Michael-Henri Lambert, La Vie d’Ici, Shipshaw, juin 2021
La salle de bain doit vraiment être nettoyée. Vous êtes décidé(e), les germes doivent vraiment disparaitre. Un bon coup de balayeuse puis de moppe et c’est déjà pas mal mieux. Mais maintenant vous faîtes face à un dilemme : nettoyer le bol de toilette, opération désagréable s’il en est une ou… cogner à la porte du voisin pour passer l’aspirateur et la vadrouille! Pensez-y objectivement, vous pourrez enlever plus de saletés chez le voisin qu’en vous attaquant à votre toilette, ce sera moins d’efforts et plus rapide. Si votre objectif est simplement de nettoyer, c’est à côté que ça se passe.
L’idée vous semble sûrement saugrenue. Pourtant, c’est l’argument servi pas plus tard qu’à la mi-mai aux contribuables Québécois par Hydro-Québec. Exporter notre hydroélectricité pour aider nos voisins à diminuer leurs émissions de dioxyde de carbone (et les finances de la province du même coup) sans toutefois avoir de plan concret pour rendre le Québec plus vert.
Dans le détail, c’est un projet majeur de la société d’état qui vise à fournir le cinquième des besoins énergétiques de la ville de New York, ce qui pourrait rapporter dans les 10 milliards à Hydro-Québec et qui équivaudrait à retirer plus de 40% des voitures en circulation dans la grosse pomme.
Cela m’emmène à cette question difficile dont vous excuserez la formulation crue: faut-il vraiment torcher les autres?
N’en déplaise aux incrédules, le verbe torcher se retrouve bel et bien dans le respectable Larousse, verbe transitif d’un niveau plutôt familier tiré du nom torchon, voir torchis selon les sources.
Soyons clair un instant, je m’attaque ici à l’argument plutôt qu’au projet en soi. La province est-elle à ce point avancée dans la lutte aux changements climatiques que nos efforts doivent être consacrés à évangéliser les voisins. Un genre de Neil Flanders nord-américain…
Le Québec est parmi les meilleurs exemples dans le monde qui démontre qu’il ne suffit pas de produire une électricité propre pour faire disparaitre ses émissions de gaz à effet de serre.
Le secteur des transports est responsable à lui seul de plus de 40% des émissions de gaz à effet. Tout comme 1 + 1 = 2, la logique voudrait que le gouvernement québécois, Hydro-Québec et la société civile travaillent activement à électrifier la totalité des transports.
Un objectif qui demande probablement de mettre en place des incitatifs financiers, revoir en profondeur les règlements municipaux d’urbanisme et revoir nos habitudes de consommation.
À cela s’ajoute le fait que l’augmentation de la production hydroélectrique d’Hydro-Québec se traduit par la construction d’ouvrages massifs, que ce soit des barrages ou des parcs éoliens. Et bien que le plus récent projet Apuiat près de Port-Cartier ait reçu la bénédiction des Innus, n’en demeure pas moins que c’est un vaste territoire qui sera bouleversé.
Pas dans ma cour? Un peu, mais pas que! La lutte aux changements climatiques est un défi mondial pour lequel le Québec pourrait commencer dès aujourd’hui à chercher une solution exportable.
Que faire pour aller plus loin lorsque la production électrique est déjà propre? Nettoyer le bol de toilette finalement..
C’est sur ce point qu’Hydro-Québec devra se pencher pour sortir l’argument écologiste. Maintenant, est-ce que le Québec peut y travailler tout en alimentant les lumières de Times Square? Assurément! À condition de ne pas harnacher une autre rivière.