Roger Lafrance, Journal Mobiles, Saint-Hyacinthe, le 31 mars 2020
Vicky Beaudoin est travailleuse de rang. Diplômée en travail social, elle intervient auprès des producteurs agricoles qui vivent différentes formes de détresse.
Elle œuvre depuis deux ans à l’organisme Au cœur des familles agricoles, surtout connue pour sa maison de répit pour les producteurs à Saint-Hyacinthe. Le territoire dont elle s’occupe est immense: celui de la Montérégie au complet.
Il faut le dire: le métier d’agriculteur n’est pas toujours facile. La tâche est lourde, les journées sont longues, la météo souvent capricieuse et les problèmes financiers jamais bien loin. Par exemple, la pénurie de gaz naturel de l’automne dernier a causé bien des maux de tête pour le séchage du maïs et le chauffage des bâtiments. Le stress fait partie du quotidien des producteurs.
«On dit souvent que les agriculteurs sont isolés, affirme-t-elle. Ce n’est pas si vrai. Souvent, ils se connaissent tous. Le monde agricole est une communauté de producteurs qui sont interreliés.»
Par contre, ce qui complique la vie des producteurs, c’est qu’ils vivent sur les lieux mêmes de leur travail, aux côtés des membres de leur famille, de leur conjoint et de leurs employés. Leur travail accapare toute leur vie. Or, les agriculteurs vivent aussi les mêmes problèmes que les citadins: problèmes de couple, de santé mentale, conflits interpersonnels et dépendances, entre autres.
«Contrairement à la plupart des gens, la ferme est au cœur de leur vie, auquel s’ajoute la sphère familiale et sociale, puis la sphère financière et après, quand il y en a, les loisirs et encore plus loin les vacances. Le travail est imbriqué dans toutes les sphères de la vie des agriculteurs.»
Lorsqu’elle entre au bureau le matin, il n’est pas rare qu’elle ait sur sa boîte vocale et sa messagerie plusieurs appels laissés par des producteurs qui ne savent plus vers qui se tourner. Elle les rappelle immédiatement car ces messages sont souvent des appels à l’aide qui exigent une réponse immédiate.
Souvent, c’est un proche qui s’inquiète. Préserver la confidentialité est toujours important. Si son appel au producteur n’est pas toujours bien reçu, pour plusieurs ce sera l’occasion de s’ouvrir sur sa situation alors qu’il n’aurait jamais demandé de l’aide.
Après une première intervention au téléphone, Vicky Beaudoin se rend ensuite sur place pour rencontrer l’agriculteur, souvent dans un lieu neutre, mais parfois aussi à la ferme. Elle se rappelle avoir rencontré un producteur sur sa moissonneuse car la récolte ne pouvait être retardée!
Sa capacité d’adaptation alors une qualité essentielle dans son travail. «Dans une même journée, je peux rencontrer une personne victime d’abus de ses proches, un producteur qui fait face à une séparation, à la dépression ou à une réorientation de carrière, ou encore qui vit un conflit dans son couple.»
Venant elle-même du milieu agricole, Vicky Beaudoin connaît bien la réalité des producteurs et sait dans quel contexte ils peuvent vivre, ce qui facilite les échanges.
Une partie de son travail consiste aussi à faire connaître ses services. Elle part souvent à la rencontre des agriculteurs lors de certaines de leurs activités ou dans les écoles. Elle rêve du jour où elle fera «la ronne de lait», c’est-à-dire parcourir les rangs à la rencontre des producteurs, mais le temps lui manque. Elle a aussi élaboré une conférence sur le gestion du stress et déjà organisé des réunions de groupe pour favoriser les échanges entre producteurs.
«Il m’arrive parfois qu’un producteur me rappelle pour me dire à quel point mon appel a été important pour lui: Sans toi, je ne serais pas là aujourd’hui à te parler. C’est un peu ma paie.»