Jacques Dumont cogère le Café Rencontre. Photo : Pascal Lévesque

Renvoyer l’ascenseur

Pascal Lévesque, La Quête, Québec, mai 2017

Les organismes œuvrant dans le domaine communautaire recrutent une partie de leurs bénévoles parmi des gens ayant connu des difficultés dans leur cheminement personnel. Cet engagement peut se révéler bénéfique tant individuellement que collectivement, mais n’est pas sans causer certaines difficultés à ces pairs aidants venus faire acte de charité à leur tour.

Le Centre d’action bénévole de Québec oriente les demandes de bénévolat de plusieurs personnes ayant connu leur lot d’épreuves. La directrice générale de l’organisme, Anne Beaulieu, attribue cette volonté d’engagement à différentes raisons. « Le marché du travail est parfois difficile et on reçoit des gens qui ne travaillent pas pour un ensemble de facteurs divers. Ils ont besoin de prendre ou de reprendre confiance en eux. Le bénévolat leur permet de mettre leurs aptitudes à contribution et de pouvoir se sentir utiles. Pour ces gens-là, qui ont été isolés socialement, c’est une bonne façon de reprendre vie tout en rendant service à des personnes qui en ont besoin », explique-t-elle.

 

 

Motiver le bénévolat chez les bénéficiaires

Si le Centre d’action bénévole de Québec oriente les demandes de bénévolat, certains organismes reçoivent d’anciens bénéficiaires qui reviennent donner un coup de main à ceux qui les ont soutenus.

À la Maison Charlotte, qui offre de l’aide aux femmes en difficulté, les locataires s’impliquent dans l’entretien du centre d’hébergement. Elles aident aussi aux collectes de fonds de la Maison et de l’Armée du Salut, son organisme mère. Pascale Bouffard, qui y est intervenante, affirme que d’anciennes pensionnaires viennent parfois effectuer des témoignages sur leur vécu. D’autres vont organiser des ateliers d’impro et de musique afin d’animer la vie à la Maison Charlotte.

Lauberivière, qui offre le refuge pour les itinérants ainsi que la soupe populaire, propose aussi ce type d’activités. Plusieurs anciens locataires y oeuvrent aujourd’hui. L’organisme encourage même ses actuels bénéficiaires à s’impliquer. Selon Elsa Bouffard, intervenante au refuge, « les gens sont très ouverts à redonner, vu que Lauberivière les a aidés auparavant Ils le font avec cœur ».

Francis Blouin est bénévole à Lauberivière où il effectue des tâches dans la cafétéria de l’établissement. Sa dépendance à l’alcool et aux drogues lui a fait perdre un emploi confortable dans le domaine de l’hôtellerie. Quand il a été accueilli par le refuge, il n’avait plus rien. « Lauberivière m’a permis de me relever alors que je n’avais plus rien. Ça me permet de me sentir utile. Je fais de quoi et j’aide les autres en même temps. Je suis fatigué le soir, mais c’est parce que je travaille dans la cuisine. Moi, j’ai un but, je fais à manger pour les gens dans le besoin. Ce n’est pas parce que tu es itinérant que tu ne peux pas avoir de la bonne bouffe. Je suis heureux aujourd’hui », affirme-t-il à propos de son implication.

 

Le vecteur de motivation

Jacques Dumont est un ancien détenu et toxicomane. Il est aujourd’hui directeur des opérations du Café Rencontre qui offre le repas aux démunis. Après un séjour en prison, il a suivi une thérapie ainsi qu’une formation de 12 mois à l’organisme Défi jeunesse qui lui ont permis de se reprendre en main. « J’ai appris à vivre en société normalement. Je n’en étais pas capable auparavant. Aujourd’hui je suis marié, je suis responsable, je suis délivré de l’alcool et de la drogue. Je suis un homme nouveau. ». Attribuant en partie à la foi sa reprise en main, il consacre aujourd’hui son emploi du temps à faire des collectes de fonds pour des œuvres de charité, et à cogérer le Café Rencontre.

Gabrielle Poirier a reçu pendant six ans les services de la Maison Dauphine. Elle a connu, elle aussi, diverses difficultés personnelles en plus d’avoir décroché de l’école et d’avoir longtemps vécu de l’aide sociale. Elle consacre aujourd’hui sa vie à aider des gens qui ont vécu des épreuves et à étudier en Technique d’intervention en délinquance au Cégep Garneau. Elle travaille au sein de plusieurs organismes, en plus de son stage. Elle est notamment intervenante à Lauberivière.

Il lui arrive souvent d’apporter du soutien aux jeunes décrocheurs afin qu’ils puissent traverser leur parcours scolaire et recevoir de l’aide adaptée à leurs besoins. « Je suis quelqu’un de vraiment engagé dans la vie. Travailler dans le communautaire et avec les plus pauvres, défendre les droits de ces personnes-là qui sont marginalisées étaient des choses qui m’intéressaient. », affirme celle qui est engagée dans son association étudiante, a participé à l’organisation d’événements politiques et sociaux comme le Festival contre le racisme de Québec et qui considère son travail à titre d’intervenante comme une vocation.

 

Difficultés rencontrées

Si des pairs aidants ont trouvé un sens à leur vie dans leurs activités, ils ne sont pas à l’abri de certaines difficultés. Selon Jacques Dumont, il est parfois difficile d’aider des gens, notamment ceux qui se complaisent dans leur situation. « On ne peut pas aider une personne qui ne veut pas s’aider », dit-il. Il trouve aussi ardu d’aider les gens qui traversent des crises en lien avec leurs problèmes de santé mentale. « On doit apprendre à les aimer. Au Café Rencontre, on donne de l’espoir. », dit-il.

Par espoir d’extirper leurs pairs de situations difficiles, certains aidants y investissent toute leur énergie. Parfois, à fort prix. Francis Blouin a connu une rechute après avoir débuté son bénévolat. « Je me suis mis à donner des conférences sur l’alcoolisme et les problèmes d’itinérance. J’étais devenu président d’un groupe de soutien, j’étais un attrait pour bien des gens, je voulais aider tout le monde, j’étais trop sûr de moi et j’ai fini par recommencer à consommer», avoue celui qui ne tient plus rien pour acquis depuis.

Anne Beaulieu affirme que certains aspirants aidants qui se présentent au Centre d’Action bénévole « ont parfois trop de fragilité pour penser pouvoir aider ». Elle croit que faire du bénévolat « n’est pas une bouée de sauvetage ». Selon elle, certains « ne sont peut-être pas encore assez loin dans leur démarche pour donner au suivant ».