Pierre Landry

On a marché sur la une

Pierre Landry, Le Mouton NOIR, Rimouski, mai-juin 2019

L’actualité n’arrête pas de rebondir et un événement chassant l’autre – ou au contraire s’entêtant furieusement à coller au fond du plat –, le pauvre chroniqueur ne sait plus où donner de la bête. Un jour un titre fulgurant lui traverse l’esprit : « Lavalin des avalées », puis le lendemain, le Québec en entier est chamboulé par un voile qui vient lui brouiller la vue, et le scribouilleur voit aussitôt briller les mots suivants chapeautant son billet : « Laïcité ou l’haïssité? » On pourrait même parler de « l’haïe cité » en référence à Hampstead ou de « l’haï cité » en pensant à son maire. Et dire que ma mère à moi a fait son marché au Steinberg d’Arvida pendant des décennies! Je ne sais pas si on mangerait encore de ce pain-là aujourd’hui…

Par moments on dirait que les choses sont tellement mélangées qu’on en vient à ne même plus savoir sur quel pied ne pas danser. Islamisme ou islamophobie, appropriation culturelle, crucifix décrucifié, minorités montant aux barricades comme si elles possédaient la vérité éternelle, fake news, Donald Trump, ajoutez à ce méli-mélo les voix éclairées des médiocres sociaux et nous voici avec une sauce tellement épaisse et gluante que le pauvre canard pataugeant dans sa mare de pétrole n’en voudrait même pas.

Prenez l’affaire Lavalin. Au départ, on a, quoi de plus naturel, une entreprise-fleuron-du-Québec qui paie des putes (pardon, des travailleuses du sexe) au fils d’une crapule qui finira elle-même achevée par son peuple et crevant dans un fossé. Bon. Outre ses dirigeants, les travailleurs de l’entreprise n’ont bien sûr rien à voir avec ces magouilles et il serait dommage que ce soit eux qu’on pénalise. Alors on exonère? Mais dans ce cas, si on est aussi compatissant envers ces pauvres bougres qui risquent de perdre leur emploi ou de voir déménager la maison mère, pourquoi traite-t-on les chauffeurs de taxi comme de la merde?

Mais restons sur les rives de l’Outaouais où les eaux sont déjà suffisamment brouillées pour alimenter des douzaines de chroniques. Vous y avez compris quelque chose, vous, à cette espèce d’embrouillamini politico-judiciaire où l’amour de Justin Trudeau pour les Amérindiens (pardon, les Premières Nations) et son supposé penchant féministe semblent avoir été sérieusement mis à l’épreuve, tout comme sa sensibilité environnementale a chaviré avec Trans Mountain? J’entendais un reporter sur les ondes de Radio-Canada dire que le beau Justin était en train de se « liquéfier ». Déjà que plusieurs le trouvaient carrément imbuvable…

Je sais, je sais. Je semble voguer comme ça du bock à l’âne, et c’est le cas, mais c’est la réalité qui m’entraîne sur cette pente. Les choses sont devenues tellement confuses, les opinions sont à la fois si tranchées et souvent si peu fondées, chacun s’attribue la compétence de la parole et de l’opinion, les hauts cris font place à la réflexion, et si on conduisait son char comme on maîtrise le français sur les médias sociaux, au moins la moitié du Québec aurait pris le champ cet hiver!

Et le voile, mon Dieu, le voile! Je lisais ce commentaire d’un ex-ecclésiastique qui disait à raison qu’au moment de la déconfessionnalisation des institutions au Québec, les prêtres et les religieuses avaient volontairement accepté de quitter soutanes, cornettes et autres accessoires de même acabit parce que la société exigeait de leur part à ce moment de s’afficher d’une manière moins ostentatoire. On pourrait au moins demander aux personnes récemment accueillies au Québec de tenir compte de notre histoire et de respecter nos sensibilités. Aucune d’entre elles n’accepterait aujourd’hui que l’enseignement qu’on prodigue à leurs enfants leur soit donné par une religieuse d’obédience catholique croulant sous la grisaille d’un uniforme suranné.

Le titre de ma chronique intriguera peut-être. En journalisme, lorsque survient une catastrophe ou un événement majeur juste avant de mettre sous presse, on « tue la une », c’est-à-dire qu’on modifie la une en fonction de la nouvelle de l’heure. Au moment où je termine cette chronique, les cendres fument encore au cœur de la nef de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Entendu cette remarque méchante : « On niaise pas avec les signes religieux là-bas… »