Sébastien Michon, Le Val-Ouest, Valcourt, 21 août 2024
Le site du Camping Havana Resort, à Maricourt, accueille tout l’été le spectacle équestre Apzara. L’une des 12 artistes de la troupe est venue spécialement de Las Vegas pour participer, avec ses chevaux, au spectacle «La grange».
Alina Stasik, 31 ans, est passionnée des chevaux depuis sa tendre enfance. À l’âge de trois ou quatre ans, elle demandait déjà à ses parents d’avoir un cheval. C’est sa tante, une cavalière, qui les a convaincus de la laisser suivre des cours d’équitation.
« C’est ce que je veux faire dans la vie! »
À l’âge de six ans, elle assiste à un spectacle équestre qui va changer sa vie. «La cavalière avait un costume bleu et blanc et montait un cheval noir et blanc. Je me souviens encore de ses performances. Ça me donne des frissons d’en reparler. Après l’avoir vu, je me suis dit : c’est ce que je veux faire dans la vie!», confie-t-elle.
Des rodéos professionnels à 14 ans
Dès l’âge de sept ans, elle apprend la voltige d’un de ses entraineurs des Westernaires. Une organisation située au Colorado qui forme des jeunes dans la tradition équestre du rodéo.
Alina Stasik commence à offrir des performances à l’âge de 11 ans. Puis, à 14 ans, une entreprise l’embauche de temps à autre pour participer à des rodéos professionnels.
Son emploi du temps est alors très chargé. Une heure d’entraînement physique, une heure de ballet, une heure d’étirement et trois heures d’entraînement avec les chevaux. Tous les jours. «J’étais parfois fatigué», se souvient-elle.
« Papa, maman, je vais joindre le cirque! »
Elle termine le «high school» à 17 ans. Comme la plupart des jeunes de son âge, elle planifiait s’inscrire au collège pour poursuivre ses études. Mais le destin en a décidé autrement. «Un cirque s’est installé dans la ville où j’habitais. Je suis allé parler avec les artistes et on m’a fait auditionner le soir même.»
Deux jours plus tard, elle faisait ses bagages et se joignait à ce cirque avec ses deux chevaux. Depuis, elle n’a jamais cessé d’être sur la route.
« Une professionnelle sur piste et hors de la piste »
Aujourd’hui, 14 ans plus tard, elle se retrouve à Maricourt pour l’été. Parce que son profil correspondait exactement à ce que Franck Innocenti, propriétaire d’Apzara, recherchait pour son spectacle.
«Je voulais un ou une artiste qui avait ses propres chevaux, car il en manquait quelques-uns. Alina m’a été référée par des amis que nous avons en commun. Je connaissais un peu ce qu’elle faisait. J’avais toujours eu de bons commentaires sur elle. C’est une professionnelle sur piste, mais aussi en-dehors de la piste. Avec une mentalité avec les chevaux qui me rejoint. C’est très important pour moi. Ça fait partie de mes critères», explique le maître équestre.
« Les chevaux sont aimés et nous en prenons soin »
Alina Stasik abonde dans le même sens.
«Franck est un homme qui comprend les chevaux. Mon cheval s’est blessé au début de l’été et Franck a apporté son support. C’est l’un des premiers spectacles auquel je participe que le propriétaire n’est pas fâché à propos de ça. Il se soucie du bien-être des chevaux, comme moi. C’est ce qui rend cette production spéciale. Parce que les chevaux sont aimés et nous en prenons soin. Ça devrait être comme ça partout dans l’industrie. Mais ce n’est pas le cas.»
Représentation privée dans un château
La cavalière a déjà travaillé auparavant au Canada et au Québec. «En fait, j’ai presque passé la moitié de ma carrière ici. J’ai entre autres fait partie de Cavalia. J’ai aussi offert des représentations privées. Dont certaines dans de très beaux endroits. Comme celle où un propriétaire offrait, pendant trois jours, un party dans son château. C’était spectaculaire.»
