Par Anne-Marie Brunelle, Centre d’études sur les médias
Depuis la crise financière de 2008, le secteur des médias d’information au Québec — comme ailleurs — a connu d’importants bouleversements provoqués par une crise du modèle d’affaires : la perte des revenus publicitaires, notamment causée par l’accaparement des revenus publicitaires par les plateformes socionumériques (GAFAM) et, enfin, par des transformations importantes dans les façons de s’informer dans la population québécoise.
On dénombre au Québec des médias communautaires sur toutes les plateformes (presse écrite, radio, télévision et web). Ils présentent des réalités différentes selon leur support principal et ne sont pas à l’abri des effets de la crise économique qui touche la presse d’information. En effet, comme l’ensemble des médias d’information, les médias communautaires font face aux difficultés occasionnées par la baisse des ventes de publicité dans les médias traditionnels, les nouvelles façons de s’informer de la population et les défis d’une adaptation permanente aux changements technologiques et au numérique.
Ils font par ailleurs face à des défis particuliers, dont celui du renouvellement des équipes de bénévoles, de l’animation des membres, du recrutement et de la rétention des salariés et d’une notoriété relativement faible auprès du « grand public ».
Nous dresserons dans un premier temps un portrait général de la situation récente des médias privés et communautaires aux prises avec les effets de cette crise, en nous concentrant sur les médias qui produisent de l’information locale et régionale.
La presse écrite communautaire
Les journaux privés ont connu une modification importante de la structure de propriété des médias écrits à partir de 2014 avec le rachat des journaux hebdomadaires de Québecor par Transcontinental. Trois ans plus tard, Transcontinental annonce à son tour son intention de quitter le secteur des médias d’information locaux et de vendre l’ensemble de ses hebdomadaires. Ces transactions, qui s’échelonnent de 2017 à 2018, provoquent un mouvement de « dé-concentration » de la propriété des hebdos et la constitution de nouveaux groupes de presse de plus petite envergure. Chez les médias d’information privés, la crise s’est traduite par un nombre important de fermetures, particulièrement dans la presse écrite et plus particulièrement encore dans le secteur des journaux hebdomadaires.
Le secteur des journaux communautaires a été éprouvé par la fermeture de 10 journaux parmi les membres de l’Association des médias écrits communautaires du Québec (AMECQ) au cours de la dernière décennie (Brin et Brunelle, 2019). Ces fermetures ont notamment été causées par des difficultés financières, dont une incapacité à augmenter la part de revenus autonomes, des programmes d’aide publique insuffisants et la difficulté de recruter des bénévoles.
L’Association des médias écrits communautaires au Québec (AMECQ), fondée en 1980, compte 80 journaux membres dont les sources de revenus se répartissent, à des proportions très variables d’un journal à l’autre, entre les revenus autonomes (ventes publicitaires, collectes de fonds et cotisations des membres) et des aides publiques au fonctionnement et à la réalisation de projets spécifiques. La très grande majorité de ces journaux est publiée mensuellement et leur tirage varie de quelques centaines à plus de 4000. Différentes modalités existent pour assurer leur distribution : insertion dans un sac publicitaire, distribution par Postes Canada ou par des présentoirs dans des endroits publics. Notons enfin que les journaux communautaires membres de l’AMECQ sont gratuits, que certains journaux ont plus de 40 ans, alors que d’autres ont été lancés au cours des dernières années.
Définir l’information locale
Nous pouvons constater qu’au premier chef, les citoyennes et citoyens évoquent des problèmes quotidiens, des nouvelles qui concernent la municipalité et ses services, etc. Selon nos répondants, les sources de cette information locale sont aussi diversifiées, à commencer par les services des communications des municipalités ou des réseaux socionumériques comme Facebook, où les citoyens diffusent eux-mêmes des informations et des opinions. En effet, comme le rappelle Giroux (2017), les médias n’ont plus le monopole de la diffusion d’information destinée aux citoyennes et citoyens.
Le monopole du monde journalistique et des médias sur la cueillette, le traitement et la diffusion de l’information destinée au public a fait son temps. Citoyens, élus, institutions, entreprises, organisations et groupes d’intérêt n’ont plus à s’en remettre aux professionnels des médias pour atteindre le grand public. Ils peuvent maintenant livrer leur message directement, sans intermédiaire. D’ailleurs, une partie des contenus qu’on trouve dans les médias d’information est constituée de témoignages, rapports, analyses et points de vue issus de ces témoins et acteurs qui composent la société. Il ne fait aucun doute que nous sommes entrés depuis un certain temps dans une autre époque qui exige une définition plus englobante de l’information. (Giroux, 2017 : 10)
Dans ce contexte et devant une abondance de nouvelles diffusées par des sources de plus en plus nombreuses, comment définir ce que nous entendons par « information locale » ? Nous proposons, dans un premier temps, d’identifier quelques caractéristiques de cette information.
