Paulette Vanier, Le Saint-Armand, L’Armandie, 0ctobre-novembre 2020
Après ses études aux Beaux-Arts et une année à étudier la gravure, Nancy Retallack occupera quelques emplois précaires avant d’être embauchée par la désormais défunte base militaire de Saint-Hubert pour y enseigner l’art aux enfants, tous niveaux scolaires confondus. Éprouvant toutefois une impression d’inachevé, elle s’inscrira au programme de pédagogie de l’art à l’université Concordia et fera du style artistique chez les enfants le sujet de sa thèse de doctorat. « On n’avait jamais étudié ça auparavant, explique-t-elle. On ne connaissait que les trois stades dits graphiques – le gribouillage, le schématisme et le postschématisme – faciles à identifier et qui sont associés au dessin. Mais les enfants font beaucoup plus que du dessin. Ils font aussi du modelage, du collage. Il y a toute une partie du développement artistique qui consiste en un contact sensoriel avec la matière. » Dans le cadre de son doctorat, elle suivra un groupe d’enfants durant cinq ans et prendra alors la mesure de la richesse et de l’importance de leurs capacités artistiques.
Enseigner l’art d’enseigner l’art
Par la suite, elle consacrera trente ans de son existence à initier les futurs enseignants inscrits à la formation des maîtres de l’Université de Montréal à l’enseignement de l’art. Nous sommes à l’époque où cette formation, autrefois confiée aux religieuses dans les Écoles normales, passait aux mains des universités. En quête de professeurs dûment patentés et ouverts aux nouvelles idées, les autorités de l’université demandent à la jeune professeure qu’elle est déjà à Concordia de se joindre à leur équipe.
« Ce fut une période magnifique, confie-t-elle. À la quatrième année de la formation des maîtres, les étudiants pouvaient choisir le projet pédagogique de leur choix et tous optaient pour les arts. D’où le fait qu’on soit venu me chercher pour cause de manque de prof. Durant cette époque formidable, la création multidisciplinaire était à l’honneur : musique, marionnettes, théâtre, arts visuels, danse, toutes les disciplines s’entrelaçaient harmonieusement. »
Pendant toutes ces années où elle occupera un petit bureau au 5e étage de la vénérable institution, sa principale préoccupation sera d’apprendre aux futurs enseignants à libérer l’art, et son enseignement, de l’héritage des religieux, pour qui collage, bricolage et dextérité fine en constituaient l’essentiel et qui ne laissaient guère de place à la création. À faire la différence entre art et bricolage. Non pas qu’elle méprise ce dernier, simplement « que les enfants possèdent en eux tout ce qu’il faut de créativité pour produire de l’art authentique, personnel, intuitif et que cela ne se résume pas à découper et à colorier. » Ce qu’elle laisse entendre en filigrane, sans s’en indigner outre mesure, c’est que la majorité, sinon tous les futurs enseignants ignorent à peu près tout de l’art, n’y ayant jamais été initiés eux-mêmes et qu’il n’est donc pas étonnant que leurs connaissances soient limitées dans ce domaine. D’où le fait qu’elle aura souvent recours aux masques, costumes, marionnettes et autres « artifices » dans le but d’aider ses étudiants à renouer avec leurs jeunes années, à parachever « une enfance incomplète », dit-elle, une enfance privée d’art.
Nancy Retallack-Lambert : un regard critique sur le marché de l’art au Québec
Ou plutôt sur son absence. Autre constat douloureux pour cette artiste qui a participé à un nombre impressionnant d’expositions en solo ou à plusieurs, de biennales, de triennales et j’en passe : « On ne peut pas vivre de son art au Québec », les exceptions confirmant la règle en quelque sorte. Bien sûr, les Riopelle se vendent bien, de même que les œuvres de quelques autres géants, mais pour l’artiste peu connu ou inconnu, les chances de se faire une place sont minimes. Peut le confirmer son fils, galeriste de son état. À quoi attribuer cette situation ? Selon l’artiste, au fait que la classe moyenne n’investit pas dans l’art. Elle ne blâme pas, mais constate. Tant que la classe moyenne n’investira pas, le marché restera inexistant. On pourrait discuter longtemps des raisons profondes de cette désaffection de la population envers les arts visuels, alors que la musique, l’humour, le cinéma et les téléséries ont le vent dans les voiles. Est-ce un effet rebond de cette absence dans les écoles dont il a été question précédemment ? Est-ce parce que les arts visuels sont moins accessibles que les autres formes artistiques ? Est-ce parce que, dans l’esprit de la plupart des gens, l’art est un investissement réservé aux plus riches qui s’enrichiront davantage quand ils revendront les œuvres ou c’est quelque chose qui a sa place dans les musées, pas dans les maisons ?
« Tu ne dois jamais te dire, conclue celle qui affirme sans ambages que l’art, c’est sa vie, que tu vas gagner ta vie avec ton art. Il faut juste que tu trouves d’autres manières de la gagner. »
Au moment où je m’apprête à partir, elle me confie, presque en catimini tellement le rêve est grand mais l’espoir, mince, qu’un de ses grands souhaits serait de mettre sur pied, avec d’autres artistes et artisans, un lieu culturel du genre galerie/boutique/café où les clients, amateurs d’art et curieux seraient accueillis dans un décor propice à faire découvrir et aimer l’art, et à en discuter, voire à le critiquer au besoin. Un lieu où les yeux se décillent et où l’esprit s’ouvre à l’enchantement.
L’art rend meilleur
Les propos de Nancy Retallack-Lambert sur l’enseignement de l’art résonnent avec plus d’acuité encore à la lecture de cet énoncé publié sur le site de Réseau réussite Montréal* :
Les élèves qui participent à des activités artistiques ont plus de chances de réussir : ils ont de meilleurs résultats scolaires, sont moins susceptibles de décrocher et deviennent des citoyens plus engagés.
*Organisme regroupant 33 partenaires régionaux de tous les milieux qui désirent contribuer à la persévérance et à la réussite scolaires des jeunes