Image provenant du site de Graffici

Pouzzolane : comme un air de déjà vu

Gilles Gagné, Graffici, Gaspé, novembre 2024

Le projet d’exploitation de pouzzolane à Dalhousie, à un jet de pierre de la côte gaspésienne, plonge une partie de la population bordant la baie des Chaleurs dans un contexte rappelant la lutte entre 2003 et 2006 contre le projet d’incinérateur de la firme Bennett à Belledune, autre localité néobrunswickoise.

Il y a des similitudes. EcoRock Dalhousie se classe résolument dans l’industrie lourde, puisque la firme montréalaise veut exploiter 3 millions de tonnes de pouzzolane par an. La pouzzolane est une pierre volcanique s’étant déposée dans les limites de ce qui allait devenir 400 millions d’années plus tard une petite ville industrielle du nord du Nouveau-Brunswick.

La matière est incorporée dans certaines préparations de poudre de ciment. Elle réduirait alors l’impact du ciment en émissions de gaz à effet de serre. La pouzzolane contient autour de 52 % de silice. Cette silice, une fois broyée, occasionne de graves problèmes respiratoires pour quiconque respire ces poussières.

Bennett Environmental se classait aussi dans l’industrie lourde, en vertu de volumes plus modestes, venant du traitement éventuel d’un volume de 100 000 à 200 000 tonnes de sols contaminés par année. Le premier « contrat » devait mener Bennett à traiter des sols souillés à la créosote venant du New Jersey. Le temps a prouvé que ce contrat n’était qu’un mirage.

Bennett a tenté de se rattraper avec le nettoyage des étangs goudronnés de Sydney, en Nouvelle-Écosse; ces étangs sont situés dans l’un des endroits les plus pollués au pays, si ce n’est pas en Amérique du Nord. La turpitude de la direction de la firme, notamment coupable de délit d’initiés, par le biais d’une vente d’actions à fort prix préalable au dévoilement de l’absence de contrat, a fini par l’emporter.

Comme dans le cas de Bennett, le sort du projet de Dalhousie dépend largement de l’évaluation qu’en fera le ministère de l’Environnement du Nouveau-Brunswick. En 2003, le gouvernement du Québec, même s’il n’avait aucune emprise sur une initiative en construction à Belledune, avait tenté de faire pression, par le biais du ministre de l’Environnement, Thomas Mulcair, sur l’état néo-brunswickois du premier ministre conservateur Bernard Lord. L’opération s’était soldée par un échec.

Le processus d’évaluation environnementale au Nouveau- Brunswick est souvent qualifié de passoire par ses résidents. Bennett avait passé ce test. Jusqu’au 21 octobre dernier, le gouvernement était dirigé par le conservateur Blaine Higgs, un défenseur des grands projets industriels; une tendance influencée par ses années à l’emploi de l’empire pétrolier et papetier Irving.

Le nouveau gouvernement libéral de Susan Holt resserrerat-il le tamis d’évaluation d’un projet comme celui d’EcoRock Dalhousie? Il ne peut faire pire que celui de M. Higgs, mais la question demeure entière, d’autant plus que le promoteur ne déposera pas son étude d’impact avant 2026. En plus des aspects scientifiques liés à l’exploitation de pouzzolane, le gouvernement Holt devra statuer sur un élément beaucoup plus subjectif : l’acceptabilité sociale. Jusqu’à maintenant, les opposants ont été plus expressifs que les partisans du projet. Et ces partisans existent.

Pendant ce temps, à Ottawa

Le gouvernement fédéral devra manifestement, par le biais de son ministère des Pêches et des Océans, évaluer le dragage projeté par EcoRock Dalhousie. Là aussi, la tradition fédérale débouche rarement sur des contraintes bloquant un projet.

De plus, imaginons un gouvernement dirigé par Pierre Poilièvre, favorable aux initiatives polluantes. Il y a fort à parier qu’il allégera tout ce qui s’appelle contraintes environnementales.

Théoriquement, le gouvernement fédéral peut également intervenir pour évaluer un projet de mine quand elle dépasse un volume de production de 3,5 millions de tonnes. Les promoteurs, bien qu’ils le nient, semblent avoir choisi le seuil de 3 millions de tonnes pour éviter une intervention fédérale de la partie terrestre du projet.

