Pierre Hébert, Le Haut-Sain-François, Cookshire-Eaton, automne 2018
Selon les experts, la moitié des producteurs agricoles vivent un fort niveau de détresse psychologique, comparativement 1 sur 5 dans la population québécoise en général. Pour contrer cette situation, l’UPA-Estrie avec différents partenaires a procédé à l’embauche d’une travailleuse de rang, Caroline Poulin.
En poste depuis quelques semaines et originaire de l’Estrie, Mme Poulin connait bien le milieu agricole. Détentrice d’un baccalauréat en travail social, elle a œuvré pendant 13 ans dans le réseau de la santé et des services sociaux en plus de posséder l’expérience du secteur communautaire. L’intervenante a travaillé sur l’ensemble du territoire estrien, dont celui du Haut-Saint-François. « J’ai couvert tout le territoire de l’Estrie à travers ma pratique durant les 13 dernières années, je connais bien le milieu », d’exprimer la travailleuse de rang.
Mme Poulin sera intervenante psychosociale en milieu agricole. Son rôle consiste à faciliter la prise de conscience et l’identification des problématiques vécues par les agriculteurs et leur famille. Par son intervention, elle contribuera à réduire les risques d’apparition de problèmes tels que l’isolement, la dépression, la toxicomanie et la violence. Elle pourra également apporter un soutien particulier lors des étapes charnières de l’entrepreneuriat agricole, comme le démarrage, les grands changements vécus dans l’entreprise, la réflexion menant à un transfert de ferme ou à la fin de carrière de producteur agricole. « Le rôle du travailleur de rang, explique Mme Poulin, est d’aider le producteur à trouver les ressources dont il a besoin, que ce soit dans le réseau communautaire, dans le réseau public de la santé ou encore auprès de services privés. » Mme Poulin embrasse sa nouvelle carrière avec enthousiasme. « Moi, je suis une intervenante de terrain. J’aime ça sortir des bureaux, aller rencontrer les gens. Ça colle aussi beaucoup à mes valeurs personnelles de ce que je connais, dans ce que j’ai grandi. J’étais rendue là. J’avais envie d’un changement. »
La nouvelle travailleuse de rang reconnait que le premier défi sera de se faire connaitre des producteurs. « Pour ça, je vais participer aux différents comités qui peuvent avoir lieu, que ce soit les syndicats de l’UPA, que ce soit les GMF, les organisateurs communautaires dans les CLSC. Aussi, je prévois prendre ma voiture et aller me promener dans les rangs en campagne, aller me présenter aux producteurs, offrir mes services s’ils en ont besoin. Suite à ça, quand on aura des demandes, des appels, mon travail sera de me déplacer, de les rencontrer, de déterminer c’est quoi les besoins, ce que je peux faire pour aider et au besoin, les référer vers d’autres professionnels. » Mme Poulin ajoute que son type d’intervention sera individuel ou familial, dépendamment des problématiques. Quant à l’horaire de travail, la travailleuse de rang mentionne « en principe, c’est quatre jours semaine, mais je suis bien consciente que ça va aller selon l’horaire des producteurs. Je vais m’adapter. » Du même souffle, celle qui dépendra de l’organisme Au Cœur des familles agricoles (ACFA) mentionne qu’une ligne 24/7 est disponible pour les producteurs qui en sentiraient le besoin.
Haut-Saint-François
Les producteurs du Haut-Saint-François auront un accès gratuit au service. Heureux de cette nouvelle ressource, Henri Lemelin, président du Syndicat local de l’UPA du Haut-Saint-François, mentionne que la situation chez les producteurs d’ici « n’est pas pire qu’ailleurs. » Il ajoute que les producteurs à l’ensemble de l’Estrie traversent la même chose. « Nos producteurs vivent une insécurité au niveau économique. Depuis des années et des années, on dit que les quotas vont disparaitre. Le jeune quand il rencontre son banquier et qu’il lui demande : ça va tu durer ces gestions de l’offre là ? Pis là, on vient d’avoir la preuve que c’est pas si durable que ça. Avec tout ce qui se passe, les producteurs vivent un stress grandissant au niveau socio-économique. »
« Le problème qu’on a avec les producteurs, les productrices, c’est qu’ils sont isolés. Souvent, tu vas travailler en usine, tu vas ventiler en discutant avec un collègue de travail. Nous, sur le terrain, les voisins sont loin des fois. Les producteurs sont fiers, sont orgueilleux. Ils veulent pas trop en parler non plus. C’est pas facile de rentrer chez soi le soir et de ne pas penser aux problèmes du travail quand tu demeures dans le même environnement 24/24. L’isolement fait en sorte que ça devient de plus en plus important d’avoir quelqu’un sur le terrain », d’exprimer Lynne Martel-Bégin, productrice dans le Haut-Saint-François et vice-présidente de l’UPA-Estrie. Pour cette dernière et M. Lemelin, le fait que l’intervenante soit de l’extérieur et qualifiée, ça sera plus facile pour le producteur de se confier. « Le producteur qui va sentir un climat de confiance va se laisser aller », d’exprimer Mme Martel-Bégin tout en ajoutant avoir déjà rencontré un producteur en détresse alors qu’elle se sentait désarmée devant pareille situation.
« On cherchait le moyen pour qu’ici en Estrie, il y ait une travailleuse de rang. On s’est mis à la tâche avec les MRC, autres partenaires, pour trouver le financement pour les trois prochaines années », d’exprimer M. François Bourassa, président de l’UPA-Estrie. D’ailleurs, la récente activité-bénéfice Bières et fromages, tenue récemment au Centre de foires à Sherbrooke, a récolté plus de 25 000 $ permettant d’obtenir le financement nécessaire de 215 000 $ sur trois ans. Évidemment satisfait, M. Bourassa précise « dans un monde idéal, on devrait pas avoir besoin d’une travailleuse de rang. Moi, je souhaite que la situation économique soit bonne. »
La travailleuse de rang relève de l’organisme Au cœur des familles agricoles (ACFA) qui apporte la formation, l’administration et la gestion. L’OBNL, explique le directeur général, René Beauregard, existe depuis 2003. Il a pour objectif d’aider les agriculteurs. L’ACFA, ajoute-t-il, se positionne comme aide et référence en milieu agricole et fournit un soutien qui varie selon l’urgence de la demande. L’organisme vise à créer des conditions propices à une meilleure qualité de vie pour les agriculteurs. Il est axé sur la cellule familiale. Présentement, l’ACFA compte 5 travailleurs de rang sous son aile et travaille avec deux autres en partenariat.
M.Beauregard mentionne que plus de 60 % de la clientèle sont des hommes et 70 % des interventions sont menées auprès des producteurs laitiers. Selon ce dernier, les problèmes rencontrés sont multifactoriels, mais ceux d’ordre financier constituent la goutte qui fait ressortir tous les problèmes refoulés. « Le producteur, il va demander de l’aide quand il est rendu au bout. Rendu là, il faut lui donner toute l’aide possible », de conclure M. Beauregard.