On peut penser, par exemple, que cette information est d’intérêt public, c’est-à-dire qu’elle peut être définie comme « l’information générale et politique, qui représente en quelque sorte le cœur du journalisme d’information traditionnel » (Charron et de Bonville, 2004 . Cette information dispose de caractéristiques spécifiques, car elle est dotée d’une mission sociale qui consiste à diffuser des nouvelles, et à proposer des éléments de compréhension et une pluralité d’opinions qui alimentent à leur tour les débats sociaux et la vitalité démocratique d’une communauté.
Dans ces travaux récents sur les médias d’information et la démocratie, le Forum des politiques publiques parle du « journalisme axé sur la fonction civique » : « la couverture des élus et des institutions publiques telles que les parlements, les organes judiciaires et quasi judiciaires, les hôtels de ville, les conseils scolaires et les services publics de soutien ; les questions et les débats relatifs à ces agents et organes ; et la capacité des collectivités de se découvrir à des fins civiques » (FPP, 2017, p. 9).
Cette question pourrait amplement justifier un plus long travail de définition, mais aux fins de ce rapport, nous proposons d’adopter la proposition développée par Giroux (2017), une proposition qu’il estime mieux adaptée à la nouvelle réalité : « l’information désigne les comptes rendus, analyses, commentaires et débats portant sur un évènement, un sujet ou un enjeu actuel et qui sont accessibles au grand public. » Ajoutons ici, évidemment, que ces sujets et enjeux, dans le cas de l’information locale, doivent être de portée locale ou régionale.
Dans ses critères pour reconnaître ou non un média communautaire, le ministère de la Culture et des Communications du Québec utilise des paramètres semblables pour définir l’information locale et régionale.
Cette information comprend les nouvelles, les informations sur les sujets reflétant la vie politique, sociale, culturelle et économique de la collectivité desservie par le média, les informations sur les services à la collectivité, le temps d’antenne ou l’espace rédactionnel réservé aux organismes du milieu, la captation des assemblées du conseil municipal […]» (MCC : En ligne)
Il est envisageable cependant de prendre aussi en compte une autre dimension qui est très importante notamment dans le cas des médias communautaires : celle de permettre l’accès aux médias pour les individus et les groupes communautaires, à l’expression et la participation citoyenne aux débats publics et enfin, de permettre une meilleure cohésion sociale, car les citoyennes et les citoyens « se voient, se lisent et s’entendent» à travers les médias communautaires.
Le paradoxe de la gratuité de l’information locale
L’information locale est actuellement largement gratuite au Québec. Dans son portrait sectoriel de 2017, le Centre d’études sur les médias écrit que ce mode de distribution domine par exemple le secteur des journaux hebdomadaires « tant en nombre de titres (90 %), sans compter les titres qui ne sont offerts qu’en ligne, que de la part des exemplaires totaux publiés (99 %). » L’organisme ajoute : « Ce qui est devenu la règle était pourtant l’exception en 1960 alors que seulement 23 % des journaux hebdomadaires optaient pour la gratuité. » (CEM 2017 : 1)
Au moment de l’annonce de la mise en vente de leurs journaux hebdomadaires, les dirigeants de Transcontinental indiquent vouloir « procéder à une décentralisation du modèle d’affaires en transférant entre autres la gestion ainsi que les responsabilités du marketing à des éditeurs locaux » (La Presse, 2017 : En ligne). Ils ajoutent : « Nous allons demeurer l’imprimeur et le distributeur de ces journaux par l’entremise du Publisac. C’est probablement le modèle le plus adéquat afin d’assurer la pérennité de la presse hebdomadaire. » (La Presse, 2017 : En ligne) L’entreprise souhaite ainsi se départir de l’essentiel des coûts liés à la production de l’information locale (soit les investissements dans la rédaction et dans le marketing) tout en continuant à générer et à conserver les revenus liés à l’impression et la distribution des journaux. Ainsi résumée, cette position constitue une illustration éloquente des difficultés des journaux locaux qui ne trouvent plus les ressources financières pour financer leurs dépenses pour l’information.
Il faut bien noter, toutefois, que cette réalité touche l’ensemble des médias, tant privés que communautaires, qui produisent de l’information locale au Québec. En effet, le modèle d’affaires traditionnel des médias — en presse écrite, à la radio et à la télévision — s’appuie principalement sur des revenus publicitaires qui généreront des profits et permettront d’assurer l’embauche de journalistes et la production d’information. Or, les recherches des dernières années confirment une baisse généralisée des ventes publicitaires dans les médias d’information, tous supports confondus. (dont, FFP, 2017; Giroux, 2017).
La part importante, et toujours grandissante, du Web et particulièrement des plateformes socionumériques comme principale source d’information pour les citoyens accentue le phénomène de la gratuité de l’information et ses effets sur la production d’information locale.
