Article original 📰
Sébastien Champagne, Le Val-Ouest, Valcourt, octobre 2024
« Devant la crise sociale, le gouvernement doit passer à l’action pour relever le Québec »
Avant d’œuvrer dans le monde du communautaire, j’ai « toughé » un an à travailler à la chaîne dans une usine. Une usine qui fabriquait des trucs en plastique quelconque. Une usine où je portais un sarrau blanc qui avait davantage le but de me faire sentir faussement important que de me protéger. J’avais aussi une carte magnétisée pour entrer et sortir. Je punchais le matin, à la pause, après la pause, avant le dîner, après le dîner, avant la pause de l’après-midi, après la pause de l’après-midi et pour quitter.
En y repensant, probable que je punchais avant de me coucher pis rêver. Toute cette non-confiance que l’on m’accordait me rendait moins bon, moins efficace, moins tout. Avant d’être plus brisé que je l’étais, j’ai remis ma démission. Brutalement, sans réfléchir. Pour me protéger.
Une très mauvaise décision monétaire, mais la meilleure décision de ma vie pour ma santé mentale. Vingt ans plus tard, tous les trucs en plastique que j’ai fabriqués à la chaîne et que les consommateurs avaient achetés sont maintenant brisés, ont été mis aux poubelles ou enfermés à jamais dans une boîte de plastique empilée dans un sous-sol frette. Tout ce que j’ai fabriqué n’aura servi que quelques mois, au mieux, quelques années. Tout ce que j’ai fabriqué aura servi à engraisser une p’tite gang de gens du haut que l’on ne voie jamais. Rien de tangible, que du faux, du facile, du jetable, du nul dans l’absolu. Ah oui, en passant, Chapeau! aux gens qui sont capables de travailler à la chaîne. Vous exercez un métier noble et difficile.
Puis un jour, j’ai découvert le monde du communautaire « par pur hasard » comme dirait le chanteur beauceron, Fidèle Lachance. Il était temps. Un monde qui me ressemble davantage. Enfin !
Ça fait maintenant 15 ans que je travaille dans le communautaire. Quinze ans à côtoyer des femmes et des hommes qui me ressemblent. Quinze ans à collaborer avec des humains qui ont à cœur le sort de la communauté et des individus qui la composent. Les travailleuses et les travailleurs du communautaire, je les connais maintenant par cœur. En rafale : des militants, des féministes radicales ou non, des gars trop gentils, des empâtés morbides, des femmes trop patientes qui maternent même s’il ne faut pas materner, des défenseurs de la diversité, les ceux et celles qui disent celleux pis toustes, des chainsmokers naturopathes, des véganes, des repentis de la rue, des misfits, des awkwards, des porteurs de bretelles avec une casquette John Deer pis un keffieh en même temps. J’en oublie.
C’est une mosaïque d’humains absolument extraordinaire. Je les adore profondément.
On va se le dire, le monde du communautaire, même s’il choisit ce métier de plein gré, ça ne nage pas dans l’abondance. Ça ne va pas très souvent faire son traitement d’antirouille Métropolitain. Son windshield est pas mal tout le temps craqué, à l’horizontale, de bord en bord. Le premier char qui a de l’allure qu’il possède, c’est lorsqu’il est rendu passé 50 ans. Souvent un électrique usagé.
Le monde du communautaire, ça achète souvent dans les friperies, ça évite le Costco quand il est capable.
Le monde du communautaire, il n’a pas besoin de puncher. S’il arrive 20 minutes en retard le matin, il va rester 30 minutes de plus le soir. La job sera toujours bien faite. Avec cœur.
Le monde du communautaire, il n’a pas besoin de carte magnétisée, il ne te volera pas. En plus, nul besoin d’installer de caméra de surveillance sur son lieu de travail.
Le monde du communautaire, ça comprend que l’argent c’est important, mais que c’est le temps qui est précieux. L’argent, ça circule et ça revient. Le temps, non.
Le monde du communautaire, il va te faire de quoi d’impressionnant et durable avec de la colle, du scotch tape, du carton pis des bâtons à café.
Le monde du communautaire, tu ne peux pas le faire travailler dans une usine. Il serait super bon les trois premiers mois, ensuite le cœur n’y serait plus. Trop de routine banale qui sent le rubber chauffé. Pas assez d’étincelles de vie, de normalité.
Le monde du communautaire accordera toujours un moment à quelqu’un qui a besoin d’écoute. Il ne tombera jamais dans la sympathie qui sent le parfum cheap du genre : « Hooon, mon doux, pauvre toi ! ». Il sera toujours dans l’empathie aidante et enveloppante à la : « Viens dans mon bureau, on va prendre un café pis on va penser à quelque chose ensemble ».
Partout, dans chaque région, dans chaque village, dans chaque ville du monde, y sont toujours 5 000 000 pour fabriquer des gogosses en plastique et 12 pour œuvrer dans le communautaire. C’est comme ça. C’est le ratio qui oppose le capitalisme sauvage aux valeurs du cœur. Exactement comme les Jedi contre l’Empire dans Star Wars.
Chaque fois que vous ne voyez pas de vandalisme, chaque fois que vous n’entendez pas parler d’un suicide, chaque fois que vous ne voyez pas quelqu’un avoir faim, chaque fois que vous ne voyez pas quelqu’un perdu dans sa paperasse, c’est qu’il y a le monde du communautaire en arrière de ça. Alors, si vous voulez continuer à ne pas voir de suicide, de la faim, du vandalisme, eh bien, finançons le communautaire à sa juste valeur. Engagez-vous dans le communautaire. Créez-vous de nouvelles jobs qui ont du sens, qui réinventent la collectivité. Dans mon monde imaginaire, parallèle et alternatif, il y aurait vraiment moins de fabricants des gogosses et plus de gens qui réparent les humains.
En ce moment même, je suis certain que, partout au Québec, il y a énormément de femmes et d’hommes qui posent des stickers sur des gogosses en plastique à la journée longue sur une chaîne de montage et qui sont en pleine crise existentielle, en perte de repères. Le 5 000 000 fictif mentionné plus haut pourrait fondre comme neige au soleil quelque peu et venir arroser le jardin qu’est le communautaire, ça ne ferait aucun tort. Aucun.
En terminant, je le répète, Chapeau! à tous ces gens qui travaillent à la chaîne, et qui sont capables de puncher et de porter une carte magnétisée à la taille. Parce que des gogosses en plastique, dans notre société, ça en prend. Ça en prend même vraiment beaucoup pour soutenir nos existences de type puits sans fond accros au confort, à la facilité et à la rapidité. Mais ça en prendra toujours moins que de l’écoute, donner du temps, de l’empathie enveloppante, une tape sur l’épaule et de l’action. Créer du sens, contrairement aux gogosses en plastique, c’est durable dans l’absolu.