Normand Gagnon, Autour de l’île, Île d’Orléans, janvier 2017
Une nouvelle étape s’ajoute à celles, déjà nombreuses, de la construction du nouveau pont de l’île d’Orléans. C’est ce que confirme un appel d’offres public lancé en novembre dernier par le ministère des Transports du Québec (MTQ) qui souhaite voir évaluer divers modes de réalisation dont celui, on peut le supposer sans risque de se tromper, d’un partenariat public-privé (PPP). Le ministère dit chercher de l’expertise pour réaliser l’analyse des risques et l’analyse financière du projet selon divers scénarios de telle sorte qu’il puisse par la suite retenir la meilleure option.
Rien de neuf en fait puisque c’est désormais une vieille habitude pour les gouvernements de solliciter les conseils du secteur privé sur la façon de développer des partenariats… avec le privé! On se demande toutefois à quoi peut bien servir la Société québécoise des infrastructures (SQI) dont le mandat est justement d’offrir des services liés à «la gestion de projets […], des études de faisabilité à la livraison des lieux, en passant par la préparation des dossiers d’affaires et par la gestion des mécanismes de contrôle de la qualité, et ce, pour toutes les phases des projets». De plus, la SQI a doit exercer un rôle conseil «sur toute question relative aux projets d’infrastructure publique [… et] fournir des services de nature stratégique, financière et contractuelle»1.
Donne-moi ta montre que je te dise l’heure
On peut spéculer à l’infini sur les motifs de cet appel au privé : de gros cabinets comptables influents à satisfaire, volonté politique (non avouée et non avouable) de retarder le projet dans le contexte d’une dégradation inquiétante des infrastructures en général qui oblige à répondre au plus urgent, idéologie néolibérale reposant sur un préjugé favorable au privé…
Quoi qu’il en soit, cette étape supplémentaire de l’appel d’offres va nécessairement allonger les délais et retarder la mise en service du pont. Ah! Populisme quand tu nous tiens!
Peut-on raisonnablement penser réaliser des économies dans un projet en formule PPP alors que toute une batterie de groupes-conseils (finance, ingénierie, gestion, etc.) va prélever des profits dans les différentes étapes de sa réalisation? Les études réalisées à l’étranger démontrent plutôt que les projets de ce type coûtent plus cher, ce qui est confirmé ici par le vérificateur général du Québec dans les dossiers des deux hôpitaux universitaires montréalais. La longue expérience britannique à ce sujet a permis à l’économiste Chris Edwards d’affirmer « [qu’] acheter un bâtiment en PPP, c’est l’équivalent d’acheter une maison avec une carte de crédit au lieu d’une hypothèque2». En d’autres termes, «apparemment avantageux» au moment de l’achat, mais éminemment ruineux à long terme.
Tout le contraire du développement durable, lequel doit répondre aux besoins du présent sans compromettre ceux des générations futures. Ces faits vérifiés et vérifiables ne semblent pas ébranler ces décideurs qui applaudissent tout de qui peut s’apparenter de près ou de loin à la privatisation des services publics : centres de recherche (CRCHUM), hôpitaux (CUSM, CHUM, CHU Sainte-Justine, hôpital de Baie-Saint-Paul) et CHSLD, transport (autoroute 30, échangeur Turcot, Centre d’entretien de trains de Pointe-Saint-Charles, haltes routières), prison (Sorel-Tracy), et quoi encore…
Privatisation plus ou moins poussée et délestage de responsabilité au profit d’organismes dont l’objectif principal est le profit. Tel semble être le leitmotiv de certaines élites. L’exemple le plus récent et le plus frappant n’est-il pas celui du Réseau électrique métropolitain (Montréal) de la Caisse de dépôt et placement du Québec?
1 Société québécoise des infrastructures, rapport annuel 2015-2016. Voir également les articles 5 et 6 de la Loi sur Infrastructure Québec.
2 Cité dans Devrait-on racheter les PPP du CHUM et du CUSM, Note socio-économique, octobre 2014, Institut de recherche et d’informations socio-économiques