Sébastien Michon, Le Val-Ouest, Valcourt, juin 2024
À Racine, un groupe de voisins se sont retroussés les manches pour fabriquer collectivement, le 15 juin dernier, un four à pain. Une construction traditionnelle en adobe. C’est-à-dire un mélange d’argile, de sable, d’eau et une petite quantité de chanvre. Une corvée communautaire sous la supervision de Pierre Nadeau, propriétaire de l’entreprise Terra Kama de Eastman.
«C’est un projet que j’avais en tête depuis très longtemps. J’aime tout ce qui est traditionnel et artisanal. Quand une de nos voisines a lancé l’idée, ma conjointe et moi avons pris la balle au vol », témoigne le Racinois Jean-Christophe Boureau, l’un des instigateurs du projet.
Un Québécois au Japon qui s’inspire d’un auteur de Californie
Pour se faire aider dans la construction, ce groupe de voisins a fait appel à Pierre Nadeau, qui a développé une expertise dans le domaine. « J’ai construit mon premier four à pain lorsque j’habitais au Japon, en 2006. Je me suis basé sur le livre Build Your Own Earth Oven écrit par Kiko Denzer sur la fabrication de fours pour la cuisson au bois. Dans son livre, l’auteur, qui est Californien, dit que les meilleurs fours qu’il a trouvés sont québécois («Traditional Quebec Oven»). Je trouvais ça drôle d’être un Québécois, au Japon, qui lit un auteur californien qui dit être inspiré par les fours d’ici.»
Raffiner son art au fil des ans
Pierre Nadeau a affiné, au fil des ans, son art à coup d’essais et d’erreurs. Tant et si bien qu’en 2014, ce forgeron de métier choisit de démarrer sa propre entreprise de construction de fours à pain pour s’assurer un revenu d’appoint. « La première année, je n’en ai vendu qu’un seul. L’année suivante, trois. Aujourd’hui, j’en construis en moyenne une vingtaine par été. » Des fours qui se retrouvent non seulement en Estrie, mais aussi un peu partout au Québec et dans l’est de l’Ontario.
Au Québec, il n’y aurait que deux entreprises qui offrent ce type de service de construction de fours à pain : Terra Kama, à Eastman, et Fourapain.ca, à Greenfield Park. Cette dernière entreprise a été créée au début des années 2000 par un autre passionné, Jean Laberge. Celui-ci aurait entre autres appris sa technique auprès de l’ancien syndicaliste et professeur d’université Gérald Larose.
Le four à pain, lié à l’histoire du Québec…
Le four à pain est intimement lié à l’histoire du Québec. « Les fermes des colons étaient très éloignées les unes des autres. Plusieurs possédaient leur four à pain. Il y avait aussi des villages avec des fours partagés. »
Certains de ces fours à pain historiques du Québec sont d’ailleurs classés patrimoniaux par le ministère de la Culture. Comme par exemple un four à Saint-Damase-de-L’Islet (1917) ou un autre qui se trouve à Saint-Jean-sur-Richelieu (entre 1800 et 1850).
… mais peu étudié des historiens
La documentation qu’on retrouve sur les fours à pain traditionnels au Québec date en grande partie des années 1970. Comme les livres «Les fours à pain au Québec» de Lise Boily et Jean-François Blanchette (1976), «Le four à pain à Québec aux XVIIe et XVIIIe siècles» d’Alain Rainville (1977), «Le pain de l’habitant» de Jean-Claude Dupont (1974) et «Le four de glaise» de Germain Lemieux (1981).
Certains ouvrages mentionnent aussi ces fours parmi d’autres thématiques, comme «La maison traditionnelle au Québec» de Michel Lessard et Gilles Vilandré (1974) ou encore «Les chemins de la mémoire. Monuments et sites historiques du Québec. Tome II» (1991).
Les cinéastes Léo Plamondon et Bernard Gosselin ont quant à eux réalisé, en 1977, deux courts-métrages documentaires à l’Office national du film (ONF) : Le pain de l’habitant – construction du four (1re partie) et Le pain de l’habitant – la cuisson (2e partie). Une oeuvre cinématographique qui permet de directement plonger dans le quotidien de la ruralité québécoise d’il y a un demi-siècle. Où on utilisait encore, dans certaines campagnes, des techniques de construction ancestrales transmises de génération en génération.
Malgré la publication de ces livres et documentaires, il semblerait que peu d’historiens se soient intéressés à cette question. « À vrai dire, on trouve peu de choses sur les fours à pain dans les études parues jusqu’ici. Il y a cependant dans des ouvrages généraux sur le folklore canadien-français de brèves considérations sur le sujet », mentionnent les auteurs Lise Boily et Jean-François Blanchette dans leur livre.
Préparé à l’automne, construit au printemps
Pierre Nadeau s’intéresse à la façon traditionnelle dont on construisait ces fours.
