Mon quartier manque d’amour

Sophie Lavoie, Droit de parole, Québec, juin-juillet 2020

J’habite Saint-Sauveur depuis deux ans déjà. J’adore mon quartier. J’aime me promener dans Saint-Malo et y découvrir des bâtiments dignes d’une autre époque. J’aime circuler dans le large quadrilatère que forment les rues Saint-Luc, Napoléon ou des Oblats. À tous les coups, j’y rencontre des gens souriants, des citoyens qui s’organisent et qui verdissent notre quartier, faute d’investissement de la part de la Ville. Saint-Sauveur, c’est du monde original, impliqué, et organisé. Ce sont des citoyens colorés.

Pour beaucoup, les marginaux de la ville sont ici, dans la cité de Limoilou et le long de la rivière Saint-Charles. Pour moi, ces marginaux forment la richesse de Saint-Sauveur.  Des  gens  qu’on  peut  aborder  facilement,  qui  ont  des  histoires  à  raconter et de la couleur à mettre dans l’atmosphère, pour oublier l’asphalte grise et bétonnée qui recouvre une trop grande partie de mon quartier.

La rue Saint-Vallier me charme un peu plus à tous les jours. J’ai l’impression de toujours y découvrir une nouvelle fenêtre ancestrale, une tourelle de brique jaune que je n’avais pas vue ou un nouveau passant sympathique à qui demander comment ça va. C’est petit Saint-Sauveur. Le trafic de la rue Saint-Vallier vient briser cette tranquillité bienveillante que nous tâchons de cultiver dans notre quartier.

Saint-Vallier est une rue de transit, une autoroute résidentielle à deux voies où les automobilistes transpercent à toute allure le zigzag singulier de Saint-Vallier. Des automobilistes qui n’habitent souvent même pas dans le quartier, mais qui veulent faire un lien rapide pour rejoindre le boulevard Charest en évitant les feux rouges.

Les trottoirs ne sont pas larges sur Saint-Vallier, et leurs infrastructures ont déjà atteint leur limite. Les familles qui passent avec leurs carrosses de bébé, les ainés se baladent et les cyclistes qui doivent composer avec les nombreux nids-de-poule, un 2 mètres de distance à respecter.

Je n’aborde même pas le sujet du très cool et branché nouveau complexe Saint-Sô, qui bloque une large parcelle de trottoir depuis plus d’un an : j’aurais besoin d’un autre article pour en parler. De toute manière, les piétons de Saint-Sauveur sont habitués à traverser Saint-Vallier à tout moment, n’importe où, pour des raisons aussi épatantes que des 4 ½ à 1200 piastres.

Comme plusieurs routes qui composent nos villes, Saint-Vallier est malheureusement une cicatrice qui rend Saint-Sauveur dangereux. Qui empêche mon quartier d’être à la hauteur de ce qu’il est. Un endroit rassembleur, festif et convivial. Où les parents ne devraient pas être inquiets de laisser leurs enfants jouer dehors après le souper et où aller rejoindre un ami dans Saint-Roch à l’heure de pointe à vélo ne devrait pas non plus être une aventure périlleuse.

L’automne dernier, je me suis rendue aux consultations publiques sur la sécurité routière que la Ville de Québec organisait. J’en suis sortie franchement heureuse en me disant que nos conseillers municipaux avaient enfin compris l’urgence de rendre nos quartiers plus sécuritaires. Je constate plusieurs mois plus tard que la rue Saint-Vallier est toujours ce qu’elle est. Dis-moi, Ville de Québec, tes consultations n’étaient-elles que pour te donner bonne conscience ?

La pandémie n’est pas une excuse, au contraire. Elle aurait dû sonner les cloches de l’Équipe Labaume. Nul doute que si l’administration de la Ville  avait le pied aussi lourd que les automobilistes qui traversent nos quartiers, Québec serait aujourd’hui une ville digne du XXIe siècle. En attendant, consolons-nous avec une petite partie piétonne les samedis et dimanches après-midi seulement. Mieux que rien, vous me dites ? Bien sûr.