Marie-Ève Francoeur, L’Écho d’en Haut, Saint-Pamphile, février 2024
Propos recueillis par Marie-Ève Francoeur
Après ses études secondaires à Saint-Pamphile et Montmagny, il étudie en foresterie au Cégep Ste-Foy. Après quelques années à travailler dans ce domaine et même à enseigner un an à la foresterie à Saint-Pamphile, il retourne aux études pour faire un baccalauréat en récréologie à l’Université du Québec à Trois-Rivières.
Jusqu’en 2016, année de sa retraite, il occupe plusieurs postes à divers endroits : directeur du service des loisirs à Lac-Etchemin, conseiller en loisir au Conseil régional du loisir de Québec et Chaudière-Appalaches et, pour terminer, enseignant pendant 23 ans en techniques d’intervention en loisir au Cégep de Rivière-du-Loup.
À ses 60 ans, en 2011, il commence à courir. Tout ça commence l’année d’avant ou son fils François lui raconte l’ambiance d’une course de 10 km qu’il a fait à Ottawa avec des amis. Ça n’en prend pas plus pour que Florent propose à ses deux fils de courir ensemble. L’année suivante, en mai, ils courent un 10 km à Ottawa. M. Pelletier se découvre alors une passion pour la course à pied sur route à 60 ans. Il voit plus de bons côtés à courir que de moins bons. Dans la même année, il fait plusieurs autres courses de 10 km. S’en suivent les 2 années suivantes des demi-marathons (21,1 km).
Il hésite à se lancer dans le marathon sachant que l’entraînement préparatoire est très exigeant. Finalement, en 2014, il s’inscrit au marathon d’Ottawa avec, comme objectif, de se qualifier pour le marathon de Boston de 2015. Ce qu’il réussit à faire. Pour y participer, les coureurs doivent obtenir au préalable un temps prescrit selon leur groupe d’âge dans un marathon homologué. La demande est très forte pour y participer. Pour l’édition de 2024, plus de 11 000 coureurs qui avaient pourtant réussi le standard ont été refusés. Boston est le marathon le plus ancien et le plus prestigieux au monde (plus de 120 pays y sont représentés). Plus tard, il voulait célébrer ses 70 ans à Boston en 2021, mais la pandémie a fait en sorte que les marathons ont été annulés en 2020. Il s’inscrit donc à Fredericton en septembre 2021 où il se reclasse à nouveau pour Boston à l’âge de 71 ans en 2022. Son temps réalisé à Boston combiné avec celui du marathon de Montréal en septembre 2022 fait en sorte qu’il se classe pour les Championnat mondiaux par groupe d’âge de 70-74 ans (Age Group World Championships). Au total 2 305 coureurs de son groupe d’âge de partout au monde ont fait un des 350 marathons homologués en 2022. Parmi eux, 368 ont fait 2 marathons ce qui permettait d’accumuler le maximum de points au classement pour y participer. Dans son groupe d’âge, seuls 40 marathoniens étaient invités. Il s’est classé 22e, ce qui lui a donné son invitation pour ces championnats mondiaux qui ont eu lieu lors du marathon de Chicago le 8 octobre dernier. Mr Florent y a fait son dernier marathon, son 9e, (il a aussi à son actif 16 demi-marathons et 11 courses de 10 km). Il y inscrit son meilleur temps à vie sur marathon : 3h., 31min., 03s., ce qui lui permet de se classer au 5e rang mondial de son groupe d’âge, à seulement 37 secondes de la 3e place. Son meilleur temps auparavant, 3h31m11s, datait de 2016 à Toronto où il a terminé 1er de son groupe d’âge.
Premier marathon à Boston en 2015 au 41e km
Il continuera à courir des 10 km et des demi-marathons pour sa santé physique et mentale. Ce sont des distances moins exigeantes en termes d’entraînement.
Il nous raconte son dernier marathon à Chicago le 8 octobre 2023 qui regroupait 48 250 marathoniens:
« Au départ, dans nos corrals, – enclos où l’on se situe selon le temps prévu de la course – tout le monde est très fébrile. Certains se réchauffent, d’autres sont assis sur le bord du chemin la tête entre les jambes quasiment. Il y a un mélange d’excitation, de doutes, de plaisir et de questionnement. Comment ça va aller? Est-ce que je vais avoir des crampes aux mollets comme mes deux derniers marathons? Est-ce que je vais frapper le mur? Est-ce que je vais voir mes proches ? On se regarde et on se comprend, pas besoin de longs discours malgré la différence d’âge ou de nationalité. On a tous vécu les mêmes hauts et bas lors de notre préparation. On a tous les mêmes doutes.
