LUC DESCHÊNES, L’Itinéraire, Août 2017
Patrick Côté a évolué pendant 15 ans comme combattant professionnel en arts martiaux mixtes, un sport plus connu sous l’acronyme anglais MMA (Mixed Martial Arts). Il connaît bien les risques et périls des sports extrêmes. Aujourd’hui analyste à la radio et à la télévision, il témoigne de son expérience.
Pourquoi avez-vous choisi de faire carrière dans les arts martiaux mixtes (MMA) ?
Au début, j’ai pratiqué la boxe et le judo. Mais je me suis vite aperçu que les arts martiaux mixtes étaient plus payants que la boxe. Par la suite, j’ai découvert le jujitsu brésilien et la lutte. Je suis tombé en amour avec ce sport. J’ai livré mon premier combat amateur en 1999 – que j’ai perdu assez solidement – mais j’ai adoré ça quand même. Et ça a bien tourné pour moi.
En 2004, comment vous êtes-vous senti au moment d’affronter
Tito Ortiz, votre idole ?
Tito était mon idole. J’ai même nommé mon chien Tito en son honneur. Cette fois-là, je devais livrer le premier combat de la pré-carte de l’UFC 50 et quatre jours avant, l’adversaire de Tito s’est blessé. Les dirigeants de l’UFC (Ultimate Fighting Championship) ont probablement demandé à tout le monde de l’affronter. J’étais probablement le dernier à qui ils ont demandé, et il y avait juste moi d’assez malade pour dire oui. Je suis allé là, j’ai perdu le combat, mais je me suis fait un nom. Et aujourd’hui, même après 13 ans, on présente encore des séquences vidéo de ce combat-là lors des galas de l’UFC. Je ne serais pas ici aujourd’hui si je n’avais pas livré ce combat.
Personne ne croyait en vos chances. Quel conseil donnez-vous à ceux qui doivent relever un défi qui semble insurmontable ?
Ne pas écouter les autres. Le sentiment de jalousie et d’envie est fort chez les gens qui veulent avoir tout facilement. Il n’y a rien de facile dans la vie. Et surtout dans mon sport, il faut vraiment croire en soi. Je suis un bel exemple de résilience car je ne suis pas né avec un corps d’athlète. Je n’avais aucune aptitude physique. J’ai mis les chances de mon côté avec l’entrainement et la nutrition. J’étais un très mauvais
combattant et j’ai réussi à atteindre les plus hauts sommets.
Où alliez-vous chercher toute votre énergie ?
La passion du sport, c’est ce qui m’aidait à me lever le matin pour l’entrainement. Malgré que ce soit un sport dur, j’en ai fait une carrière. Il y a des émotions et des sensations que je ne vivrai plus jamais. Comme quand tu marches vers l’octogone avec 20 000 spectateurs qui scandent ton nom. Ce sont des souvenirs dont je vais me rappeler pour le reste de ma vie.
Pourquoi avez-vous pris votre retraite en 2017 ? Était-ce pour des raisons de santé ?
Entre autres oui. L’âge est aussi un facteur. J’ai subi beaucoup de blessures durant ma carrière. Mais lors de mes deux derniers combats, je me suis fait frapper plus souvent qu’au cours des 15 dernières années. Quand ça arrive, tu choisis ta santé au lieu de ta fierté. Et cette petite fille là est venue au monde (sa fille Raphaëlle assiste à
l’entrevue). Je veux être capable de jouer avec elle et de la suivre dans ses activités quand elle va avoir cinq ou six ans. L’important, c’est que je n’ai aucune séquelle au cerveau. Je n’ai subi aucune commotion cérébrale. Et je ne me suis jamais retrouvé inconscient dans un octogone. Livrer un combat de trop est une chose qui me terrifiait. Dans ce cas-là, le public ne se souvient que de ta mauvaise performance. Là, le public me parle encore de ma carrière. Cela veut dire que j’ai bien réussi ma sortie. Mon combat contre Donald Cerrone a sonné une cloche. J’ai subi la défaite et là, j’ai réalisé que je n’obtiendrais plus de combat pour un championnat mondial.
Les arts martiaux mixtes sont souvent perçus comme un sport violent et brutal. Comprenez-vous ces préjugés ?
À 100 %. C’est un sport très violent. Il a été très mal vendu au départ. Il y avait très peu de règlements, aucune catégorie de poids et l’image de deux gars dans une cage qui se tapent dessus faisait peur à beaucoup de gens. Maintenant, les combattants sont de véritables athlètes. Il y a beaucoup moins de mauvais garçons et de bagarreurs de rue.
Pouvez-vous nous parler des débuts de ce sport et de son évolution ?
Au début, il y avait seulement trois règlements : pas le droit de crever les yeux de ton adversaire, de mordre et de rentrer les doigts dans un orifice du corps. Ensuite, ils ont ajouté un règlement : pas le droit de projeter ton adversaire hors de la cage. Aujourd’hui, il y a beaucoup plus de règlements que le public pense. Tous les combattants sont aptes à se battre et sont soumis à plusieurs tests médicaux comme des examens de la vue, des tests sanguins et des scans de la tête. Le dopage est beaucoup mieux surveillé, même s’il y aura toujours des tricheurs.
Les arbitres protègent-ils suffisamment les combattants ?
En général oui. Par contre, il y a encore des arbitres qui n’arrêtent pas les combats assez rapidement.