«Pas beaucoup de spectacles comme celui de Maricourt»
«La grange» est un contrat d’exception. Qui lui permet, ce qui rare, d’utiliser tous ses talents dans une même représentation.
«Il n’y a pas beaucoup de spectacles comme celui de Maricourt ailleurs en Amérique. On y retrouve des performances théâtrales équestres dans lesquelles on mêle des performances de cirque. Nous pouvons aussi jouer des personnages. C’est une situation parfaite parce que je fais tout ce que j’aime.»
Intimité avec les spectateurs
Les installations sont évidemment plus modestes qu’à Las Vegas. Mais Alina Stasik y trouve son compte. «Le chapiteau est petit (250 personnes), ce qui fait que je performe à quelques pieds des spectateurs. Je peux bien les voir. La semaine dernière, il y avait une jeune fille qui assistait au spectacle. À la fin de la représentation, je l’ai pointée du doigt pendant mon dernier tour de piste. Après, elle est venue en arrière-scène et je l’ai laissé m’aider à brosser mon cheval. Ce sont des moments comme ça que tu ne vis pas dans de grandes arènes comme à Vegas.»
« Nous avons plus de liberté »
L’approche artistique du maître équestre Franck Innocenti lui convient. «Souvent, ceux qui ont conçu des spectacles ont une idée en tête et ils veulent que tu la fasses à tout prix. Franck a prévu un scénario. Mais nous avons une certaine liberté pour faire ce que nous voulons sur scène.»
«Nous apprenons et nous nous aidons les uns les autres»
Alina Stasik aime l’équipe avec laquelle elle travaille pour tout l’été. «Nous sommes des «gens de chevaux». Avec des connaissances et des «backgrounds» différents. Nous apprenons les uns des autres. Et nous nous aidons.»
Camping Havana : un «party orienté vers les familles»
Pour elle, le Camping Havana Resort, où est offert le spectacle, lui rappelle chez elle. «C’est un endroit où il y a toujours une ambiance de party. Comme à Vegas. Mais sans les jeux d’argent. C’est une version de party plutôt orientée vers les familles.»
« J’aime venir au Québec »
Alina Stasik apprécie son séjour à Maricourt. «Je vis dans le désert. C’est vraiment bien de voir du vert : des herbes, des arbres… Chez nous, le sable rend le paysage brun. C’est une beauté différente.»
Elle ajoute :
«J’aime venir au Québec. J’apprécie les gens et la culture. Je dois par contre améliorer mon français. Parce que tout le monde me parle tout de suite en anglais!»
Peu de professionnels équestres
Liberté, voltige cosaque, cascades… Ces talents, qu’on retrouve aussi chez d’autres artistes de la troupe d’Apzara, sont rares en Amérique. Selon elle, pas plus de 10 à 20 cavaliers aux États-Unis offrirait ce niveau de polyvalence et de performance. Et quelques autres au Canada. Ce qui en fait une spécialité très rare sur le marché. «En Europe, on en voit davantage», souligne-t-elle.
Ce que Franck Innocenti confirme. «En Amérique du Nord, c’est un petit milieu. Nous nous connaissons presque tous.»
« Il faut être un peu fou »
L’artiste avoue qu’il faut être un peu «fou» pour travailler de cette façon avec des chevaux. «Je m’assois, je suis debout ou je m’attache à un animal de plus de 1000 livres qui court très vite. Un animal qui, dans la nature, est une proie. Ce qui veut dire que les chevaux ont parfois peur. Je peux penser que je suis en contrôle, mais il y a toujours un risque. Alors oui, nous sommes fous, mais dans le bon sens! (rires)»
Elle souligne toute l’importance du partenariat entre le cheval et l’humain.
«Je rampe sous les chevaux pendant le spectacle. Ou encore je lâche les rênes. S’il voulait, le cheval pourrait me faire mal. Mais nous travaillons ensemble. Nous sommes devenus une équipe.»