Un sentier moins sinueux

Rien ne prouve pour le moment qu’administrativement, EcoRock Dalhousie empruntera une route aussi tordue que celle de Bennett. C’est notamment là que s’arrête toute similitude avec Bennett Environmental.

Le directeur général, Francis Forlini, est arrivé en juillet de Votorantim, société mère de Ciment Saint Mary’s, propriétaire de la cimenterie de Port-Daniel. Il y était vice-président au marketing pour Votorantim au Canada. Le président d’EcoRock Dalhousie, Guy Rousseau, est connu comme le premier promoteur sérieux de la cimenterie de Port-Daniel. Il a vendu ses actions en 2016. Ils sont flanqués de Réjean Carrier, qui possède aussi de l’expérience considérable dans le domaine.

Bref, les opposants au projet font face à des gens rompus au monde des affaires. Contrairement à John Bennett en 2003, les trois hommes sont venus présenter leur projet en Gaspésie, sachant qu’ils se feraient rabrouer. Ils avaient vécu le même traitement à Dalhousie en septembre.

Ce serait donc une erreur pour les opposants de conclure à l’incapacité des promoteurs de la mine.

Le facteur autochtone

Depuis que le public est appelé à se prononcer sur le projet de mine, les Autochtones d’Eel River Bar, la communauté mi’gmaq enclavée dans la ville de Baie-des-Hérons, elle-même comprenant les anciennes limites municipales de Dalhousie, ont dénoncé unanimement le projet.

Du côté gaspésien, c’est plus discret. Listuguj, située à moins de 20 kilomètres de la carrière, sort d’une élection au conseil de bande. Plusieurs de ses citoyens veulent évaluer le projet dans son ensemble, et vérifier à quel point ils seront consultés par la direction d’EcoRock Dalhousie.

Les Mi’gmaq veulent aussi s’assurer qu’ils ne seront pas les « Autochtones de service », qu’on ne comptera pas sur eux pour faire le bout de travail que les Blancs n’arrivent pas à faire.

Enfin, les Mi’gmaq semblent avoir compris que la question entourant la mine de pouzzolane s’étirera sur au moins trois ans, qu’elle sera émotive, et que les opposants devront mesurer leurs efforts, se garder des réserves pour éviter l’épuisement.

La lutte outre-frontière

Il est plus facile – moins difficile serait plus juste – de se battre contre un projet susceptible d’être érigé dans une autre province. Les Gaspésiens ont mené une lutte vigoureuse contre Bennett il y a 20 ans. Ils étaient moins nombreux à manifester contre la cimenterie de Port-Daniel, sise dans une MRC, celle du Rocher-Percé, durement éprouvée entre 1999 et 2006 par la fermeture de la papeterie Gaspésia, et par les échecs de sa relance.

La bataille contre la mine de pouzzolane ravive la mobilisation. On peut comprendre la solidarité interprovinciale, Dalhousie d’une part, Miguasha et Escuminac d’autre part, étant si proches.

Le défi semble énorme pour la direction d’EcoRock Dalhousie. Il faudrait que tout se fasse sans dynamitage, que le concassage et le broyage ne dégagent aucune poussière, sans bruit perceptible, et que le chargement des navires s’effectue aussi sans dégagement de poussière dans la baie des Chaleurs.

Il faudrait aussi que le dragage des sédiments du port, où du minerai concentré en zinc – contenant aussi des quantités résiduelles de plomb et de cuivre – s’est longtemps échappé lors du chargement de navires, ne remette pas en suspension ces matières. C’est sans compter les hydrocarbures. Les méthodes de transbordement et la conscience écologique n’étaient jadis pas très aiguisées.

Si le ministère de l’Environnement du Nouveau-Brunswick fait réellement son travail, la direction d’EcoRock Dalhousie devra minimalement démontrer qu’exploiter la pouzzolane permet de réduire les émissions générées par la production d’une tonne de ciment, après le mélange avec du clinker.

La firme devra aussi démontrer comment elle peut éviter les désavantages de ses initiatives : les poussières et leur impact sur la santé, le bruit, l’aspect visuel et l’effet du brassage de sédiments sur la vie marine et terrestre.

La tâche promet d’être ardue.