de la ville. Les comités de travail sont en fait des lieux de concertation où le pouvoir est partagé entre tous ces acteurs.
Présentée comme permettant une plus grande transversalité, peu d’éléments expliquant concrètement les changements amenés dans cette réforme ont toutefois été énoncés, mais en questionnant des élus sur le sujet, on comprend que les impacts sont majeurs pour la gouvernance de la ville.
Une réduction des temps de débats
Un des changements concrets apportés consiste en la réduction de la durée des comités de travail. Certains passeraient, par exemple, de six heures à deux heures et demie de discussions mensuelles, une diminution de près de 60 %. Rien pour rassurer certains élus qui se sentent parfois « coincés » dans le temps…
Ce temps retranché ne le sera toutefois pas pour tout le monde : il serait plutôt transféré vers les fonctionnaires, qui discuteraient des sujets en amont puis amèneraient des scénarios décisionnels aux élus. Il y a certainement un risque sérieux ici de retirer les conseillers de la prise de décision en amont : il est fréquent que la vision de départ ne soit pas partagée entre les fonctionnaires et les élus. Sauf que c’est bien là le véritable rôle des politiciens, de dégager une vision collective issue des préoccupations citoyennes. Cette vision devrait ensuite être portée jusqu’aux fonctionnaires, et non l’inverse.
Un transfert du pouvoir vers le comité exécutif
Des comités complets seraient aussi abolis, comme celui qui traite des ressources humaines et des communications de la ville, dont les responsabilités seraient transférées au comité exécutif (C.E.), un comité qui, comme son nom l’indique, ne vise pas tellement à établir une vision autant qu’à l’exécuter. Aussi, contrairement aux autres comités de travail dont les membres sont nommés par l’ensemble du conseil, la loi prévoit que c’est le maire seul qui choisit et nomme les membres du C.E. Exit les citoyens et les experts externes : c’est un comité où le pouvoir se concentre entre les mains d’une minorité sur laquelle le premier magistrat a énormément de pouvoir et de contrôle…
On parlerait aussi de transférer des débats jugés trop « chauds » politiquement vers l’exécutif. Ce serait possiblement par exemple le cas du projet des rues conviviales dont le sort serait discuté au C.E., mais qui avant cette réforme, aurait été évaluée par les élus, les citoyens et les experts en sécurité routière présents sur le comité de mobilité durable.
Une autre source de pouvoir importante que l’exécutif semble vouloir s’arroger est celle du contrôle de l’agenda : les ordres du jour des différents comités, qui étaient traditionnellement co-construits entre tous les élus, devraient désormais passer par le C.E., qui détiendrait ultimement le pouvoir de dire aux élus ce dont ils peuvent discuter… ou pas.
Si toutes ces nouvelles manières de faire sont réellement retenues par le conseil, on pourrait bien s’enligner sur une tempête parfaite en 2022, puisqu’en fin de compte, ce sont bel et bien les 15 élus qui siègent autour de la table qui ont légalement le dernier mot. S’ils ne sont pas d’accord avec les décisions du C.E, ils pourront les « défaire » à leur guise en séance du conseil. S’ils veulent discuter de sujets « prohibés » par le C.E, ils auront le loisir de le faire dans des lieux de discussion informels, en dehors de l’hôtel de ville, comme ça se faisait jusqu’en 2018 avant le départ du maire Lévesque.
Outre la volonté d’améliorer la transversalité, cette réforme reflète aussi probablement le besoin de certains élus de réduire leur charge de travail. Sauf qu’ils pourraient se retrouver ainsi à abdiquer, en quelque sorte, une partie de leur pouvoir au profit des fonctionnaires, mais aussi à plus forte raison au profit du maire et de son cabinet, lui-même en étroite relation avec la fonction publique, et responsable de sélectionner les membres du comité exécutif. Un effet de centralisation des pouvoirs pourrait donc se produire.
À chacun ses réformes !
Les réformes de gouvernance sont courantes suite à une élection. À Sherbrooke, on annonçait récemment le même type de démarche de réorganisation des comités dans l’optique d’améliorer la transversalité. Fait intéressant, les changements proposés sont à l’opposé de ceux de Trois-Rivières : la nouvelle mairesse, qui publiait récemment un ouvrage sur la gouvernance, propose plutôt de donner un rôle plus important aux conseillers au sein des comités thématiques, pour ensuite fournir des réflexions plus avancées au comité exécutif.
Elle propose aussi de tenir les comités de travail en public et de les diffuser sur internet. Voilà certainement des moyens concrets d’améliorer la gouvernance, la transparence et la compréhension citoyenne du processus décisionnel, et en fin de compte, la démocratie locale.