Sébastien Michon, Le Val-Ouest, Valcourt, décembre 2023
Le macaron épinglé à son habit de travail est équivoque : «Je parle ukrainien». Comme plus de 936 000 autres de ses compatriotes, Neila* a dû fuir la guerre en Ukraine pour s’installer au Canada. Depuis octobre, elle refait sa vie à Valcourt.
Laisser derrière son mari et sa fille
Tout commence en juillet dernier. Inquiet pour la sécurité de sa mère en Ukraine, son fils, un citoyen canadien qui réside dans la région de Montréal, l’intime de venir la rejoindre au Québec. Elle vient seule. Laissant derrière elle son mari, sa fille et son beau-fils, qui souhaitent rester.
Aidée par un bénévole
De fil en aiguille, elle contacte Arthur*, un Québécois qui offre bénévolement de son temps pour soutenir les nouveaux arrivants. « Des Ukrainiens m’ont dit qu’il avait aidé de nombreuses personnes et qu’elles étaient très satisfaites », raconte-t-elle par le biais d’une application qui traduit ses paroles en français.
En parallèle, Sandra Ouimette, copropriétaire du IGA de Valcourt, entend elle aussi parler de ce bénévole qui trouve une place sur le marché du travail à des Ukrainiens. « Je l’ai appelé pour savoir s’il pourrait me dénicher un commis d’épicerie. Nous étions en manque de personnel et souhaitions trouver quelqu’un pour travailler 40 heures par semaine. Il m’a rappelé en me disant qu’une dame, qui habite chez son fils, serait prête à venir travailler à Valcourt.»
Déménager à Valcourt… tout de suite après une entrevue d’emploi
Elle contacte ainsi le fils de Neila, qui parle français, pour l’inviter à accompagner sa mère pour une entrevue d’emploi dès le lendemain, un samedi d’octobre. « Ils sont arrivés une heure et demie d’avance. J’ai posé toutes mes questions. Tout était parfait. J’ai alors demandé : « Quand voulez-vous commencer? ». Et son fils m’a répondu : « J’ai déjà toutes ses affaires dans ma voiture ».» Toute une surprise!
Sandra Ouimette prend le taureau par les cornes. Sa mère, propriétaire d’immeubles locatifs à Valcourt, avait justement conservé un appartement meublé. « Il manquait un lit et un matelas. J’ai emprunté celui d’un de mes enfants. Je suis aussi allé acheter des draps et des serviettes. De quoi partir sa soirée. »
De chef comptable à commis d’épicerie
C’est ainsi que Neila se retrouve à déménager à Valcourt dès la fin de son entrevue. Le lundi matin, cette ancienne chef comptable débute ses nouvelles fonctions de commis d’épicerie. Dans une ville où elle ne connaît personne. Elle qui ne parle ni français, ni anglais.
« Les gens d’ici sont gentils »
« Elle n’est pas isolée. Malgré la barrière de la langue, elle entre en contact avec les clients et veut s’impliquer », précise Sandra Ouimette. Un fait confirmé par Neila : « Je ne pense pas être seule. Je viens travailler. Les gens d’ici sont gentils et tout le monde sourit. Lorsqu’ils voient mon macaron, ils sont surpris et ont envie d’échanger un bon mot avec moi. Je suis bien ici. » Un accueil qui vient aussi de ses collègues de travail. « Ils s’intéressent à mon histoire et à la façon dont se passent les choses pour moi. »
Cours de francisation à Valcourt
Pour faciliter son intégration, Neila a choisi de suivre, deux soirs par semaine, un cours de francisation offert à Valcourt par le Centre de services scolaires des Sommets.
Elle y côtoie, entre autres, d’autres arrivants en provenance des Philippines et du Brésil. « C’est plus facile pour les Brésiliens d’apprendre le français que moi. La langue est plus proche. Je trouve que la langue française est mélodique », confie-t-elle.
Présente lors de l’entrevue, Sandra Ouimette en profite pour dire à Neila qu’elle est impressionnée par ses efforts. « Je te trouve très bonne d’apprendre le français. Je ne serais pas capable d’apprendre l’ukrainien. »
Retourner un jour en Ukraine
Neila est régulièrement en contact avec sa famille restée en Ukraine. Bien qu’il n’y ait pas de combat dans la zone où ses proches habitent, des missiles volent au-dessus de leurs têtes. Sans savoir quand, Neila souhaite retourner en Ukraine pour y retrouver son mari. Des sujets douloureux et plus difficiles à partager.
Une fois l’entrevue terminée, Sandra Ouimette confie qu’elle est bien consciente que son employée retournera un jour dans son pays. « Pour une personne qui n’a pas de lien ici, elle est très motivée à venir travailler. Je veux l’aider et je suis contente qu’elle fasse partie de notre équipe. »
* : Pour préserver leur vie privée, les interlocuteurs ont préféré taire leur nom de famille.