« Un art qui se meurt »
Alina Stasik constate la lente disparition des spectacles avec des animaux. Le célèbre cirque américain Barnum, qui a dû fermer ses portes en mai 2017 après 146 ans de représentations, en est l’illustration parfaite.
«C’est un art qui se meurt», déplore-t-elle. «Quand j’étais plus jeune, mon horaire était réservé trois ans d’avance. Aujourd’hui, il n’y a plus autant de travail.»
« Ma vie entière est dédiée à mes chevaux »
Elle croit que le public ne comprend pas toujours bien tout ce qu’exige cette collaboration entre les humains et les animaux.
«Ma vie entière est dédiée à mes cinq chevaux. Ils mangent, dorment et sont confortables avant moi. Tout mon argent leur est consacré. Et je suis bien fière de ça.»
Elle se trouve d’ailleurs immensément chanceuse de pouvoir passer autant de temps avec ses chevaux. «La plupart des propriétaires n’ont pas cette opportunité d’être avec leur animal 24 heures sur 24, sept jours sur sept. C’est mon cas. Même lorsque je suis à la maison, je suis tout le temps avec eux. Passer mon temps avec les chevaux, c’est essentiellement ce que je suis. Toute ma vie tourne autour de ça. Je ne peux pas imaginer ma vie sans mes chevaux.»
Apprentissages : dévouement, compassion et calme
La cavalière constate à quel point le fait d’offrir autant d’amour et d’attention à un cheval change positivement sa personnalité. «J’apprends aux chevaux à agir. Mais eux aussi m’enseignent. C’est un véritable partenariat.»
Justement, que lui ont enseigné les chevaux? « À me dédier entièrement à quelque chose. Je ne suis pas un parent. Mais j’imagine que lorsqu’on a des enfants, on les met en premier. C’est la même chose avec les chevaux. Lorsque je suis malade ou que je me suis cassé des os (ça m’est arrivé plusieurs fois), je m’occupe quand même de mes chevaux. »
Elle ajoute :
«Les chevaux m’apprennent aussi la compassion. Le lien que je peux avoir avec cet animal ne peut être comparé à rien d’autre. C’est une connexion exceptionnelle.»
Alina Stasik a aussi appris à devenir très calme. «Je ne peux pas laisser mes émotions prendre le dessus. Le cheval le sentirait. Je dois m’entrainer à être tranquille. C’est une chose très difficile à faire. Je constate que les jours où je suis nerveuse, ça affecte mes chevaux. Au fil du temps, je m’entraine à devenir calme, peu importe la situation. Et à être patiente.»
Difficile de créer une « vie normale »
Une existence qui rend toutefois bien difficile la possibilité de s’établir quelque part et de fonder une famille. «Je suis mariée. Mon conjoint m’apporte son support. En ce moment, il est à la maison, à Las Vegas, pendant que je suis ici pour cinq mois. C’est très difficile de créer une «vie normale».»
Mais l’appel de la route est, pour le moment, beaucoup plus fort.
«Depuis cinq ans, je n’arrête pas de dire que je vais prendre ma retraite et fonder une famille. Mais dès qu’il y a un appel pour m’embaucher pour un spectacle, je reconnecte avec le fait que j’adore ça… et je repars! (rires).»
« Je suis la personne la plus chanceuse au monde »
Alina Stasik ne manque pas de superlatifs pour parler de son travail qui est aussi sa passion. «C’est le plus beau métier et je suis la personne la plus chanceuse au monde. Je monte des chevaux, je rencontre des gens, je découvre de nouveaux endroits et j’expérimente de nouvelles cultures.»
« À bientôt sur la route »
Qu’est-ce qui est le plus difficile? Les départs, répond-elle.
«J’ai vécu à tellement d’endroits. Et j’y dépose mon cœur à chaque fois. Quand je pars, je ne sais jamais si je reverrai un jour toutes ces personnes que j’ai côtoyées. Dans un cirque, on ne dit jamais «au revoir», mais plutôt : «à bientôt sur la route».»