Gilles Gagnée, Graffici, Gaspé, février 2025
Il apparaît partout depuis des mois, ce qu’il apprécie sûrement, et bien des chefs d’État du monde tremblent, à son grand bonheur, devant ce qu’il menace de faire. Ils tremblent parfois avec raison, parfois sans que ce soit nécessaire. Bienvenue dans l’ère Donald Trump, deuxième tour de piste.
Si tout le monde a raison de se méfier de lui, de ses proches collaborateurs et de leurs idées, il faut arrêter de jouer leur jeu, du moins sur le plan de la peur. Il y a place à l’inquiétude, parce que l’homme est dangereux, tout comme les membres de son équipe.
Mais l’inaction par la paralysie découlant de la peur, c’est le dernier élément devant lequel il faut céder. Il faut surtout tenter d’établir au plus coupant des alliances avec d’autres partenaires politiques et commerciaux, des dirigeantes et des dirigeants qui respectent la démocratie et les êtres humains, plutôt qu’un homme reconnu comme un menteur, un criminel, un fraudeur, un abuseur de femmes dont les propos misogynes auraient dû suffire à l’exclure du bulletin de vote d’un pays supposément civilisé.
Donald Trump carbure à l’argent et au pouvoir, et sa méthode pour passer ses messages est l’intimidation, ce qui est paradoxalement l’arme des faibles. Il est clair que depuis sa victoire du 5 novembre, victoire réalisée en dépit d’un étalage assourdissant de mensonges et d’insultes, il se voit et se croit aux commandes du monde, ou tout près.
Il en tient aux personnes avec une colonne vertébrale de lui montrer le contraire. Ce ne sera pas simple, et ça nécessitera des négociations serrées, tant avec les Américains qu’avec des pays d’un peu partout, mais il y va de la protection de la démocratie, ce qui rime mal avec à-plat-ventrisme.
Quel lien établir entre Donald Trump et la Gaspésie ? Ses politiques isolationnistes, au sens où il semble vouloir transformer les États-Unis en une île sur le plan commercial, vont sans doute faire mal à certaines entreprises de la péninsule, dans le secteur forestier, dans les pêches commerciales, en production de composantes éoliennes et, peut-être, en tourisme.
Le bois : des effets à coup sûr
Par contre, il y a fort à parier que l’effet Trump s’estompe à plus ou moins brève échéance. Il prétend que les États-Unis peuvent facilement se passer du bois d’oeuvre canadien. Théoriquement, c’est vrai. Il pourrait trouver du bois ailleurs, pour combler le vide d’approvisionnement de 30 % que pourrait créer une éviction des produits forestiers canadiens, et favoriser l’utilisation d’autres matériaux en construction.
Mais ça compliquerait la tâche des entreprises américaines, qui s’approvisionnent ici depuis des générations. L’Europe alimente aussi le marché américain du bois d’oeuvre, mais les pays de ce continent font face aux mêmes menaces de tarifs.
Que le bois vienne d’Europe ou du Canada, l’effet sur les consommateurs américains sera le même; les tarifs créeront de l’inflation, un phénomène que Donald Trump a promis de combattre. Mais que vaut la promesse d’un
menteur invétéré, autour de qui gravitent certains des hommes les plus riches de la planète, des hommes qui n’en ont jamais assez et que le commun des mortels continue d’engraisser en achetant sur Amazon, Wal-Mart, ou en acquérant une auto Tesla, firme propriété d’Elon Musk ? Oui, celui qui affiche ses appuis à des néo-nazis!
Pêches : une géométrie à pas variable
Les Américains sont de loin les plus grands consommateurs de produits marins gaspésiens. Dans le secteur du homard, l’espèce est en déclin prononcé le long de la côte est des États-Unis, ce qui fait des provinces atlantiques et du Québec les principaux fournisseurs de ce crustacé.
L’imposition d’un tarif de 25 % aurait certainement des effets de ce côté de la frontière, même si le tarif est payé par les acheteurs du sud de la frontière et qu’il est versé, rappelons-le, au gouvernement Trump. Ce tarif affecte la capacité concurrentielle du produit sur lequel il est imposé parce que l’acheteur américain cherchera à se reprendre en négociant à la baisse le prix payé au Canada. Le homard reste un produit de luxe, et non une protéine de base.
Un facteur milite en faveur des exportations de produits marins : c’est la faiblesse du dollar canadien. Déjà, entre 2024 et 2025, notre dollar a perdu 10 % par rapport à sa contrepartie américaine. Un tarif de 25 % n’aura donc qu’un effet de 15 % en comparaison avec 2024.
La même logique s’étend aux autres produits marins. La situation pourrait cependant être pire en ce qui a trait au crabe des neiges, où la proportion des prises exportées vers les États-Unis dépasse 80 %. Le Japon demeure un débouché, mais ce pays en achète ici beaucoup moins qu’il y a 30 ans, en raison de la proximité du crabe des neiges de Russie.
Plusieurs usines gaspésiennes ont diversifié leurs expéditions depuis 20 ans, mais elles ont encore besoin du marché américain, en attendant de forger d’autres alliances commerciales.
Éolien : à moyen terme, le Québec peut avoir du contrôle
Dans le secteur éolien, LM Wind Power constitue l’usine gaspésienne dépendant le plus des exportations américaines, puisque pratiquement 100 % de sa production est acheminée au sud de la frontière depuis 2016. C’est encore le cas en début de 2025 et les contrats actuels de cette filiale de la firme multinationale General Electric (GE) maintiendront cette situation jusqu’à la fin de 2026, et le plus clair des 500 emplois de l’usine de Gaspé, espérons-le.
S’il y a un domaine économique dans lequel le gouvernement du Québec et Hydro-Québec pourraient affranchir les usines québécoises de leur dépendance vis-à-vis les livraisons vers les États-Unis, c’est bien le secteur éolien.
La stratégie énergétique annoncée le 30 mai 2024 prévoit l’addition de 10 000 mégawatts de capacité éolienne d’ici 2035. C’est deux fois et demie la capacité installée au cours des 25 dernières années au Québec. Il faudra investir environ 30 milliards de dollars pour y arriver.
Jusqu’à maintenant, l’État québécois n’a pas voulu inclure une clause de contenu régional ou national dans les appels d’offres présents et à venir.
En un sens, LM Wind Power jouit d’un avantage en Amérique du Nord parce que la seule autre usine de production de pales du continent appartient à la même firme, et elle est située au Dakota du Nord. L’usine de Gaspé démontre depuis des années qu’elle est capable de concurrencer sa « soeur ». Les tarifs de Trump pourraient cependant briser cet équilibre, même si les besoins en éolien aux États-Unis sont immenses.
Le gouvernement Legault jouit d’une occasion en or pour rendre la monnaie de sa pièce à Trump en jouant le même jeu, imposer des exigences de contenu québécois dans les prochains parcs éoliens. Saisira-t-il cette occasion ?