Pierre Brassard, Le Monde, Montréal, décembre 2010
Depuis plusieurs mois, la congrégation des Clercs Saint-Viateur est en pourparler avec le groupe Thibault, Messier, Savard et associés pour leur vendre l’ancien Institut des sourds-muets, situé au 7400 Saint-Laurent.
Le projet du groupe Thibault, Messier, Savard et associés transformerait le bâtiment en 302 condominiums, allant d’une chambre à quatre chambres à coucher, avec 300 places de stationnement souterraines. Un projet de 85 m$ qui conserverait l’état actuel de la façade du 7400 Saint-Laurent mais qui nécessiterait la construction de deux nouveaux édifices du côté de la rue Faillon et d’un du côté de la rue De Castelnau.
Cette transformation de l’ancien Institut des sourds-muets en un vaste complexe de condominiums nécessitera un changement au niveau du zonage du terrain afin de permettre la réalisation du projet. C’est pourquoi les élus de la ville ont saisi l’Office de consultation publique de Montréal pour tenir des consultations et entendre les différents groupes et citoyens préoccupés par le projet.
C’est le 15 novembre dernier que la population, la quarantaine de groupes communautaires locataires au 7400 ainsi que ceux du quartier ont appris que le promoteur préférait se soustraire à la stratégie d’inclusion de la Ville de Montréal qui invite le promoteur de tout projet immobilier à inclure au moins 15 % de logements sociaux dans ce type de développement. Plutôt que de s’y plier, les promoteurs ont convenu d’octroyer 300 000 $ à l’arrondissement, que celui-ci mettrait dans un fonds destiné à des projets de logements sociaux dans le quartier Villeray.
Les groupes qui sont actuellement locataires au 7400 ont signifié leurs inquiétudes envers le projet puisqu’ils devront vraisemblablement quitter leurs bureaux une fois la transaction complétée et trouver de nouvelles installations. Pour certains groupes, leur avenir est même menacé car il n’est pas certain qu’ils pourraient retrouver un prix aussi avantageux que celui consenti actuellement par la congrégation des Clercs Saint-Viateur.
Lors des séances d’audition des mémoires qui se sont tenues les 8 et 9 décembre derniers, plusieurs groupes ont fait valoir aux commissaires de l’Office les effets néfastes que pourrait avoir le projet. Les membres du Conseil communautaire Solidarités Villeray ont dénoncé l’absence de sensibilité sociale des Clercs Saint-Viateur en regard de la communauté de Villeray. « Nous constatons l’éloignement de cette communauté religieuse des valeurs de solidarité et de partage promue par l’Église catholique en vendant au plus offrant un immeuble construit grâce à l’argent des gens donné pour l’action spirituelle et sociale de cette congrégation.»
L’Association des locataires de Villeray porte aussi la même préoccupation quant aux volets communautaire et sociale que les Clercs ont mis de l’avant depuis la disparition de l’Institut des sourds-muets. « Nous sommes pour le maintien de la vocation sociale et communautaire du Centre. À l'instar des autres groupes membres de la Coalition des amis du 7400, nous exigeons le maintien de la vocation sociale et communautaire du 7400. »
La Coalition des amis du 7400 s’est constituée dès l’annonce de la conversion de l’ancien Institut des sourds-muets en condominium. « Les membres de la Coalition ne comprennent pas qu'aucune étude sur l'impact du retrait de la vocation sociale et communautaire du Centre 7400 n'ait été effectuée. Certes, de telles études ne sont certainement pas chose courante en urbanisme, mais l'anéantissement de la vocation sociale et communautaire d'un centre comme le 7400 n'est pas chose courante. » La Coalition déplore que les acteurs impliqués dans le projet soient allés de l'avant sans effectuer une telle étude.
De l’avis de plusieurs groupes et citoyens, l’absence de volonté de la part du promoteur de se plier à la stratégie d’inclusion de la Ville de Montréal en ne versant que 300 000 $ dans un fonds est inacceptable. « Cette application de la stratégie d'inclusion n'est pas sans précédent. Cependant, chaque fois qu'elle est appliquée de cette manière, le message envoyé aux promoteurs est qu'ils peuvent compenser le fait de ne pas construire de logements sociaux et communautaires sur le site de leurs projets moyennant une contribution minime, voire dérisoire. », peut-on lire dans le mémoire de l’Association des locataires de Villeray.
Le même point de vue est porté par les membres de Solidarités Villeray. « La compensation offerte pour ces démissions des autorités municipales, soit un maigre 300 000 $, est largement insuffisante et constitue plutôt un affront aux populations appauvries qui consacrent une large part de leur revenu à payer des loyers déjà excessivement chers, trop petits et insalubres. » La CDEC centre-nord recommande d’ailleurs que le promoteur et la ville bonifient le 300 000 $.
Pour l’heure, l’Office de consultation publique doit remettre son rapport aux élus de la Ville-centre au début de l’année prochaine. Si on se fie aux recommandations portées par certains citoyens et les milieux organisés, les élus devront refuser tout changement de zonage et au plan d’urbanisme pour le projet porté par Thibault, Messier, Savard et associés. Et même qu’il y ait un moratoire sur tout changement de fonction au niveau du 7400 et que les acteurs locaux et régionaux se réunissent pour maintenir la vocation communautaire et sociale du bâtiment actuel.