Illustration : Jacques Goldstyn

Logement : les populations devront-elles se dépouiller pour être entendues ?

Claude Jalette, La Gazette de la Mauricie, mars 2024

C’est en 2021 que, pour la première fois à Trois-Rivières, une vingtaine de ménages se sont retrouvés à la rue faute de logements disponibles. D’autres personnes en Mauricie ont aussi connu une période d’itinérance entre le salon d’ami-es, des hôtels ou un hébergement d’urgence fourni par un office municipal d’habitation. Pour InfoLogis Mauricie, cette période de crise a eu pour conséquence de doubler le volume des appels reçus.

Depuis, la situation ne cesse de se dégrader. Le prix des logements ne correspond plus à la capacité de payer des locataires mauricien-nes – rappelons que le revenu disponible par habitant est très faible en Mauricie –, et ceux qui sont accessibles se font de plus en plus rares. Les gens sont stressés, parce qu’ils ne savent pas s’ils auront assez d’argent pour payer leur loyer à la fin du mois.

De plus, plusieurs logements se dégradent et les locataires sont aux prises avec une foule de désagréments qui entraînent des conséquences sur leur santé mentale et physique. Et vivre dans un logement mal isolé coûte cher en énergie. Nous sommes trop souvent confronté-es à des situations d’abus de la part de propriétaires friands de profits au détriment du bien-être des locataires. Et cela, c’est sans parler des impacts importants des rénovictions, sur lesquelles nous exigeons un moratoire. Ajoutons enfin l’ambiance polarisante des débats de société, et les conflits qui se multiplient entre locataires et propriétaires, voire entre voisin-es.

Pour ce qui est des bâtisses en décrépitude et insalubres, il est urgent, en pleine crise du logement, de s’unir pour prévenir les dégradations importantes d’immeubles. Nous sommes motivé-es à renforcer notre collaboration avec nos partenaires en habitation tels que les Municipalités et d’autres organismes communautaires ou institutionnels afin d’agir contre l’insalubrité et éviter ainsi des évacuations d’urgence. Nous pensons que certaines mesures de prévention contre les évacuations d’urgence pourraient être intégrées à un code du logement provincial. Ainsi, nous encourageons les Municipalités à envoyer un message clair aux propriétaires récidivistes et qui refusent de collaborer, en donnant plus systématiquement des amendes et des avis de détériorations dans des cas importants d’insalubrité. Les Municipalités devraient aussi pouvoir faire certains travaux urgents en lieu et place des propriétaires, et leur envoyer ensuite la facture. Il faudrait également que tous les partenaires en habitation mettent en place des plans communs d’action, afin de cibler les immeubles qui posent problème et d’agir pour régler ces situations. Enfin, il faudrait organiser des blitz d’inspection.

InfoLogis Mauricie est indigné de voir la ministre de l’Habitation, France-Élaine Duranceau, est allée de l’avant avec l’adoption du projet de loi 31, qui ne propose aucune mesure pour aider les locataires dans la crise du logement actuelle et ne vient aucunement rééquilibrer les rapports de pouvoir entre locataires et propriétaires. Si le renversement du fardeau de la preuve pour les locataires qui ont reçu un avis d’éviction est un gain, celui-ci est minime comparé aux différents reculs des droits des locataires. Par exemple, la perte du mécanisme de cession de bail retire le dernier outil qui existait pour contrôler les loyers et pour permettre aux personnes marginalisées d’avoir accès à un logement. De plus, la représentation par mandataire, que cette personne soit rémunérée ou non, avantage les propriétaires, qui ont généralement des moyens financiers plus élevés que les locataires.

Bien que nous soutenions les Municipalités dans la recherche de solutions pour favoriser un accès à des logements abordables, selon nous, il faut éviter de pelleter dans la cour du privé des solutions qui n’assureront pas que les profits resteront dans la communauté. Nous posons ainsi cette question : si un groupe de promoteur-trices privé-es décide de se lancer dans un projet de logements abordables et de faire des dons, déductibles d’impôt, puis de revendre ensuite les immeubles aux offices d’habitation en faisant possiblement des profits, est-ce vraiment une contribution de l’État à la solution de la crise du logement, ou n’est-ce pas plutôt une autre façon d’esquiver le problème et se désengager de manière pérenne ?

Il y a déjà une certaine concertation et de la collaboration entre les instances municipales, communautaires et institutionnelles pour trouver des solutions à des problèmes locaux. Pourtant, tous et toutes le savent, il y a un besoin criant de logements sociaux. Une donnée tirée du Bilan-Faim 2022 de Moisson Mauricie/Centre-du-Québec indique que 72 % des ménages locataires qui ont recours à l’aide alimentaire ont un logement sur le marché locatif privé, tandis que ce taux baisse à 11,8 % pour les ménages qui ont un logement social. C’est donc dire qu’investir dans le logement social a des retombées positives sur l’ensemble de la société.

Pour nous, la justice sociale passe par la voie citoyenne et militante, par des programmes sociaux et économiques et par des coupures dans les privilèges fiscaux. En temps de crise, et ce dans un Québec qui a tant à rattraper, il est temps d’écouter les solutions venant du terrain, de même que les études et les propositions des spécialistes qui ont analysé la question maintes et maintes fois. Oui, nous sommes pour le progrès et nous reconnaissons qu’il faut trouver de nouvelles stratégies et des solutions innovantes. Mais nous nous demandons si nos élu-es n’ont pas oublié l’histoire et les succès que nous avons obtenus et qui ont contribué à régler les crises du passé.