Jocelyne Aird-Bélanger, Ski-se-Dit, Val-David, novembre 2021
Au cœur de sa vie Michèle Campeau est la petite dernière d’une grande famille installée à Val-David depuis plus de cent ans. Avec ses 4 sœurs et 3 frères, elle a vécu une enfance bourdonnante d’activités au bord du lac aménagé face à la maison familiale par son père Roger Campeau. Sa mère, Simone, qui a enseigné sans interruption pendant 51 ans, fut un jour mutée à l’école du rang 1 de Val-David. Elle y rencontra Roger, se maria et fonda sa famille tout en continuant à faire la classe au village et en s’occupant, l’été, du camping de l’Épinette bleue, qui leur appartenait, le long du lac. Tous ses enfants participaient à cette entreprise, ce qui leur donna l’occasion de rencontrer beaucoup de villégiateurs et de jeunes de leur âge venus de Montréal ou d’ailleurs. La maison familiale ayant été vendue aux Cavezzali, qui en firent l’Auberge du Vieux Foyer, la famille déménagea dans la nouvelle maison bleue au bord de l’eau, un bungalow bâti par M. Campeau, charpentier doué mais également, ébéniste et luthier autodidacte de talent.
C’était l’époque où la jeunesse rurale devenait de plus en plus urbaine, où les chansonniers affluaient à La Butte à Mathieu, où les jeunes partaient, sac au dos, voyager un peu partout, de la Californie au Canada tout entier. Michèle n’échappa pas à cet appel du large et quitta très tôt sa famille et l’école. Elle occupa alors divers petits boulots et emplois précaires pour gagner sa vie. N’empêche qu’elle trouva aussi le temps d’avoir une famille et deux enfants avec son conjoint Gaëtan Monette, lui aussi de Val-David. Après le départ des parents de Michèle, ils s’installèrent à leur tour dans la petite maison bleue.
Au cœur de son art
Grâce à un programme éducatif particulier, elle retourna aux études et put accumuler les crédits qui lui ouvrirent les portes du cégep, concentration Arts plastiques. Après ces tours et détours, toujours appuyée et soutenue par son conjoint Gaëtan, c’est à l’UQAM que Michèle se dirigea pour s’inscrire au bac en arts plastiques, qu’elle obtint en 1991. Membre de l’Atelier de l’île depuis 1986, elle a pu continuer ici même à se perfectionner et à acquérir l’expérience nécessaire pour devenir imprimeure d’art.
Une vingtaine d’artistes ont successivement eu recours à ses services pour imprimer leurs œuvres, tels Armand Vaillancourt, François Vincent, Bonnie Baxter ou Ann Mc Call, entre autres. Tous savaient qu’ils pouvaient compter sur sa rigueur, sa patience, son sens des responsabilités et son amour du travail bien fait. Elle a aussi donné plusieurs stages en estampe, en plus de travailler comme technicienne d’atelier et de siéger pendant neuf ans au conseil d’administration de l’Atelier de l’île, dont elle assura la présidence pendant un an. De 2008 à 2021, non seulement a-telle imprimé les œuvres de René Derouin, mais elle a travaillé pour lui comme assistante d’atelier pour certains de ses projets majeurs dont « Autour de mon jardin », l’imposante murale en bois gravé qui ceinture le marché Metro de Val-David, ou encore le « Mur des Rapaces », maintenant exposé en permanence au Mexique.
En même temps, Michèle continuait à chercher et à découvrir des pistes pour exprimer ses propres champs d’intérêt. Son travail personnel est empreint de la présence constante de la nature. On y retrouve une profusion d’éléments naturels inspirés des jeux de la lumière sur l’eau ou de la texture chatoyante des écorces d’arbres. Imprégnées d’une harmonie continue et souvent d’une grande agitation organique, ses œuvres invitent à découvrir la poésie secrète de la forêt, son refuge et son lieu privilégié de ressourcement. Selon elle, la gravure est parfaitement adaptée à sa méthode de travail où recherche technique et recherche de signification vont de pair.
De retour à la maison bleue au bord du lac
Après de nombreux déménagements de Sainte-Agathe jusqu’en Floride et des voyages avec des membres de l’Atelier de l’île ou encore en Europe avec son conjoint et ami Gaëtan, Michèle est revenue l’an dernier, une troisième fois et pour de bon, à cette maison si pleine de souvenirs au bord du lac Campeau. Elle réintègre ainsi Val-David pour vivre et travailler avec d’autres artistes ou dans son atelier, heureuse de revivre là où elle habita avec ses parents et nombreux frères et sœurs, là où elle éleva elle-même ses enfants il y a plus de vingt ans. Plus sûre d’elle et plus sereine, Michèle s’apprête à créer d’autres gravures, de nouveaux livres d’artiste ou des œuvres encore inconnues, comme si la petite maison bleue avait de tout temps attendu son retour…