En quête des secrets de la nappe phréatique à Saint-Hippolyte

Laure Chazerand, Le Sentier, Saint-Hippolyte, juin 2024

Grâce à un investissement de 289 165 $ dont un montant de 144 000 $ provient du Programme Défis Innovation / volet villes intelligentes et durables de l’organisme IVÉO et une contribution de 145 165 $ injectée par l’entreprise Smartrek, la municipalité de Saint-Hippolyte sera en mesure de lire la nappe phréatique en temps réel, une première dans la province.

L’eau est une ressource essentielle, mais pas sans fond. L’eau douce représente 3 % de l’ensemble de l’eau sur la Terre. L’eau souterraine est l’eau qui se trouve sous la surface du sol et qui remplit les interstices du milieu géologique. Les formations géologiques sont souvent saturées; il en résulte que l’eau souterraine est 75 fois plus abondante que l’eau de surface. Elle est une ressource importante, mais limitée. L’eau souterraine circule de manière différente selon la nature des matériaux. Un aquifère correspond à une formation géologique saturée d’eau et suffisamment perméable pour permettre l’écoulement d’une quantité d’eau suffisante pour une exploitation. Deux types de milieux géologiques peuvent former des aquifères : le roc fracturé qui constitue la croûte terrestre, nommé aquifère de roc fracturé, et les dépôts meubles ou l’ensemble des sédiments qui recouvrent le socle rocheux appelé aquifère granulaire. L’aquifère représente la matrice géologique dans laquelle l’eau circule (le contenant) tandis que la nappe représente l’eau qui circule dans l’aquifère (c’est son contenu).

Selon le Programme d’acquisition des connaissances sur les eaux souterraines, mis sur pied en 2008 par le gouvernement du Québec et réalisé par l’Université du Québec à Montréal, 20 % de la pluie se rend à la nappe phréatique. La recharge se fait surtout au printemps et à l’automne. L’évapotranspiration prend le relais durant l’été. La plupart des lacs, cours d’eau et milieux humides sont connectés à l’eau souterraine. Les cours d’eau sont principalement alimentés par l’eau souterraine en été.

Portrait de la situation à Saint-Hippolyte

À l’automne 2015, la municipalité de Saint-Hippolyte s’est engagée dans une collaboration avec l’Université de Montréal afin de protéger et d’améliorer sa gestion des ressources en eau. Trois axes prioritaires ont été définis : la caractérisation des eaux souterraines et des eaux de surface ainsi que des zones d’érosion et de sédimentation, le développement d’un plan de gestion intégrée des ressources en eau. Parmi les résultats, il a été constaté que l’indice de vulnérabilité des aquifères est à 56 % faible et 7 % élevé.

En 2020, une exploration statistique des données du Système d’Information Hydrogéologique du Québec (SIHQ) a été réalisée sur les 2741 puits répertoriés au sein de la municipalité. En moyenne, les puits sont d’une profondeur de 80,8 m, la nappe phréatique est à 6,1 mètres, la roche mère est d’une profondeur de 3,7 m, le débit de pompage est de 9,1 litres par minute et l’âge moyen des puits est de 13 ans.

En résumé, à Saint-Hippolyte, les dépôts de surface sont minces et composés de till (dépôt glaciaire de sédiments consistant en un mélange d’argile, de sable, de gravier et de blocs rocheux) ou de sable. Par conséquent, presque tous les puits sont creusés dans le roc. Le roc est peu fracturé, typique du Bouclier canadien, ce qui réduit la conductivité hydraulique (vitesse de l’eau). Les débits de pompage sont donc faibles à moyens dans beaucoup de puits. La vulnérabilité des nappes phréatiques à la contamination, par les eaux de surface, est faible à moyenne, même si elles sont libres puisqu’il n’y a pas d’aquitard. Ce dernier est une formation géologique agissant comme une barrière naturelle à l’écoulement pouvant isoler un aquifère de la surface, contribuant ainsi à le protéger des contaminants venant de celle-ci. Cette faible vulnérabilité est liée au fait qu’il n’y a pas d’industries polluantes ni agricoles sur le territoire hippolytois. La conclusion à cette étape est que l’eau est présente, elle est juste difficile à pomper.

