Ahuntsic-Cartierville n’échappe pas au phénomène des « rénovictions »

Simon Van Vliet, Journaldesvoisins.com, Ahuntsic-Cartierville, le 9 octobre 2020

L’histoire d’un immeuble de la rue Lachapelle, déclaré impropre à l’habitation à la suite d’un incendie survenu en avril dernier, est révélatrice de l’émergence d’une tendance inquiétante pour les locataires dans Ahuntsic-Cartierville.

À l’instar de plusieurs comités logement des quartiers centraux, le Comité logement Ahunstic-Cartierville (CLAC) constate que les atteintes au droit au maintien dans les lieux des locataires se multiplient depuis quelque temps.

 

Une tendance marquée dans Cartierville

C’est le cas en particulier dans la zone Laurentien-Grenet, autour de la nouvelle station du REM, dans Cartierville.

« Le phénomène des rénovictions on le voyait, on le voit sur le terrain », affirme Karina Montambeault, organisatrice communautaire au CLAC. « On l’a vu pour d’autres blocs dans ce secteur-là. »

Elle explique que plusieurs immeubles comme celui du 11985, rue Lachapelle sont des  blocs d’appartements vétustes, où les logements nécessitent des rénovations importantes et où les loyers sont souvent inférieurs au prix du marché.

Or, plutôt que de recourir à la procédure légale qui permet d’obtenir l’évacuation temporaire des locataires pour apporter des améliorations ou faire des réparations majeures dans les logements, certains propriétaires cherchent plutôt à pousser les locataires à résilier leur bail parfois en échange d’un montant d’argent.

 

Des stratagèmes pour se débarrasser des locataires

« C’est des stratégies que les propriétaires utilisent pour vider leurs blocs, rénover les logements, puis les relouer beaucoup plus cher », explique l’organisatrice communautaire.

Dans le cas de la rue Lachapelle, elle indique que, quelques semaines après un incendie, le propriétaire a offert aux locataires de mettre fin à leurs baux. Dans un autre dossier dont le CLAC a eu connaissance, le propriétaire a envoyé à ses locataires des avis de non-renouvellement de bail en raison de travaux majeurs de rénovation à venir.

« C’est illégal, sauf que les gens, ils ne savent pas tout le temps leurs droits », observe Karina Montambeault.

Relogés à l’hôtel depuis sept mois, en attendant de pouvoir réintégrer leur logement, certains locataires du 11985 rue Lachapelle ont accepté de résilier leur bail. Certains logements auraient ainsi été loués de nouveau entre 100 $ et 150 $ plus cher par mois, selon le CLAC.

 

« C’est une guerre d’usure pour que les locataires quittent, puis qu’après ça, il puisse faire ce qu’il veut de son bloc », analyse Karina Montambeault. « Déjà, en soi, la pandémie, c’est pas facile pour personne, mais imaginez si vous êtes pognés pour vivre dans une chambre d’hôtel pendant la pandémie », dit-elle.

Des pouvoirs limités à l’arrondissement

L’arrondissement d’Ahuntsic-Cartierville dit suivre le dossier de près depuis le début.

« On a vu assez rapidement que le propriétaire n’était pas tout feu, tout flamme pour faire les travaux », indique la mairesse d’arrondissement, Émilie Thuillier.

Elle assure avoir utilisé les pouvoirs dont dispose l’arrondissement pour forcer le propriétaire à effectuer les travaux qui s’imposaient pour rendre l’édifice à nouveau sécuritaire, soit le remplacement du système électrique, ainsi que l’installation d’une alarme incendie et d’un mur pare-feu.

La mairesse précise que 17 inspections ont été réalisées et que plusieurs constats d’infraction ont été donnés, mais concède que cela ne semble pas très efficace pour accélérer le retour des locataires dans leurs logements.

« On a des pouvoirs qui sont assez restreints au niveau de la municipalité pour encadrer ces travaux-là », reconnait Émilie Thuillier qui assure qu’elle et son administration ont « utilisé tous les pouvoirs qui nous sont dévolus ».

Le CLAC déplore que l’arrondissement ne soit pas en mesure de protéger davantage le parc locatif.

« Il y a des moyens qu’on peut se donner pour un meilleur cadre bâti », insiste Karina Montambeault qui appelle à « repenser comment on règlemente le parc de logements locatifs ».

Elle suggère par exemple de dédier un inspecteur au suivi du parc de logements pour réaliser des interventions en amont et assurer une application plus stricte du règlement sur l’entretien et la salubrité des immeubles.

« Les élus nous disent : “on n’a pas le pouvoir d’agir” », signale Karina Montambeault. « Vous ne l’avez pas, mais vous pouvez vous le donner ! » lance-t-elle en soulignant que plusieurs arrondissements ont adopté des règlements pour encadrer plus strictement les transformations d’immeubles à logement.

 

Quel avenir pour le 11985, rue Lachapelle ?

Il n’est pas clair quelles sont les intentions du propriétaire de l’immeuble de la rue Lachapelle, Construction Longpré, qu’il a été impossible à joindre.

Selon l’arrondissement, aucune demande de démolition ni aucune demande de permis de transformation n’a été déposée par le propriétaire.

« Nous, on n’a jamais réussi à lui parler à ce propriétaire-là, jamais, jamais », dit Karina Montambeault.

L’entreprise est la propriété d’Aldo Construction qui a réalisé de nombreux projets immobiliers dans la région montréalaise, dont notamment plusieurs développements de condos sur la rue Lachappelle.

« Lui, dans le fond, une fois que les locataires sont évincés, il n’est pas pressé de refaire ses travaux pour qu’ils retournent [dans leurs logements]. II va les rénover, puis il va les louer vraiment plus cher », prédit Karina Montambeault.

Mais chose certaine, plusieurs locataires ont plus intérêt à endurer leur séjour prolongé à l’hôtel qu’à quitter leur logement.

« Ils savent qu’il y a une pénurie de logements. Ils ne veulent pas quitter leur logement, parce qu’ils savent qu’ils ne seront pas capable de se reloger à ce prix-là, explique l’organisatrice communautaire. Il y a beaucoup de locataires qui sont à faibles et modestes revenus. Déménager, c’est compliqué pour eux autres. Il y a un sentiment d’appartenance au quartier aussi. »