Olivier Béland-Côté, Graffici, Gaspésie, février 2024
« Je me sens parfois un peu comme un imposteur, lance avec humilité Frédéric Côté, le directeur général du centre de recherche appliquée en énergies renouvelables Nergica, sachant que GRAFFICI le contacte dans le cadre de sa série de portraits de scientifiques gaspésiens. Mais je me suis toujours perçu comme un scientifique de sciences sociales! »
Effectivement, le cheminement scolaire de Frédéric Côté, titulaire d’un baccalauréat en relations industrielles et d’une maîtrise en administration des affaires, diffère du trajet académique au bout duquel se trouve normalement le titre de scientifique, selon l’acception usuelle du terme le rattachant au domaine des sciences naturelles. « Par contre, j’ai toujours été curieux et eu des intérêts divers, notamment pour l’actualité scientifique », précise l’homme originaire de Rivière-au-Renard.
Le titre, sur le plan professionnel celui-là, qu’il porte depuis maintenant 15 ans, à la tête de l’organisme auparavant connu sous le nom de Techno Centre éolien, témoigne cependant de la crédibilité qu’il a pu se forger au sein d’un secteur qui se déploie au rythme du développement des connaissances scientifiques.
« L’éolien est maintenant au coeur de la stratégie d’Hydro-Québec, affirme fièrement le gestionnaire. Au fil des ans, on voit qu’on a été chercher nos lettres de noblesse. Et ça, ça repose sur la vision et l’engagement de gens qui avaient à coeur cette filière. »
Du secteur manufacturier à l’énergie éolienne
Retour en 2009. Après une dizaine d’années à l’extérieur de la région, années pendant lesquelles il oeuvre notamment en relations de travail dans différentes industries du secteur manufacturier, Frédéric Côté rentre au bercail avec l’envie de contribuer à l’économie de son coin de pays. Jeune trentaine, mais fort d’un parcours professionnel éclectique et stimulant, il prend les rênes d’un organisme qui cherche alors toujours à prendre racine dans le secteur énergétique. « Ce qui m’a amené là, c’est vraiment le volet développement de filière, c’est aussi de soutenir les entreprises et de travailler à dynamiser l’économie de la région autour des énergies renouvelables, expose-t-il. Et je suis arrivé à un moment charnière. »
À l’époque, le principal intéressé explique que le Techno Centre éolien avait besoin d’un coup de pouce pour se replacer et mettre en oeuvre d’importants projets, dont l’acquisition d’éoliennes qui allaient être installées sur un site de recherche situé à Rivière-au-Renard, des infrastructures « grandeur nature » implantées en climat froid et en terrain complexe par un centre de recherche, cas unique en Amérique. « [Le site de recherche] a permis une collaboration avec le turbinier Senvion, expose Frédéric Côté. Ç’a été notre véhicule pour se positionner dans l’éolien en climat froid, dans les années 2010-2013. »
De l’éolien aux énergies renouvelables et…la transition énergétique
Nécessairement, l’organisme affilié au Cégep de la Gaspésie et des Îles intègre les réalités climatiques de la région dans l’offre qu’il propose, en leurs termes, aux producteurs (les entreprises qui exploitent les parcs éoliens, par exemple), aux innovateurs, soit les entreprises qui développent des biens et services pour les producteurs, comme les fabricants d’éoliennes ou de systèmes de dégivrage, de même qu’aux utilisateurs.
« Essentiellement, les organisations qui veulent faire des projets d’énergies renouvelables, mais dont ce n’est pas leur mission première, comme par exemple les communautés autochtones et les municipalités, expose Frédéric Côté. On les accompagne donc dans leurs projets de transition énergétique. »
D’abord interpellé pour l’implantation de l’énergie éolienne en tant que moteur économique de la région, le centre de recherche ajoute au fil du temps des cordes à son arc, notamment en ce qui a trait à l’énergie solaire et au stockage par batteries. En 2018, le programme de recherche Opten (pour Optimisation des énergies nouvelles) est mis sur pied afin de développer des solutions technologiques optimisant l’approvisionnement énergétique dans les communautés hors réseaux.
La même année, le Techno Centre éolien change de nom pour Nergica. « Avec les projets comme Opten, notamment, c’était assez clair qu’on ne travaillait plus uniquement en éolien, raconte le directeur général. C’était aussi assez clair que nos clients ne faisaient plus seulement des projets éoliens, mais aussi des projets solaires en Ontario, en Alberta et aux États-Unis. On voyait bien la tendance de l’industrie qui allait de plus en plus vers une convergence des différentes filières. »
Cette diversification, de l’éolien aux énergies renouvelables, puis des énergies renouvelables à la transition énergétique, se traduit de même par la création de l’escouade énergie du Réseau des CCTT (les centres collégiaux de transfert de technologie, dont Nergica fait partie) qui a comme objectif d’aider les entreprises du Québec à réduire leur empreinte carbone. « On est 22 centres collégiaux de transfert de technologie sur 59 qui ont uni leurs forces et mis en commun leur expertise et leurs équipements au profit de la transition énergétique », précise Frédéric Côté, qui d’ailleurs préside le regroupement.
