Sébastien Michon, Le Val-Ouest, Valcourt, novembre 2023
L’école primaire Saint-Laurent, à Lawrenceville en Estrie, propose à ses 28 élèves un contact plus étroit avec la nature. Depuis la rentrée scolaire, les enfants, tous niveaux confondus, ont accès au tout nouveau cours d’«écoplein air».
Un projet scolaire novateur dans le «Val-7»
« Lorsque je suis arrivé en poste, en 2021, il y avait dans le projet éducatif de l’école la notion d’écocitoyenneté. L’équipe faisait de beaux projets », explique d’emblée le directeur de l’école, Benoit Bertholet.
« C’était déjà dans notre ADN de faire des choses qu’on ne voit pas nécessairement dans les autres écoles. Nous avons la possibilité de le faire parce que nous sommes petits et nous en tirons profit. Ça a toujours fait partie de notre modèle d’enseignement. Nous cherchions une façon d’arrimer tout ça ensemble pour que ce devienne plus cohérent », ajoute l’enseignante Caroline Beaupré.
Ce projet est innovateur et unique parmi les écoles primaires de la région du «Val-7» qui comprend les municipalités de Bonsecours, Canton de Valcourt, Lawrenceville, Maricourt, Sainte-Anne-de-la-Rochelle, Racine et Valcourt.
Un projet balisé mais flexible
L’équipe-école compte trois enseignantes. Deux au niveau primaire (Caroline Beaupré et Joelle Bergeron) et une au préscolaire (Alexanne Mongrain). Celles-ci ont travaillé de concert avec le directeur et des conseillers pédagogiques pour soumettre leur projet au Centre de services scolaire des Sommets. « Les conseillers pédagogiques vérifient avec nous si le contenu a du sens. On se donne quand même une flexibilité et une marge de manœuvre. C’est un programme qui doit rester vivant. Si on le fixe trop, on pourrait passer à côté de quelque chose parce que nous sommes en lien avec la nature. Par exemple, si c’est le temps des champignons, il faut saisir l’opportunité », signale le directeur.
De fait, en début d’automne, Caroline Beaupré a contacté le club Les mycologues de l’Estrie, partenaire du Musée des sciences et de la nature de Sherbrooke, pour accueillir une mycologue. « Nous avons passé l’après-midi dehors, dans la forêt. C’était fantastique », rapporte-t-elle. Elle explique que les apprentissages se poursuivent après la visite en nature. « Nous regardons tous les liens qui sont possibles avec les grilles-matières. Nous pouvons se servir de cette sortie-là pour travailler le français. Nous allons aussi faire des sciences et de l’écologie, en voyant l’importance des champignons. Lors des cours de cuisine, nous parlons des bactéries quand nous fabriquons du pain, du kéfir de fruits ou du yogourt avec les enfants. Ça devient riche. »
Une année à la fois
L’équipe-école souhaite développer le projet une année à la fois. « Nous avons bâti l’année 1. On verra ensuite ce qu’on fait pour les années ultérieures. Notre objectif, c’est que dans six ans, on sente que c’est parfait et qu’on a fait quelque chose qui se tient. Nous ne nous sommes pas mis de la pression pour tout concevoir avant de le lancer. Parce que nous ne l’aurions jamais fait», soutient Benoit Bertholet.
Développer une relation à double sens avec la nature
Caroline Beaupré mentionne que la nature offre à l’équipe enseignante de nombreuses possibilités. « La valeur principale, c’est d’amener les enfants à devenir des écocitoyens, à leur mesure. De prendre conscience de ce qu’ils pourront faire plus tard pour être en corrélation avec la nature et l’environnement. J’ai toujours été persuadée que les enfants sont en mesure de saisir des choses complexes, si on les ramène à des notions qu’ils peuvent comprendre. »
« Nous souhaitons qu’ils développent une réflexion par eux-mêmes. Nous prenons le pari qu’ils vont développer une pensée critique, à leur hauteur. Au lieu d’attendre qu’un adulte leur dise qu’il y a un enjeu », renchérit Benoit Bertholet. « C’est une relation à double sens. On veut toucher à l’impact que l’être humain a sur l’environnement, mais aussi l’impact que l’environnement a sur l’être humain. On veut faire attention à toucher à ces deux aspects-là en tout temps. Et non pas à sens unique », ajoute-t-il.