« On préparait l’adobe à l’automne. Les gens extrayaient l’argile du bord d’une rivière ou d’un terrain où on en avait trouvé. Lorsque l’argile sort de la nature comme ça, elle est compactée depuis des centaines de milliers d’années. Elle est très dure et difficile à broyer. On mélangeait ça avec un peu de sable et on mettait de la paille coupée dedans. Le mélange restait dehors tout l’hiver. Le gel broyait l’argile. Et la paille commençait à se décomposer partiellement. On appelait ça « fleurir ». Au printemps, on se retrouvait avec une «gibelotte». Qu’on avait juste à piétiner et à mélanger un peu. On s’en servait ensuite pour fabriquer un four. »
Même la sole, qui est la surface de cuisson, était construite en adobe. Contrairement à aujourd’hui où on utilise des briques réfractaires. « Il y avait parfois des morceaux d’argile qui se détachaient et qui se retrouvaient dans le pain. C’était croustillant! », lance-t-il en riant.
Ces fours étaient protégés des intempéries par une toiture faite de billots ou de planches.
Peu de fours à pain en Estrie
Pierre Nadeau constate que l’Estrie est une région où le four à pain est peu présent, historiquement. « Je crois que le fait que les Cantons de l’Est aient été fondés par des Loyalistes y est peut-être pour quelque chose. Ce n’est pas du tout la même culture que les franco-catholiques. Il n’y a pas de traces de fours à pain. Je ne sais pas ce qu’ils faisaient. Peut-être utilisaient-ils déjà des cuisinières en fonte quand ils se sont installés ici? », se questionne-t-il.
Un engouement pour cette tradition
Pierre Nadeau constate un véritable engouement pour cette tradition. Un intérêt qui s’est accéléré pendant et après la pandémie.
« Depuis une dizaine d’années, les Québécois ont l’élan de s’approprier une vie plus proche de la nature, plus naturelle. Plutôt que de vivre dans l’excentricité et d’expérimenter plein d’affaires, les gens veulent retourner à une simplicité », croit-il.
Des fours communautaires essaiment partout au Québec
En plus des individus qui ajoutent cet item dans leur cour, de plus en plus de collectivités, partout en province, installent des fours à vocation communautaire. C’est le cas de municipalités comme Saint-Luc-de-Vincennes (Mauricie), Lingwick (Estrie), Contrecoeur (Montérégie) et Petit-Saguenay (Saguenay-Lac-St-Jean). Pour ne nommer que ceux-là.
Partager la chaleur accumulée dans le four
Pierre Nadeau croit que ces fours sont faits pour être partagés, comme ce sera le cas à Racine. « Quand tu chauffes le four, tu as de la chaleur pour 15 à 18 heures. Ça ne fait pas de sens de faire cuire une pizza seulement pour deux personnes. Tant qu’à y être, d’autres gens peuvent y faire cuire leur pain, leur pot de fèves au lard ou d’autres plats. Je trouve ça bien qu’on partage la chaleur qui est accumulée dans le four. »
Jean-Christophe Boureau abonde dans le même sens. « Nous n’allons pas démarrer le four seulement pour ma conjointe et moi. Quelques jours avant, j’avertirai les voisins que le four est opérationnel. Les gens pourront y faire cuire leur pain ou d’autres plats mijotés.»
Festival du four à pain
L’une des municipalités où on compte le plus de fours à pain au Québec est l’Anse-Saint-Jean. Où on en dénombre environ une quarantaine. Cet engouement local et régional a incité cette communauté à organiser, depuis 2019, le Festival du four à pain de l’Anse-Saint-Jean.
Cuisson par rayonnement infrarouge
Contrairement à ce qu’on pourrait penser, la cuisson de ce type de four provient du rayonnement infrarouge. « La masse emmagasine de la chaleur. Elle la redonne ensuite sous forme de rayonnement infrarouge. C’est ce qui fait cuire les aliments », explique Pierre Nadeau. C’est pourquoi on construit des fours avec une voûte basse, afin de conserver la chaleur.
Lorsque la température est haute (700 F à 900 F), on y fait d’abord cuire des pizzas. On peut ensuite y cuire des bagels (600 F à 650 F). Viennent par la suite des baguettes, des miches, des viennoiseries ou des plats mijotés. Lorsque la chaleur est moins intense, il est possible de déshydrater des fruits ou des tomates. Le four peut même servir à fumer des aliments.
Un art qui s’apprend
Cuire sa nourriture dans un four traditionnel est un art qui s’apprend. « C’est sûr et certain qu’au début, on se plante. L’erreur classique, c’est de se fier à la température ambiante. En mettant sa main et en se disant qu’il n’y a pas de chaleur. Alors que la cuisson est liée au rayonnement infrarouge. Tranquillement, on apprend à danser avec cette autre façon de faire», souligne-t-il.
« Les deux éléments les plus rassembleurs pour les humains »
Jean-Christophe Boureau est bien fier du résultat de cette corvée collective.
«Avoir un tel four chez soi crée un mouvement rassembleur qui donne une vie à la collectivité et à la région. Un moment pour être ensemble, tout en faisant de la bouffe.»
De son côté, Pierre Nadeau confie qu’après toutes ces années, il n’a pas perdu la flamme pour ce type de construction utilitaire.
« Ça réunit les deux éléments les plus rassembleurs pour les êtres humains : le feu et la bouffe. Depuis des dizaines de milliers d’années, les humains sont habitués d’utiliser un feu pour faire cuire leur nourriture. Ça vient nous chercher. C’est viscéral. Encore aujourd’hui, je ne me tanne pas de voir ça », confie-t-il.