Quelques minutes avant le signal du départ à 7 h 30. Je suis sur place depuis 6 h 30 et je suis de la 1ère vague de départ sur 3. On entonne l’hymne national américain. On voit ça à la TV pour des sportifs professionnels, mais là c’est pour nous, c’est pour moi! J’ai la chair de poule. Je ne suis pas encore parti que je suis à fleur de peau. Quel privilège j’ai d’être là, d’avoir, à mon âge, la capacité de faire ça, de vivre une telle expérience. Je sais que l’élite mondiale de la discipline est devant. D’ailleurs, pour l’anecdote, le record du monde masculin a été battu lors de ce marathon par un kényan nommé Kiptum Kelvin en 2h., 00 min., 35s…. Rien que ça ! Et une femme des Pays-Bas, Sifan Hassan, a fait le 2e meilleur temps mondial en 2h., 13min., 44s. Quand même….
Le coup de pistolet du départ est donné, mais compte tenu du très grand nombre de coureurs, je ne passe la ligne de départ que 20 minutes plus tard. Y a du monde à messe, comme on dit. Pour s’y rendre on marche lentement en enlevant progressivement le linge qui nous tient au chaud. Il fait autour de 8 degrés Celsius, température idéale pour un marathon.
Le parcours de Chicago permet aux spectateurs de nous voir à différents endroits en prenant soit le métro, soit des vélos électriques, ce qui fait en sorte que j’ai vu mes proches (mon épouse, mes deux gars, deux de mes frères dont Gaétan qui habite à Saint-Pamphile et quatre de mes beaux-frères et belles-soeurs – à quatre reprises. À chaque fois, c’est comme une décharge électrique qui me traverse le corps. En prime, au 20e et au 32e km, mes gars se sont joints à moi pour courir quelques centaines de mètres. Nous courons alors main dans la main. Un moment, pour moi, très émotif qui restera à jamais gravé en mémoire.
Oui, j’ai encore eu des crampes aux mollets, mais plus tardivement, soit à partir du 40e km. À trois reprises j’ai dû arrêter, m’étirer, me frictionner. Mais cela ne m’a pas empêché de terminer mon marathon avec une très bonne cadence.
Enfin la ligne d’arrivée en vue. Un dernier effort. Je fixe la grande affiche, je ne vois plus personne, je n’entends plus personne. Voilà, c’est fait. J’arrête ma montre: 3h., 31min., 03s.. Wow ! mon meilleur temps à vie. Au-delà de mes espérances compte tenu de ma blessure aux adducteurs (muscles internes de la cuisse) à la mi-juin qui m’a tenu à l’écart de l’entraînement pendant 17 jours! Je suis vraiment content. J’ai tout donné. Je suis allé au bout de moi-même sans dépasser mes limites. L’élastique ne s’est pas rompu. Je marche lentement passé la ligne d’arrivée. Là, l’eau, là, les médailles. J’ai mal aux quadriceps et à un genou, mais ce n’est pas grave. On me passe la médaille au cou. Ouf ! je suis ému par un vif sentiment d’accomplissement, de dépassement. Je ne suis ni euphorique, ni même excité. Juste dans un état second. Une espèce de plénitude. Je flotte, porté par un curieux message que mon corps, ma tête et mon coeur me lancent en même temps dans une cacophonie indescriptible.
Les marathoniens invités dans le cadre du « Abbot World Marathon Majors, Age Group World Championship » sont attendus, passé la ligne d’arrivée, dans un grand chapiteau, aussi gros qu’un aréna. J’y vais et y reçois ma médaille des championnats. Un sentiment de fierté m’envahit. Je rentre et m’assois autour d’une des grandes tables. Je regarde longuement autour de moi ces marathoniens et marathoniennes de 40 ans et plus provenant de partout au monde. La crème de la crème. L’élite mondiale dans ma discipline. Pour moi, c’est irréel de me retrouver là quoique je n’éprouve pas le syndrome de l’imposteur. Mais je ne comprends pas. Je ne comprends pas comment il se fait qu’un p’tit gars né dans le rang Taché Ouest à Sainte-Perpétue se retrouve là, à ce niveau ! »