Nergica a organisé le plus récent colloque sur les énergies renouvelables, événement qui a eu lieu à Matane en juin 2023. Frédéric Côté, à gauche, y échangeait avec Alexandre Boulay, qui est à la tête de l’éolien extracôtier chez LM Wind Power, en marge d’une conférence sur ce sujet. Photo : Nergica
La résilience du judoka
La mission élargie de l’organisme témoigne certes de sa pertinence dans la lutte au réchauffement climatique. Un contexte particulier qui exige d’avoir nécessairement une vision à long terme. « J’ai toujours en tête un horizon de 12, 36 ou 60 mois, révèle celui qui a été retenu parmi les leaders les plus influents de l’industrie éolienne par la revue Windpower Monthly. Je suis toujours en train de me projeter dans le temps, de voir quelles sont les tendances et les défis de l’industrie, afin que l’organisation soit pérenne. »
Si le centre de recherche occupe aujourd’hui une position enviable, Frédéric Côté admet avoir traversé une période difficile, et ce, lorsque le choix de l’éolien comme source d’énergie a été vivement remis en question, à la fin des années 2010. « Durant toutes ces années [à la tête de Nergica], il y a une seule journée où j’ai mis un genou à terre, où j’ai eu un moment de découragement, relate-t-il, faisant référence à une entrevue où l’interlocuteur sous-entend la fin de l’éolien et la fermeture prochaine du centre. Mais ça n’a pas duré longtemps, je savais que le Québec ne pouvait se passer de cette industrie-là indéfiniment. »
À l’image du judoka qui se relève après une chute au sol – il a pratiqué ce sport pendant plusieurs années, participant entre autres à des compétitions de niveau national – l’équipe de Nergica s’est remise au travail. « L’adversité des fois, ça motive à mettre plus d’efforts, soutient l’homme aujourd’hui âgé de 46 ans. Comme au judo, dans les difficultés, on se retrousse les manches et on va relever le défi. C’est un peu cette mentalité-là, cette discipline et cette éthique que j’essaie de porter. »
Une belle richesse
Discipliné et visionnaire, Frédéric Côté, épaulé de son équipe de chercheurs, lorgne désormais du côté de l’hydrogène et de l’éolien extracôtier. « C’est vraiment là-dessus qu’on travaille actuellement et je prédis qu’il va y avoir un jour de la production d’hydrogène en Gaspésie, affirme le gestionnaire. Pour l’éolien extracôtier, on sait que la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve ont vraiment de l’intérêt pour le développer et on a la chance d’avoir à Gaspé une usine dédiée aux pales pour les éoliennes en mer. On présentera prochainement des partenariats qu’on est en train de mettre en place. »
Composée d’une quarantaine d’employés, notamment des chercheurs issus des sciences naturelles et de l’ingénierie, l’équipe de Nergica peut de plus en plus compter sur les efforts d’individus en provenance de l’extérieur du pays. « Ce qui a permis à Nergica de grandir dans les dernières années, ce sont les gens qui arrivent de l’immigration, qui sont venus au Québec pour faire leur maîtrise ou leur doctorat et qui après viennent travailler chez nous et contribuent à développer notre expertise, signale Frédéric Côté. C’est une belle richesse dont je suis bien fier. »
Quelque chose de plus grand
Ce sentiment de fierté, le directeur général de l’organisme gaspésien l’exprime à plus d’une reprise lors de notre entretien d’un peu plus d’une heure. Fierté, certes, vis-à-vis du travail accompli par son équipe, mais également par rapport aux progrès de l’industrie, notamment sur le plan de l’acceptabilité sociale. « L’industrie a été en mesure de recevoir certaines critiques qui étaient justifiées, observe Frédéric Côté. Je peux témoigner que les pratiques et les façons de faire se sont améliorées, et c’est une évolution qui me rend fier. »
Et puis, il y a le mot « choyé », mentionné lui aussi plus d’une fois. « Je dis souvent que je suis choyé, que j’ai une des plus belles jobs qu’on peut espérer, c’est-à-dire d’être impliqué avec des gens engagés dans une mission qui est de contribuer à la lutte aux changements climatiques, confie-t-il, manifestement reconnaissant. J’ai le sentiment de contribuer à quelque chose qui est plus grand que nous. »