Jérôme Savary, L’Itinéraire, Montréal, le 1er août 2010
Un centre de pédiatrie sociale s’est installé ce printemps dans le quartier Centre-Sud, à l’intérieur de l’école primaire Champlain. À sa tête, Samuel Harper se démène pour entretenir les rêves des enfants « blessés ». Nous l’avons rencontré.
Médecin de famille dans le quartier Centre-Sud depuis 2004, le Dr Harper a décidé de se consacrer au suivi d’enfants vulnérables après avoir rencontré le Dr Julien, à la fin de 2008 : « L’approche de la pédiatre sociale m’a beaucoup impressionné. Après avoir passé une journée à Hochelaga-Maisonneuve dans les locaux d’Assistance aux enfants en difficulté (AED), j’étais conquis. Tu sens l’attachement des familles envers AED. »
La méthode du Dr Julien est aux antipodes de l’approche médicale classique. Travailler à deux, soit un médecin et un travailleur social, lors des consultations avec les enfants et leur famille, permet d’obtenir de meilleurs résultats. « Chez le Dr Julien, j’ai eu l’impression que beaucoup de choses se réglaient en même temps, alors qu’au CLSC, ça m’aurait pris beaucoup plus de temps pour en faire autant, reconnaît Samuel Harper. À AED, les familles peuvent aussi rencontrer rapidement une avocate ou un art-thérapeute. C’est une façon de travailler très dynamique, et le fait de retrouver une table de la cuisine au centre de la salle de consultation, c’est vraiment magique. Cela ouvre la voie à des confidences que tu ne retrouves pas dans un vrai bureau de docteur. La relation de pouvoir avec le médecin n’existe pas en pédiatrie sociale. »
Son employeur actuel, le Centre de santé et de services sociaux (CSSS) Jeanne-Mance, l’a tout de suite soutenu dans ce projet de pédiatrie sociale. En plus de permettre au Dr Harper de consacrer deux jours par semaines au Centre de pédiatrie sociale Centre-Sud, le CSSS lui a consenti le prêt de service d’une travailleuse sociale à temps complet, Josée Brodeur. Celle-ci n’est pas la première venue : elle travaille auprès des enfants et de leur famille depuis dix ans.
Ensemble, le Dr Harper et Mme Brodeur font avant tout ce que les médecins n’apprennent pas sur les bancs de l’université : entretenir les rêves des enfants. « Travailler avec les intérêts de l’enfant, lui faire vivre des succès sont les bases de l’estime de soi, précise-t-il. Le Dr Julien a ce souci pour chaque enfant qu’il rencontre. Je me souviens d’un enfant de dix ans à qui il avait demandé ce qu’il voudrait faire quand il serait grand, et l’enfant lui avait répondu : écrivain. « Je vais essayer de te trouver un écrivain, pour que t’en rencontres un vrai », lui avait-il dit. Tu n’apprends pas ce genre d’intervention en médecine, même si c’est beaucoup plus utile qu’une prescription de pénicilline. »
Dans Centre-Sud, les rêves de nombreux enfants sont en mille morceaux. Ce quartier cumule de tristes statistiques : 50 % des familles sont monoparentales ; 47 % de la population vit sous le seuil de faible revenu. Le taux de signalement et de placement à la Direction de la protection de la jeunesse est presque le double que pour l’ensemble de l’île de Montréal. « J’en vois qui ont six ans et qui ont déjà décroché dans leurs têtes. Ils me disent : Chus pas bon », « chus pourri ». Ils ont l’impression de n’avoir jamais rien réussi », indique le Dr Harper qui suit déjà une centaine d’enfants.