L’enseignante Caroline Beaupré, le directeur Benoit Bertholet et toute l’équipe de l’école primaire Saint-Laurent, à Lawrenceville, présentent avec fierté leur tout nouveau cours d’ « écoplein air ». (photo : Sébastien Michon, Le Val-Ouest)
Soutien de la municipalité
Un propriétaire privé de Lawrenceville offre aux enseignantes et aux élèves l’accès à son lot boisé situé à environ 15 minutes de l’établissement. La municipalité de Lawrenceville permet quant à elle l’utilisation du parc municipal Oasis. « On nous a autorisé à l’aménager selon nos besoins. Par exemple, y installer des tableaux extérieurs. Nous avons aussi accès à un étang et à un boisé. Ça va nous permettre d’arriver sur les lieux et d’être déjà fonctionnels, comme si on était dans l’école», précise Benoit Bertholet.
Ponts avec l’école secondaire l’Odyssée
L’école primaire fait-elle des ponts avec l’école secondaire l’Odyssée, à Valcourt, qui propose elle aussi un programme d’Écopleinair? « Nous sommes comme une pépinière de jeunes élèves qui vont éventuellement aller à cette école. Il faut arrimer et cadrer tout ça », répond Caroline Beaupré.
L’apprentissage par la nature, de plus en plus présent
Cette initiative s’inscrit dans un phénomène beaucoup plus large. Non seulement au Québec, mais aussi ailleurs dans le monde. De plus en plus d’institutions d’enseignement, de centres de la petite enfance et d’espaces d’apprentissages pour enfants privilégient le contact avec la nature.
Angélie Bellerose-Langlois est titulaire d’une maîtrise en gestion de l’environnement et étudie la question depuis presque 10 ans. Elle est entre autres chargée de cours au Centre universitaire de formation en environnement et développement durable de l’Université de Sherbrooke et collabore avec des chercheurs de l’Unité mixte de recherche Petite enfance, grandeur nature de l’Université Laval.
Elle expliquait au Val-Ouest, dans un article publié plus tôt cette année, que le contact avec la nature procure aux enfants énormément de bénéfices. C’est d’ailleurs pourquoi le Danemark a choisi, depuis 1952, de mettre en place des « Forest schools » appelées skovbørnehaver en danois.
« Le but de l’éducation par la nature est d’offrir une expérience éducative qui va soutenir le développement global et l’éveil de la sensibilité écologique des enfants. On prend les opportunités dans ce qui intéresse l’enfant et ce qui suscite son émerveillement. On va le questionner sur ses petits bourgeons d’émerveillement, l’amener à explorer et à aller plus loin. C’est vraiment l’enfant qui guide les interactions éducatives avec l’adulte plutôt que de proposer des activités déjà toutes dirigées », exposait-elle lors de l’entrevue.
Ce type de pédagogie est désormais enseigné dans certains cégeps et universités. Et pour les tout-petits, il existe maintenant le cadre de référence Alex publié par l’Association québécoise des centres de la petite enfance.
Angélie Bellerose-Langlois étudie la question de la pédagogie par la nature depuis presque 10 ans. Elle explique que celle-ci est désormais enseignée dans certains cégeps et universités. (photo : gracieuseté)
Un rayonnement hors de Lawrenceville
Cette façon de faire de l’école Saint-Laurent attire-t-elle des parents de l’extérieur de Lawrenceville? Bien que ce soit une minorité, il y a effectivement quelques enfants qui proviennent de villages alentours. «Certains choisissent d’amener leurs enfants ici parce qu’ils trouvent que nous avons des valeurs et des façons de faire qui leur conviennent », croit Caroline Beaupré.
Sans en faire l’apologie, le directeur concède que, selon la Loi sur l’instruction publique, les parents ont le libre choix de l’école pour leur enfant. En effet, le texte de loi mentionne que les parents « ont le droit de choisir, à chaque année, parmi les écoles du centre de services scolaire dont il relève et qui dispensent les services auxquels il a droit, celle qui répond le mieux à leur préférence. »
Au-delà d’un projet : des valeurs
«L’un des objectifs, c’est qu’aller dehors soit dans la culture de l’école. On y va déjà beaucoup à l’automne et au printemps. On verra si, un jour, on pousse aussi du côté de l’hiver. Parce qu’il y a une logistique de mitaines froides à gérer », indique Benoit Bertholet.
Caroline Beaupré tient à préciser qu’au-delà du projet éducatif, ce sont des valeurs que les enseignantes souhaitent transmettre à leurs élèves. « Il faut que ça vienne de l’intérieur de l’enfant et non pas d’un écrit qu’on se serait donné. Si nous n’amenons pas l’enfant à pouvoir vivre l’expérience, je pense que nous passons à côté de quelque chose d’important. »