Quoi penser d’un combat de MMA organisé par un promoteur entre une enfant de 12 ans et une femme de 24 ans ?
Je n’ai pas vu ce genre de combat. C’est organisé par des fédérations qui ne sont pas régies et qui n’ont pas de bonne commission athlétique. Les combats illégaux font partie de la réalité. C’est impossible de garder le contrôle sur ce genre de combats. Pour ce qui est de la petite fille, cela relève de la responsabilité des parents. L’adolescente a beau avoir des aptitudes, cela reste extrêmement dangereux pour elle.
Comment réagiriez-vous si votre petite fille voulait faire carrière en arts martiaux mixtes ?
Elle fera bien ce qu’elle voudra. Mais c’est sûr que j’essayerais de lui faire pratiquer un autre sport comme la gymnastique ou le judo qui sont de très bons sports. Moi, ma mère n’aimait pas que je me batte alors on peut comprendre la réaction d’un père qui voit sa fille pratiquer un sport brutal.
Les arts martiaux mixtes demandent beaucoup d’entrainement et de discipline. Parlez-nous de votre quotidien avant votre retraite.
On parle de deux à trois entrainements par jour. Dans ce sport-là, il faut être complet dans plusieurs disciplines, comme la boxe, la lutte, le muay thai. C’est un entrainement très complet et il faut rajouter l’élément de la nutrition. M’entraîner à tous les jours ne présentait aucun problème. Mais manger du brocoli à chaque repas, ça c’était pénible.
Comment se prépare-t-on mentalement avant un combat ? Aviez-vous
un encadrement psychologique et médical ?
L’aspect mental est très important car rendu à l’UFC, tous les combattants font partie de l’élite mondiale. J’ai travaillé pendant trois ans avec une psychologue sportive et si j’avais eu moins de préjugés, j’aurais consulté dès le début de ma carrière. Plusieurs combattants pensent qu’ils sont au-dessus de ça, mais ils finissent par avoir trop de pression. Pour la diète, aucun problème vraiment, mais la déshydratation et la coupe de poids, ce n’est vraiment pas bon pour le corps et les organes vitaux. Heureusement que ça arrive seulement deux à trois fois par année. Il faut être entouré d’une bonne équipe car moi, je me déshydratais de 20 livres. Ce n’est pas un truc que tu fais du jour au lendemain.
Pensiez-vous à l’aspect humain de l’adversaire durant les combats ?
Non, ça va trop vite. Je me disais, si je ne frappe pas mon adversaire, c’est moi qui vais encaisser les coups. Il y a beaucoup de respect entre les combattants même si avant le combat, des insultes sont échangées. C’est 15 minutes pour la business. Quand je me suis battu contre Chris Leben en 2005, il est venu s’assoir dans le vestiaire à côté de moi pendant 30 minutes. On n’a échangé aucun mot, mais j’ai senti le respect qu’il avait pour moi car on s’était livré une véritable guerre.
Avez-vous subi des blessures sérieuses au cours de votre carrière, comme des commotions cérébrales, par exemple ?
J’ai subi huit interventions chirurgicales et je me suis cassé deux fois la main. La blessure la plus grave, c’est pendant mon combat de championnat du monde contre Anderson Silva. Mon genou était complètement démoli. Ça été un dur coup à encaisser car j’avais atteint les plus hauts sommets de mon sport. À la limite, j’aurais aimé mieux me faire passer K.O. que de devoir abandonner au troisième round.
Avez-vous déjà eu peur lors d’un combat ?
Non, pas vraiment. Si tu es bien préparé, il n’y aura pas de problème. C’est sûr que la journée même du combat, tu te rends comptes que le soir, tu ne vas pas cueillir des fraises.
Vous avez été mis techniquement K.O. l’an passé. Comment vous êtes-vous senti ?
Je me suis senti vieux. Ce soir-là, rien de ce que je faisais dans l’octogone ne fonctionnait. J’étais extrêmement fatigué car j’avais eu une grosse année dans les médias. Quand tu commences à penser durant un combat, tu as déjà perdu. Ce soir-là, il a été meilleur, c’est tout. Mais si on se battait dix fois ensemble, je ne crois pas qu’il gagnerait à chaque fois.
Qu’est-ce qui est plus douloureux, un K.O. ou une soumission ?
Une soumission car le K.O., ça se passe rapidement. Mais la soumission, tu es obligé d’abandonner. Alors là, tu dois admettre que ton adversaire était plus fort et qu’il avait une bonne stratégie. C’est un peu comme aux échecs. Quand tu gagnes par K.O., tu te sens puissant pendant 30 secondes. Mais la victoire par soumission, tu es fier
de toi durant trois ou quatre jours.
En terminant, parlez-nous de votre implication sociale ?
Je suis ambassadeur pour Tel-jeunes. Toutes mes causes sont associées à la jeunesse. Les recettes de mon livre ont été remises en entier au Club des petits déjeuners. Beaucoup de gens m’ont aidé durant mon enfance. Ma mère m’a élevé seule et on était assez pauvres. C’est la raison de mon implication avec les jeunes. Je suis également ambassadeur pour la Maison Le Phare (Phare enfants et familles) qui est la seule au Québec à offrir des soins palliatifs aux jeunes. Ça paraît horrible mais quand tu sors de cette maison, tu te sens serein. Ce sont toutes des causes qui me tiennent à coeur. Le but n’est pas de faire de l’argent.