À l’écoute de la détresse en milieu communautaire

Josée Panet-Raymond, L’Itinéraire express, Montréal, le 12 juin 2020

La pandémie qui perdure depuis trois mois aura eu un impact psychologique sur beaucoup de travailleurs, notamment ceux et celles du secteur communautaire et de l’économie sociale. Un nouveau service d’écoute et de référence, la ligne LÉO, a récemment été implanté pour répondre spécifiquement à leurs besoins.

Et ces besoins sont criants, informe Odette Trépanier, directrice générale du CSMO-ÉSAC (Comité sectoriel de main d’œuvre de l’économie sociale et de l’action communautaire), qui est responsable de la mise sur pied de la ligne LÉO.

Elle cite en exemple une étude de l’Université Laval qui dévoile que plus de 50 % des travailleurs québécois affirment souffrir de détresse psychologique depuis le début de la pandémie. L’enquête publiée le 5 juin dernier révèle que si 56 % de femmes et 41 % d’hommes disent éprouver un niveau de détresse psychologique élevé, ce niveau est encore plus important chez les travailleurs des secteurs de la santé et des services sociaux et les employés qui œuvrent auprès du public.

« Quand on a questionné nos partenaires du réseau communautaire pour savoir s’ils avaient tous les outils nécessaires pour répondre aux besoins des employés, des gestionnaires, des gens qui ont perdu leur emploi et des bénévoles, dit-elle, la réponse variait d’une région à l’autre, mais une chose est certaine, c’est que ça débordait de partout ! »  Mme Trépanier souligne que, bien qu’il existe déjà plusieurs lignes d’écoute comme Tel-Aînés, Suicide Action, LigneParents, l’idée n’était pas de les concurrencer, mais plutôt d’apporter un autre type de soutien.

« Ce service d’aide téléphonique est destiné tant aux travailleurs de première ligne et des services adaptés que des groupes communautaires, comme L’Itinéraire, ainsi que des groupes en santé et en service sociaux, des préposés d’aide à domicile, des gens peu reconnus, mais qui sont sur la ligne de front, dit-elle. On pense aussi aux gens en télétravail et les personnes qui n’ont plus de travail. »

 

Dispensé par un organisme d’expérience

Pour implanter le projet, élaboré avec plusieurs partenaires, le CSMO-ÉSAC s’est tourné vers ALPABEM, l’Association lavalloise de parents et amis pour le bien-être mental.

L’organisme qui détient une expertise en divers troubles de santé mentale dispense déjà ses services auprès d’organismes communautaires et d’entreprises et a formé les intervenants qui répondent aux travailleurs en détresse.

Pierre Machabée, le directeur général d’ALPABEM explique que la crise actuelle a un effet déstabilisant chez les personnes qui travaillent dans le milieu communautaire et de l’économie sociale. « Je dirais que les problèmes les plus courants sont chez les gens en télétravail, notamment les familles qui vivent du stress, de l’anxiété et de la fatigue, indique-t-il. Ce n’est pas évident de gérer tout cela !

Personnellement, chez nous, par exemple, il y a trois shifts; on a chacun notre travail en plus des enfants avec leurs profs et l’école en ligne. C’est la réalité de beaucoup de gens. »

La nouvelle ligne ayant été mise en service au moment de l’entrevue, l’équipe était en place pour recevoir ses premiers appels.

 

Aider les aidants

Les intervenants sont formés par ALPABEM pour répondre à des enjeux tant personnels que professionnels dans plusieurs domaines, qu’il s’agisse de perte d’emploi, de conflits avec des collègues ou patrons, de retraite, de harcèlement ou de surcharge de travail. Des problèmes de couple aussi (séparation, violence conjugale, conflits) de même que les dépendances (alcool, drogue, jeu, internet, etc.). On parle également de problèmes juridiques (garde d’enfants, criminel, procédure civile, etc.) De ceux liés aux finances (dettes, faillites). Et enfin, les problèmes de santé mentale (estime, deuil, sexualité) et de santé physique (blessures, douleurs chronique, troubles alimentaires.

M. Machabée précise par ailleurs que le service offert par la ligne LÉO n’est pas une thérapie, mais est plutôt conçue pour accompagner les gens. « Nous, on aide les gens qui aident les gens, dit-il. On permet à la personne de dégonfler sa baloune, de ventiler, de parler en toute transparence. On lui dit que c’est correct de pleurer, d’être fâché. »

Lorsque les personnes en détresse nécessitent un suivi, les intervenants n’hésitent pas à les référer vers des ressources en fonction de leurs besoins, comme de l’aide psychologique abordable à l’intérieur du réseau ou autres ressources en santé et services sociaux.

 

Absence d’assurances et de soins

« Le communautaire et l’économie sociale, c’est 34 sous-secteurs, regroupant 320 000 travailleuses et travailleurs », indique Odette Trépanier du CAMO-ÉSAC. Elle souligne aussi qu’un peu moins de la moitié de ces travailleurs (41 %) n’ont aucune assurance collective leur offrant des soins de santé, tels des psychologues ou autres thérapeutes en santé mentale.