Instauration des études hydrogéologiques

Les inquiétudes des citoyens subsistent et la Municipalité veut prévenir les problèmes de manque d’eau comme ceux qui sont survenus à Saint-Lin-des-Laurentides, à Sainte-Anne-des-Lacs ou encore à Saint-Rémi en Montérégie. Est-ce que les eaux souterraines sont en quantité suffisante pour satisfaire les besoins projetés d’alimentation en eau ? Quels sont les impacts sur les puits existants exploitant la même nappe phréatique ? La recharge de la nappe phréatique, directement reliée au couvert de neige et à l’altitude, est moyenne dans les Laurentides, soit entre 200 à 300 mm par an. En 2022, un règlement municipal est adopté obligeant les promoteurs immobiliers à fournir des études hydrogéologiques. Les objectifs sont d’évaluer la quantité d’eau que doit fournir l’aquifère (soit 250 litres par personne par jour) et estimer la capacité de l’aquifère à fournir de l’eau, ce qui comprend la vitesse d’écoulement, le taux de renouvellement de la nappe et le bilan hydrique.

Un pas vers des réponses tangibles des eaux souterraines : le suivi piézométrique, projet pilote dans le secteur du lac Bleu

Le suivi piézométrique est l’enregistrement en continu des variations du niveau d’eau dans un puits à l’aide d’une sonde. L’objectif est donc de mesurer les variations du niveau de la nappe phréatique pour suivre son évolution, identifier des signes de surexploitation, mesurer le sens de l’écoulement de l’eau souterraine, évaluer l’effet local des débits de pompage surtout lors des périodes de pointe et savoir si les puits proches s’influencent.

À l’affût des technologies, le directeur général de la municipalité de Saint-Hippolyte, Mathieu Meunier, dépose un dossier à IVEO qui se conclut par une aide financière de 144 000 $. Smartrek, entreprise d’innovations technologiques établie à Lévis, injecte une somme de 145 165 $ correspondant à la trentaine de sondes autonomes sur batterie qui seront installées dans le secteur névralgique du lac Bleu et sur les puits municipaux. Un partenariat avec l’organisme Mitacs a également été conclu pour financer les travaux d’une doctorante de Polytechnique à Montréal qui analysera, sur une période de deux ans, les données récoltées en temps réel par ondes cellulaires, stockées sur un serveur. Le projet est subventionné à 100 % et n’affecte en rien l’utilisation des taxes des citoyens. L’installation des sondes sur des puits très productifs et moins productifs, pour une bonne représentativité, est le résultat des conseils de scientifiques et d’un sondage mené auprès des citoyens du lac Bleu souhaitant participer au projet.

Les changements climatiques ayant un impact sur la recharge de la nappe phréatique, les variations pourront être lues à travers les semaines et les mois sur une période de deux ans. Les résidents concernés auront également accès à l’information sur une application sécurisée et pourront agir sur l’impact de leur consommation et conscientiser leur entourage.

En 2026, la municipalité acquerra son autonomie et elle pourra étendre son champ d’action sur le territoire. Une lecture des niveaux de la nappe phréatique en continu sur plusieurs années permettra d’établir la tendance. La municipalité sera alors en mesure d’ajuster sa réglementation et ses communications afin d’assurer une protection optimale de la nappe phréatique, comme prévu dans son plan de conservation. Entre-temps, chaque geste individuel peut faire la différence sur la préservation de cette ressource.

Sources :

Université de Montréal.

Conférence sur les eaux souterraines, février 2023, Municipalité de Saint-Hippolyte.

PACES Laurentides – Les Moulins, UQAM.