Entretien avec Pierre Gauthier

Daniel Rancourt, Le Félix, Saint-Félix-de-Kingsey, avril 2024

En plus d’être co-propriétaire de la Ferme Pikabo dans le 7e rang à Saint-Félix-de-Kingsey, Pierre Gauthier est président de l’Union des producteurs agricoles (UPA) de Drummond. Impliqué depuis plus de 20 ans au comité consultatif agricole de la MRC de Drummond, membre exécutif de l’UPA Centre-du-Québec depuis de nombreuses années, Pierre Gauthier trouve le temps pour concilier engagement au sein de l’UPA et son travail à la Ferme Pikabo en production laitière. Son épouse, Kathleen Guimond rappelle que la ferme en est rendue à la sixième génération avec leur fils Guillaume et son épouse Sandrine. «Rendus à nos âges, on travaille pour la relève», mentionne-t-elle.

«Auparavant, à l’UPA de Drummond ville, il y avait une section DrummondNord et une autre pour le Sud. Avec la Covid, nous avons fusionné les deux sections pour n’en faire qu’une seule en 2022», commence Pierre Gauthier. «Nous représentons 820 membres producteurs agricoles : production de grandes cultures, producteurs laitiers, de porcs, de volailles et de bovins, autant dans le bio que la production conventionnelle. Plus ce que nous appelons les fermes de proximité, soit les producteurs maraîchers : c’est un nouveau phénomène qu’on observe depuis quelques années, mais qui représentent tout de même de 30 à 40% de nos membres».

«Près de 40% des fermes sont en difficulté au Québec et ces producteurs songent à abandonner l’agriculture. C’est sérieux, c’est prioritaire. Avec l’inflation, les taux d’intérêt, l’augmentation du prix des terres et des taxes, et de tous les intrants (graines, engrais, machineries, essence, technologies, etc.), on n’arrive plus. Et cela entraîne de graves conséquences. On parlait récemment d’un agriculteur qui avait laissé mourir de faim ses animaux; c’est bien beau le bien-être animal, faudrait aussi penser au bien-être des humains. Les gens sont au bout du rouleau. La détresse psychologique est une réalité, c’est un mal qu’on ne voit pas. Présentement, en France, les agriculteurs sont le corps de métier avec le plus haut de suicide. C’est significatif», ajoute Pierre Gauthier.

Aujourd’hui, le travail d’un agriculteur a pris des dimensions considérables. La complexité des tâches exige de plus en plus de connaissances dans un lot de secteurs : nouvelles technologies et façons de faire, normes environnementales et sanitaires, concurrence internationale (quand, par exemple, le Brésil peut produire deux récoltes de maïs ou de soya par année!), conditions climatiques et météorologiques des plus incertaines, coût et rareté de la main d’œuvre, absence ou manque de relève… Les défis d’un producteur agricole sont nombreux et… énormes!

Le Canada alloue 1% du budget national à l’agriculture; le Québec, 0,97%. Alors qu’aux États-Unis, en Amérique du Sud, en Europe, les gouvernements consacrent 2 et 3% de leur budget à l’agriculture. Nos agriculteurs ont de la misère à joindre les deux bouts!» indique Pierre Gauthier.

«Il n’y a pas si longtemps, on pouvait se rattraper. Mais l’entonnoir se rapetisse, la marge manœuvre est réduite. Par exemple, on évaluait le prix d’un tracteur à 1000$ la force, le HP (horse-power); aujourd’hui, c’est le double, 2000$! Pour le même ouvrage!… Il y avait 12000 fermes laitières au Québec; il n’en reste plus que 4500 qui produisent 20% plus de lait. Il y a moins de producteurs, plus de vaches et une hausse de la productivité. Mais le producteur est seul. Et le travail augmente tout le temps.»

Sentinelles

L’UPA a participé à l’élaboration d’une formation visant à prévenir le suicide chez les agriculteurs avec l’Association québécoise de prévention du suicide (AQPS). Le rôle des sentinelles se compare à celui des personnes capables de donner les premiers soins : des membres de la communauté, formés pour agir promptement, qui assurent un soutien en attendant que des spécialistes prennent la relève.

Les sentinelles peuvent être des producteurs eux-mêmes, des travailleurs et des professionnels œuvrant dans l’entou rage des producteurs : comptables agricoles, vétérinaires, inséminateurs, camionneurs, vendeurs de moulées, de semences, de machineries, etc.

«Et notre travailleuse de rang, Camille Laberge (voir Le Félix, novembre 2023), fait un excellent travail. Ça marche!» signale Pierre Gauthier.

Saint-Félix-deKingsey

Selon Pierre Gauthier, les producteurs agricoles de St-Félix ont de nombreux défis devant eux afin de maintenir leur production : les taux d’intérêt, les taux de taxation, les bandes riveraines et les normes environnementales, la protection des terres, etc.

«Il y a de la place pour tous, mais il faut plus d’argent pour soutenir l’agriculture. Si on veut nourrir la population, il faut conserver notre jardin», poursuitil. «Il ne faut pas oublier que l’agroalimentaire est un moteur économique important au Québec, cela représente plus de 30 milliards $ du produit intérieur brut (PIB) et plus de 250000 emplois à temps complet.

«Le ministre de l’Agriculture, André Lamontagne, la Financière agricole, les biologistes, les bailleurs de fonds, les chercheurs, la population, tous se disent à l’écoute des producteurs. Reste à convaincre le ministère de l’Environnement. On veut des produits frais du Québec à l’année longue : il y a des coûts à ça. Des serres, faut chauffer ça en hiver! Au Brésil, ils n’ont pas ce problème-là. Et les consommateurs pensent à survivre aussi et ils choisissent les produits les moins chers!»

L’UPA du futur?

«Il faut faire connaître notre travail, c’est quoi l’agriculture et d’où viennent les fruits et les légumes, les céréales et tous les produits alimentaires qu’on trouve sur nos tables. Et que les consommateurs soient à l’écoute, que la population nous comprenne pour nous aider. Il faut bouger pour ne pas que ça finisse comme ailleurs, en France ou en Italie!» conclut Pierre Gauthier, fier producteur agricole qui en a encore long à raconter! Merci Pierre Gauthier. ■