Économie sociale, départager les mythes de la réalité

Catherine Girouard, L’Itinéraire, Montréal, le 1er septembre 2016

Durant ses vacances, on rencontre Jean-Martin Aussant… à son bureau. Mission presque impossible pour le directeur général du Chantier de l’économie sociale de rester tranquillement à la maison à quelques semaines du Forum Mondial de l’Économie sociale, événement d’envergure qu’il coorganise avec la Ville de Montréal du 7 au 9 septembre. Entrevue avec l’économiste de formation qui s’évertue à déboulonner plusieurs préjugés « qui  ont la couenne dure» sur l’économie sociale.

Quand on le questionne sur l’économie sociale, Jean-Martin Aussant répond en parlant entrepreneuriat collectif. « Le terme définit mieux la chose, fait-il valoir. Il y a un aspect péjoratif au mot social qui ne passe plus pour de mauvaises raisons. Les gens l’associent seulement à la philanthropie, aux subventions, à l’aide sociale. C’est vrai que c’est aussi ça et on en est fier, mais l’économie sociale est beaucoup plus large que ça.»

L’économie sociale – ou entrepreneuriat social – est en effet présente dans toutes les sphères d’activités. « Les deux dernières coopératives auxquelles j’ai donné un coup de mains, c’est un groupe d’humoristes qui a décidé de se regrouper en coopérative, et un groupe de programmeurs de jeux vidéo, raconte le directeur général du Chantier. On est loin du communautaire. »

Selon l’ancien chef du parti Option nationale, l’économie sociale souffre de plusieurs préjugés tenaces qui n’ont pas lieu d’être. Comme quoi elle serait par exemple l’économie des pauvres et qu’on y travaillerait seulement en désespoir de cause. « Mais c’est tout faux, affirme-t-il sans équivoque. L’économie sociale, c’est un chiffre d’affaires de 40 milliards $ au Québec. C’est plus gros que l’aéronautique, les mines ou la construction. »

Ce qui distingue une entreprise d’économie sociale d’une entreprise traditionnelle est sa forme de propriété. « Pas le talent des entrepreneurs », fait valoir Jean-Martin Aussant. Mais pourquoi un entrepreneur choisit-il ce modèle plutôt que le modèle traditionnel ?

« Parfois par nécessité, répond Jean-Martin Aussant, lorsqu’il y un réel besoin et que ni le privé ni le public ne veulent s’en mêler, et souvent par valeur. Quand on identifie un besoin, si on veut que les gens s’approprient un projet, la propriété collective mobilisera et rassemblera beaucoup plus vite et en fera bénéficier tout le monde.»

Jean-Martin Aussant remarque d’ailleurs avec enthousiasme que de plus en plus de jeunes diplômés des écoles de business et d’économie se montrent très ouverts et intéressés à entrepreneuriat  collectif. Mais ne dit-on pas à tout vent que les jeunes sont au contraire plus individualistes ? « Je pense que ce n’est pas incompatible, répond-il simplement. Ils sont vraiment à l’écoute de leurs besoins et de leurs aspirations, mais ils se retrouvent devant la photo des dégâts causés par un modèle qui a mené à beaucoup d’inégalités, dit-il. Les jeunes sont mieux outillés que les générations précédentes pour prendre conscience des problèmes et sont plus enclin à changer les choses.»

Et l’économiste est convaincu que l’économie sociale est une réponse viable à plusieurs problèmes du capitalisme. « Ça ne veut pas dire qu’on veut déplacer le privé et faire en sorte qu’il n’y ait que des coops et des OBNL, relativise-t-il. Il faut atteindre un équilibre entre les trois grands piliers que sont les gouvernements, le privé et le collectif. Quand un des piliers écrase les autres, ça ne marche pas.»

 

Le Québec, figure de proue mondiale

Le Québec fait d’ailleurs figure de proue en économie sociale dans le monde, le pilier collectif représentant plus de 10 % de notre PIB. La province a d’ailleurs été moins durement touchée par les dernières crises économiques grâce à son tissu social plus fort et plus collectif qu’ailleurs. Des délégations internationales viennent de temps à autre nous visiter pour s’inspirer de nos façons de faire.

«Ceux qui disent qu’il faut faire comme les Américains et qu’on est moins riche qu’eux ont totalement tort. affirme Jean-Martin Aussant, visiblement fier de ce qu’on fait au Québec. Les huit personnes les plus riches des États-Unis valent les huit millions de Québécois. C’est spectaculaire, mais à l’autre extrême, 60 millions d’Américains ont eu besoin de coupons d’urgence pour manger l’an dernier. Des milliardaires font monter la moyenne du PIB, mais en réalité, 95 % des Québécois vivent mieux que 95 % des Américains.»

Ne regarder que le PIB d’un pays pour en déterminer la richesse de ses habitants n’est pas représentatif de la réalité, déplore l’économiste. « Alors que le modèle québécois est beaucoup remis en question, l’OCDE a développé un nouvel indice de mesure des richesses qui n’inclut pas juste le PIB, mais aussi l’éducation, la santé, l’équité sociale, le taux de criminalité … Selon cet indice, le Québec est au top mondial avec le Danemark.»

Malgré cela, beaucoup de travail reste à faire au Québec et ailleurs. « Il y a encore des iniquités chez nous et je pense que l’économie sociale peut contribuer à rétablir les choses, au moins partiellement, affirme-t-il en regardant la grande carte du Québec qui surplombe son bureau. Ce n’est pas une panacée, mais ça contribuera à la solution, c’est certain.»