Zoom sur Jocelyn

Guillaume Vigneault, L’Itinéraire, Montréal, le 1er juin 2017

Aîné d’une famille de six enfants. Jocelyn garde des souvenirs aigres-doux d’une enfance parfois difficile. Il est né en 1958, trois jours avant le 17e anniversaire de sa mère. Ses parents étaient cousins. « Mon grand-père était bizarre: il interdisait à ma mère de fréquenter qui que ce soit en dehors de fa famille … Fait qu’elle a marié un de ses cousins. » Son père, un charpentier-menuisier illettré, vogue d’un boulot précaire à un autre. Il vogue aussi d’une aventure amoureuse à l’autre. « C’était un courailleux, mon père. Il n’aurait jamais dû se caser…»

La famille déménage sans arrêt, se promenant entre Montréal et la Rive-Sud. Jocelyn doit abandonner l’école pour aider sa mère avec les cinq autres enfants, qu’elle menace de placer en familles d’accueil. Jocelyn terminera son secondaire onze ans plus tard. Si Jocelyn paraît serein, l’amertume perdure néanmoins envers son père. « Il avait acheté un terrain à Saint-Lin, pour qu’on y construise une maison. Moi et mes frères, on l’a aidé à démolir deux maisons pour récupérer les matériaux. On a manqué l’école souvent pour la bâtir, cette maison-là. Mais quand mes parents se sont finalement séparés, on n’a pas eu la maison. Mon père a préféré que la banque la saisisse, plutôt que de nous la laisser … Pour une hypothèque de 800 $. » Les ponts ont été coupés ce jour-là. Son père a laissé sa famille, s’est remarié, et tout lien a été rompu. « Je ne suis pas allé à ses funérailles. Il est enterré quelque part sur la Rive-Sud », dit Jocelyn sobrement.

Quelques années plus tard, sa mère se remarie. Lorsque son nouveau conjoint décède, elle achète un restaurant et un dépanneur en Ontario avec l’assurance-vie de ce dernier. Jocelyn ainsi que quelques-uns de ses frères et sœurs y travailleront un temps. Mais deux incendies criminels auront raison de l’entreprise.

 

De jobine en jobine

Les années qui suivent. Jocelyn tient peu en place : « Mon record de ma job la plus courte, c’est trois heures. Une shop de réglisse, dans Hochelaga, se rappelle-t-il amusé. À cette époque-là, les jobs ne manquaient pas. » Mais lorsqu’on n’a pas d’éducation, elles ne mènent jamais bien loin.

Jocelyn a aussi été commis d’épicerie une quinzaine d’années, au total. Mais il n’en pouvait plus, pour une raison qui fait sourire : « Le temps des Fêtes. Entendre quarante versions de Petit Papa Noël quand tu travailles… j’étais plus capable. »

Au début des années 2000, Jocelyn débute comme camelot de l’Itinéraire, dans Hochelaga-Maisonneuve. Il y retournera entre 2011 et 2012. Depuis 2015, il a repris du service, à Saint-Jérôme, cette fois. Il n’est cependant pas le seul camelot de la ville : lui et sa copine vendent L’Itinéraire sur la même artère passante, à quelques coins de rue l’un de l’autre, « J’ai été vieux garçon toute ma vie, jusqu’à il y a six ans. Elle venait de faire un flat avec son vélo, et elle connaissait mon coloc, qui réparait les vélos… Comme il n’était pas là, je lui ai réparé son pneu. On est ensemble depuis ce temps-là. »

Aujourd’hui, Jocelyn semble avoir trouvé sa place, son équilibre. Il fait de la marche, du vélo et n’a certainement pas l’air d’un homme qui va avoir 60 ans cette année. Il écrit de la poésie et note ses réflexions lors des rares trajets d’autobus qui le mènent à Montréal, où il vient pour assister à une réunion de camelots ou pour peaufiner un texte à paraître. Le reste du temps, il travaille dehors, il est maître de ses horaires. « Il n’y a personne qui exploite ma sueur », observe-t-il avec un sourire.