Lise Millette, L’Indice bohémien, Abitibi-Témiscamingue, septembre 2024
Arrivé au printemps 2016 comme chercheur postdoctoral au sein de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT), Vincent Poirier avait été recruté pour effectuer des recherches en lien avec la séquestration du carbone dans le sol agricole.
Pour le chercheur originaire de Québec, cette offre constituait un accès vers son rêve de devenir professeur à l’université, avec toutefois pour corollaire de quitter sa zone de confort et de migrer de la vie urbaine provinciale à la ruralité, dans une région qui lui semblait inconnue.
« Je connaissais l’UQAT, puis Rouyn-Noranda et Val-d’Or de nom, mais sans plus. Pour moi, l’Abitibi-Témiscamingue était d’abord caractérisée par les activités minières et forestières. Je ne soupçonnais pas une écologie aussi différente, je pensais que tout était nordique et boréal. J’ai découvert que le climat du Témiscamingue était plus laurentien, avec des érablières au sud et une agriculture riche et diversifiée. J’ai découvert un territoire agréable et étonnant », confie le directeur scientifique du Laboratoire d’analyse agricole de l’UQAT et de l’Unité de recherche et de développement en agroalimentaire de l’Abitibi-Témiscamingue (URDAAT).
Petit à petit, l’oiseau a fait son nid. Maintenant établi à Duhamel-Ouest, où il s’est « acheté un projet », comme il le dit lui-même, il s’est ancré au Témiscamingue. Il peut entendre le bruit des vagues lorsque le lac est agité, ou encore les oiseaux qui crient et chantent, en quête de nourriture ou de reconnaissance.
Étudier le sol pour comprendre le vivant
« Avec le cheminement de mes études, tant en agronomie qu’en biogéochimie des sols forestiers, globalement, ce qui m’a toujours intéressé au sol, ce sont les aspects vivants et tout ça est relié au carbone qu’on y retrouve », mentionne Vincent Poirier, précisant que les enjeux climatiques et l’urgence qui y est associée ont aussi teinté son intérêt à saisir les mécanismes complexes qui y sont reliés.
« L’impact qu’on a comme humain sur notre environnement est considérable. Nous ne sommes pas des végétaux n’est-ce pas, on ne fait pas de la photosynthèse. On utilise la nature pour survivre », lance-t-il.
Avant de déterminer ce qu’il faut cultiver ou comment le faire pour séquestrer plus de carbone, encore faut-il connaître les mécanismes, les interactions entre le vivant, les services écosystémiques qui interviennent c’est-à-dire les effets en chaînes qui mènent à des résultats, qu’il s’agisse de rendements des cultures ou encore de stockage de carbone, par exemple.
« Le sol est le plus grand réservoir de carbone après les océans. Il y en a plus que dans les grandes forêts tropicales. La façon dont on va gérer et utiliser les terres, nos pratiques agricoles, vont avoir un impact sur les quantités séquestrées et celles qu’on va perdre », résume-t-il.
Des recherches terrain audacieuses
Au printemps 2020, en pleine COVID, Vincent Poirier élabore un projet en agroforesterie. Avec une équipe de partenaires, il met en place des haies agroforestières à Dupuy, en Abitibi-Ouest, sur une ferme bovine. L’objectif : compenser ce qui est émis en gaz à effet de serre par les animaux tout en ayant un sol déjà très riche en carbone.
Ces haies comprennent, simultanément ou en partie, trois essences d’arbres, peuplier hybride, épinette blanche et érable rouge, soit un arbre à croissance rapide, un résineux et un feuillu.
« C’est une expérience unique au Québec et c’était osé de faire cette demande-là. Je ne tiens pas à pousser mes idées à tout prix, pour moi, ce n’est pas la définition d’une relation gagnante. Je suis un chercheur, je peux avoir des idées, mais il faut aussi le reflet des praticiens, des agricultrices et agriculteurs », explique le professeur en sciences du sol.
Demander de reboiser en partie des terres, dans une région où il n’y a pas 100 ans, les premiers colons se sont échinés à labourer et essoucher représente en effet une demande délicate. D’autant plus qu’il s’agit de travaux de recherche, sans garantie de résultats, alors que les enjeux de rentabilité agricole sont criants.
« Ce qui m’a impressionné, c’est l’ouverture des gens à dire “OK, on est rendu là” et leur capacité à accepter de tenter quelque chose. Il n’y a pas eu de résistance. Ce sont des gens qui ont aussi la capacité de voir en avant, de se projeter », dit-il, admiratif et fier de cette collaboration qui commence à porter ses fruits.
« Visuellement, on ne voit pas nécessairement tous les effets, mais dans le sol on peut noter des éléments encourageants », a-t-il observé.
Cultiver l’optimisme
Au laboratoire de l’UQAT à Notre-Dame-du-Nord, une dizaine de personnes travaillent à temps plein. Les mandats vont de la recherche fondamentale aux services à la communauté.
« Quand je suis arrivé dans la région, quand j’ai vu la qualité des installations, j’ai été sidéré. Un parc analytique incroyable, une vue sur le lac, des locaux installés dans un tout petit village de 1 000 personnes. On nourrit notre laboratoire avec des équipements, en essayant de redonner à la communauté, en offrant des services pour faire évaluer la valeur nutritive des fourrages par exemple. Ça me nourrit ».
La production agricole est responsable d’environ 12 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde, ce n’est pas l’unique avenue où des changements doivent s’opérer. Néanmoins, il y voit du potentiel et des possibilités.
« Si on regarde ce qui se passe au niveau climatique, nous sommes sur l’autoroute et on a besoin d’un changement de voie », résume Vincent Poirier.
Devant la somme de ce qu’il faut accomplir et même si le travail en nature prend du temps, il demeure résolument convaincu des possibilités.
« Je suis une personne optimiste. J’ai cette fibre-là. Je fais confiance autant aux gens qu’à la vie et je pense qu’on peut avoir espoir », résume Vincent Poirier, ajoutant qu’« à notre échelle, il faut apprendre à consommer moins, c’est ça aussi qui est un enjeu. »