15 $/h : le Bas-Saint-Laurent peut-il se le permettre?

Julien Fecteau-Robertson, Le Mouton Noir, Rimouski

Faire passer le salaire minimum à 15 $ l’heure est un projet ambitieux qui aurait un impact important sur l’économie québécoise. Bien que la lutte contre la pauvreté et aux inégalités soit un objectif très noble, une telle proposition détonne dans un contexte économique et politique où les plus démunis s’appauvrissent de plus en plus au bénéfice des mieux nantis. Ce dossier du taux horaire n’aurait donc pas pu se retrouver à l’avant-plan, n’eussent été l’action et la mobilisation de nombreux acteurs de la société civile, notamment les syndicats et les organismes communautaires, mais aussi certains partis politiques.

Les raisons qui justifient une telle augmentation sont nombreuses. Personne ne saurait être contre la vertu et, dans l’absolu, personne ne s’oppose à ce que ses concitoyens et ses concitoyennes aient une meilleure qualité de vie. Le salaire minimum actuel ne permet pas aux travailleurs et aux travailleuses à temps plein de dépasser le seuil de pauvreté. Au Québec, cette situation touche plus d’un million de salariés, soit le quart des personnes à l’emploi. De telles inégalités sont non seulement profondément injustes, elles ont également des impacts sociaux négatifs sur la santé, la scolarisation, la criminalité, la cohésion sociale, etc. La stabilité économique est aussi affectée par ces inégalités qui augmentent les risques de récession. Il y a quelque chose de troublant, voire de malsain à se demander si notre système socioéconomique pourrait vraiment résister sans maintenir dans la misère et la précarité un si grand nombre d’individus.

Enjeux

De nombreuses craintes et réticences sont légitimes face à une hausse accélérée du salaire minimum. En effet, une augmentation des coûts de main-d’œuvre peut entraîner des retombées négatives pour plusieurs entreprises. On s’inquiète notamment de la réduction des bénéfices des PME, pour qui les profits représentent souvent une marge de manœuvre nécessaire pour pallier l’insuffisance des années plus difficiles. On peut aussi penser au milieu agricole qui est affecté par l’instabilité des saisons. Ainsi, la réduction des bénéfices pourrait mener à une hausse des prix, à une réduction de l’embauche, à l’automatisation de certaines tâches de travail et même à des fermetures d’entreprises et à des relocalisations.

Ces craintes méritent une réponse adéquate, fondée sur des faits, sur des études et des analyses sérieuses. Il est cependant difficile de distinguer les études rigoureuses de celles qui emploient une méthodologie douteuse ou biaisée. De plus, si les opinions divergent autant sur la nature des impacts d’une telle mesure, c’est que ses effets diffèrent énormément d’une région à l’autre, notamment selon la nature et la taille des entreprises. Cela explique que les études sur la question semblent souvent se contredire. Pour l’instant, il manque malheureusement des études précises et différenciées sur les régions québécoises. D’où la nécessité de non seulement tenir compte des facteurs socioéconomiques propres à chaque région, mais surtout de mettre en place les mesures appropriées qui permettront d’amortir au mieux les éventuels impacts négatifs.

Atténuer les impacts

Dans les endroits où la hausse du salaire minimum est mise en place lors d’un processus inclusif et où les principaux acteurs concernés ont la chance de présenter leurs intérêts et de mettre en lumière les enjeux, on observe moins, voire pas du tout d’effets négatifs sur les taux d’emploi et d’embauche. Plusieurs ont aussi adopté des mesures d’atténuation. Par exemple, la ville de Los Angeles donne un sursis d’un an aux employeurs qui engagent moins de 25 personnes.

L’augmentation du salaire minimum ne peut pas se faire sans tenir compte du contexte économique au Bas-Saint-Laurent et sans prendre en considération des mesures d’atténuation permettant la résilience socioéconomique de notre région. On pense notamment au vieillissement de la population, à la dévitalisation de certaines municipalités, à l’attraction de jeunes familles, à la conciliation travail-études et à la fragilité de certains secteurs, dont le milieu communautaire et de nombreuses PME. Pour cela, il est nécessaire que cette augmentation soit progressive et s’accompagne de diverses mesures d’adaptation, mais aussi qu’elle se fasse en concertation avec les différents acteurs.

Qu’on soit pour ou contre cette hausse, c’est ce genre d’approche qui fait consensus tant chez des analystes de gauche comme ceux de l’IRIS que chez des acteurs plus conservateurs comme le Conseil du patronat.