Vincent Di Candido, Échos Montréal, septembre 2021
Dernièrement, le Bureau d’enquête du journal de Montréal a présenté un dossier assez édifiant sur la voracité de certains spéculateurs immobiliers. Plusieurs ont ainsi tiré avantage de la naïveté désolante de la Ville de Montréal pour acheter quantité de condos et ensuite profiter de leurs revente pour s’en mettre plein les poches sans tenir compte des ententes préalables qui stipulaient un quota à respecter d’unités en location pour les personnes à faible revenu, ainsi qu’un plafond tarifaire inhérent à la revente potentielle, surtout dans ce contexte de rareté des logements que la métropole connaît depuis deux ans.
La stratégie est simple et connue, ces compagnies et promoteurs immobiliers, qui disposent de ressources budgétaires considérables et d’un pouvoir d’achat évidemment plus fort que les acheteurs individuels, court-circuitent les particuliers et font la razzia en achetant en bloc quantité d’inscriptions immobilières dès qu’elles arrivent sur le marché, pour ensuite les revendre à méga-profit, ou encore les louer à des tarifs indécents et prohibitifs.
Le hic, c’est que comme le souligne très justement le fondateur de Développement McGill Stéphane Côté, ce n’est pas le rôle du promoteur, et encore moins celui des courtiers immobiliers, qui n’ont absolument rien à se reprocher dans l’histoire. Au contraire, les courtiers immobiliers ne font que leur travail de manière professionnelle et efficace, s’assurant d’obtenir le meilleur prix de vente / achat pour leurs clients acheteurs / vendeurs. Ce n’est pas à eux de servir de garde-fou et de faire de la surveillance dans ce domaine. Ce que monsieur Côté semble cependant sciemment oublier, c’est que normalement les compagnies et conglomérats immobiliers ont certaines ententes à respecter, notamment en ce qui a trait à l’accessibilité au logement, et spécifiquement, entre autres, pour la disponibilité de logements abordables pour les familles à plus faible revenu.
Par exemple, sa propre compagnie Développement McGill / TGTA avait à fournir 48 unités à prix abordables dans le nouveau quartier de Griffintown, sur un excellent terrain idéalement situé et qui leur avait été vendu pour 6 millions $ par le Fédéral. Mais il s’avère que le promoteur a déjà vendu 1/3 de ses lots à des investisseurs chinois, sans aucune considération de réservation à des familles à faible revenu. Lui-même avoue d’ailleurs candidement avoir acheté 3 unités pour ses enfants. La courtière immobilière Miro Wu, qui a effectué la transaction mentionne sur ce sujet qu’il n’y a pas spécifiquement d’écrit à cet effet (logements abordables) dans le contrat et dans le cadre de ce qu’on appelle pompeusement à la Ville de Montréal « Stratégie d’inclusion pour une métropole mixte » …
D’autres promoteurs comme Idevco Fabre, ayant comme actionnaire Sylvie Duff, conjointe du vice-président Alain Richer, et qui s’étaient engagés auprès de l’arrondissement Rosemont à offrir 4 unités à prix abordables, a vendu une de ces unités, payée au tarif-plancher avantageux selon le seuil établi par la Ville de Montréal, à 280 000 $, pour le revendre à peine quelques mois plus tard à 480 000 $, une augmentation faramineuse de plus de 70 % ! Encore une fois, rien d’illégal, mais disons qu’on est quand même pas mal loin de l’esprit social des objectifs initiaux.
Parmi les autres exemples d’aberrations relatées par le Journal de Montréal, notons le projet Westbury, à Côte-des-Neiges, qui doit théoriquement consacrer au moins 87 unités à des logements à prix abordables. Or, on remarque que « plusieurs des logements vendus en 2020 à prix avantageux et abordables ont déjà été mis en sous-location pour plus de 1000 $ par mois, dont un logement, quand même relativement petit à 500 pc, qui a été mis en location à 1300 $ par mois. Les propriétaires dans ce cas de figure sont des investisseurs chinois qui habitent Chengdu, en Chine, et ils ont par ailleurs bénéficié d’un rabais du promoteur, ayant eu la chance d’acheter plusieurs de ces unités à prix d’aubaine, ce qui ne les empêche de les revendre ou de les sous-louer à des prix qui n’ont rien d’abordables.
On pourrait dans la même veine parler du beau-frère de l’ex-dictateur du Tchad, et qui, via son entreprise d’« investissements » établie au Canada, a pu effectuer des achats massifs en immobilier à Montréal, dont notamment une dizaine de condos dans la tour Exalto. Trois de ceux-ci devraient normalement être offerts à prix abordables, mais on peut déjà en retrouver un, disposant d’un simple lit mural, et qui est annoncé à quelque 1250 $ par mois.
Devant tous ces constats navrants, le responsable de l’Habitation dans l’administration de Valérie Plante, Robert Beaudry, qualifie ces situations d’« épouvantables », tout en déplorant du même souffle son impuissance à faire respecter les ententes discutées. Certes, il argue qu’une révision de la stratégie d’inclusion devrait à court terme amener un meilleur contrôle et que la valeur à être ajoutée devrait théoriquement être limitée à 3 % selon les nouvelles règles révisées.
On peut cependant douter de l’efficacité municipale à ce sujet, d’autant qu’il avoue en corollaire que les anciennes ententes seront intégralement respectées même si les promoteurs ne respectent pas leurs responsabilités officieuses de logements abordables, et ce afin de ne pas risquer de compromettre les nombreux projets immobiliers en cours. De même, il est douteux que la potentielle pénalité imposable, qui se chiffre à seulement 10 000 $ pour les contrevenants à l’entente, soit si dissuasive que cela même si appliquée, quand on réalise à quel point elle ne signifie pas grand-chose en regard à l’ampleur réelle des budgets inhérents à ces transactions.
Au final, on comprend mieux pourquoi les prix de beaucoup de loyers sont devenus incontrôlables à Montréal. On ne doit dès lors pas s’étonner de la mise en garde et des reproches à peine voilés adressés par la Ministre provinciale Andrée Laforest et le Gouvernement, qui indiquent sans équivoque que c’est à la Ville de Montréal d’instaurer un meilleur contrôle et de consacrer certains de ses 28 000 employés à faire un suivi plus adéquat, d’autant plus que Québec injecte des fonds énormes, soit environ 1,5 G (milliards) de dollars précisément pour des logements abordables… qui n’ont réellement d’abordables que la prétention.