Une enquête menée à l’hiver 2016 conjointement par le Reuters Institute for the Study of Journalism à l’Université d’Oxford et le Centre d’études sur les médias indique que 8 répondants sur 10 utilisent en effet un ordinateur, un téléphone ou une tablette pour s’informer au cours d’une semaine type. Le ratio grimpe à 9 sur 10 chez les moins de 35 ans. (Giroux, 2017 : 8)
Ces chiffres remontent à 2016, mais rien n’indique que cette tendance a été ralentie ou modifiée depuis. Ainsi, les citoyens acceptent volontiers de payer pour s’abonner à Internet, acheter des appareils et des applications, ils n’envisagent toutefois pas de payer pour l’information.
Par ailleurs, et c’est là le paradoxe, les enquêtes révèlent que l’information locale et régionale est la rubrique qui intéresse le plus les personnes qui consomment de l’information. Et cet intérêt ne faiblit pas dans le temps. Les données de l’étude longitudinale menée par le CEM sur les habitudes de consommation des Québécois (CEM, 2013) indiquent que les nouvelles sur l’actualité locale et régionale suscitent le plus grand intérêt des citoyens, et ce, pour toutes les années étudiées (2007, 2009, 2011 et 2013).
Comment les citoyens consultent l’information locale
Les habitudes de consultation de l’information locale des citoyennes et des citoyens ont fait l’objet de nombre de recherches au fil des ans. Menées par différentes organisations selon qu’elles répondent à des impératifs de mise en marché ou de recherches universitaires, elles confirment une tendance forte de migration de ces habitudes sur le Net et les appareils mobiles.
Il nous semble important toutefois de noter que, malgré l’attrait manifeste pour les supports numériques, « s’informer sur un support traditionnel a encore beaucoup d’adeptes : 86 % des internautes québécois les utilisent en parallèle. L’information télévisée en rejoint 8 sur 10, pendant que les versions imprimées des quotidiens en intéressent le tiers seulement. » (Giroux, 2017 : 9) Une frontière générationnelle se dessinerait quand on analyse ces pratiques et les parts occupées par les médias numériques et les médias traditionnels : « (…) le numérique est identifié comme étant la principale source d’information par plus de la moitié des moins de 35 ans, alors que les médias traditionnels (la télévision au premier chef) l’emportent encore chez les trois quarts de leurs aînés. Giroux, 2017 : 9)
Des données plus récentes confirment toujours cette tendance. Selon l’enquête menée en ligne auprès de 2055 répondants francophones et anglophones en 2019, publiée par le Digital News Report :
- 44 % des répondants identifient la télévision (bulletins ou chaînes de nouvelles) comme principale source d’information ;
- 24 % des répondants identifient les sites Web ou des applications de nouvelles comme principale source d’information ;
- La radio et la presse écrite occupent respectivement 6 % des réponses ;
- Par contre, dans le segment des répondants de 18 à 24 ans, 73 % répondants consultent les nouvelles en ligne et près de la moitié des répondants (49 %) identifient les médias sociaux comme leur source d’information principale.
Outre le support privilégié pour s’informer localement, il est intéressant de voir se dessiner des préférences relatives aux formats préférés pour l’information en ligne. Toujours selon l’enquête menée en 2019, près du tiers des répondants, 32 %, privilégient l’écrit pour s’informer plutôt que la vidéo; alors que 15 % disent consulter les nouvelles tant sous une forme écrite qu’en format vidéo.
En ce qui concerne plus précisément l’information locale, il semble toutefois que les plateformes socionumériques occupent un espace de plus en plus important, une situation qui peut s’expliquer entre autres par la centralisation des médias d’information autour des villes centres, surtout dans le secteur de la télévision. Lors des groupes de discussion tenus en 2017 à Rimouski, à Sherbrooke et à Brossard, « la majorité des mentions de moyens utilisés pour s’informer sur les enjeux locaux n’est pas liée aux médias traditionnels : en effet, 42 % des mentions se rapportent à des discussions avec les pairs ou à une expérience personnelle » (Brin et Brunelle, 2019 : 49).
L’information locale dans les médias écrits communautaires
Un des principaux critères pour qu’un média communautaire soit admissible à une aide publique du gouvernement québécois est de produire et diffuser de l’information locale. À des degrés divers, selon les moyens financiers et les ressources humaines en place, ces médias remplissent cette mission d’information de proximité.
Les journaux communautaires contribuent aussi à la diffusion d’une information locale diversifiée. On peut penser cependant que leur rythme de publication (pour la plupart des mensuels ou des bimestriels) influence le type et le traitement de l’information locale qui pourra prendre plusieurs formes rédactionnelles : « C’est une entrevue avec un artiste local, les activités des organismes communautaires du milieu ou encore les activités parascolaires de l’école primaire ou secondaire qui sont rapportées dans les pages de ces médias (AMECQ, 2019 : 3). Étant donné que les journaux sont très différents entre eux, nous pouvons ajouter que certains journaux, qui disposent de plus de moyens, vont aussi proposer des enquêtes, des éditoriaux et des articles de fond sur des enjeux locaux et régionaux.