Michaël Prince, Entrée libre, Sherbrooke, décembre 2009
Dernièrement, certains propriétaires de dépanneurs se sont plaints de leur satisfaction financière. Ceci a inspiré l’équipe de journalistes du Centre de médias indépendant (CMI) à mener une enquête sur la situation des dépanneurs à Sherbrooke. Nous avons constaté qu’un mouvement de faillites se produit au Québec. Comme le rappelle M. Gravel, président directeur général (PDG) de l’Association des détaillants en alimentation (ADA), le nombre de dépanneurs au Québec a chuté de 10 000 à 6 000 depuis les dix dernières années.
L’enquête a porté sur la compétition entre les dépanneurs de quartier et les magasins à grandes surfaces (épiceries, pharmacies, etc.). Dans le secteur des dépanneurs, il faut distinguer le modeste commerce familial des gigantesques conglomérats tels les dépanneurs de compagnies pétrolières comme Irving, Petro-Canada, Ultramar ainsi que l’entreprise Couche-Tard. Cette dernière, propriétaire des Bonisoir et des 7 jours possède 4 413 magasins corporatifs et 1 524 magasins affilés partout au Canada et Etats-Unis. Juste à Sherbrooke, on retrouve plus de 14 Couche-Tard. Il est évident que la situation de ces conglomérats n’est pas comparable à celle de papa et de moma dans leur petite boutique.
Les grandes surfaces font la vie dure aux petits commerces de multiples façons. En voici deux principales. D’abord, depuis quelques années, le gouvernement a permis aux épiceries de rester ouvertes entre 21 et 23 heures À partir de ce moment, les dépanneurs ont perdu leur identité qui était de « dépanner ». Quelques petits commerçants nous ont montré leurs bilans financiers annuels et nous avons pu constater une baisse de profits depuis l’instauration de cette mesure.
De plus, puisque les grandes surfaces véhiculent des marchandises en grande quantité, ils peuvent obtenir des bas prix sur les produits (un peu comme Wal-Mart). Ces magasins se permettent de vendre leurs produits au prix du manufacturier afin d’attirer une vaste clientèle. Par exemple, une caisse de 24 bières de marque populaire se vend environ 22,50 $ à l’épicerie ; dans un petit dépanneur, cette même caisse devra être vendue 30 $ pour que le propriétaire puisse en tirer un minimum de profits.
La réalité économique fait qu’on ne peut accuser les consommateurs de chercher le moindre prix. Qu’y a-t-il de déplorable à cette situation ? On peut d’abord mentionner la perte d’une possibilité de devenir propriétaire, ce qui peut-être une manière agréable de gagner sa vie, soit être le seul maître de son commerce, engager ses enfants et ses amis comme les employés, offrir des salaires décents, etc. À l’accommodation Dodo, sur la rue St-Louis, la situation est précaire. La propriétaire, depuis plus de 15 ans, demeure passionnée de son travail : « Je connais le nom de tous mes clients réguliers. Des fois, ça ressemble plus à un confessionnal qu’à un magasin. J’en ai vu des joies et des larmes ! Ici, les clients ne sont pas des numéros ». Le commerce ressemble à un club social tout comme le Fee-Go au centre-ville ; des gens constamment présents, jouant aux cartes, buvant un café tout en fraternisant. Une vraie ambiance de magasin général !
Dans un autre style, le dépanneur le Vent du Nord de la rue Belvédère Nord, promeut fièrement les bières québécoises. « On ne vend pas un prix, on vend un produit. » Dans de tels lieux, les micros-brasseries peuvent trouver un plancher pour vendre leurs produits, ce qui les aide à exister. L’économie locale est ainsi graciée.