Le cœur de la métropole souffre

Vincent Di Candido, Échos Montréal, Montréal, octobre 2023

Le Centre-ville de Montréal, cœur de notre métropole et qui en avait toujours été le poumon économique, souffre depuis les changements socioéconomiques apportés par la Covid-19. Ce secteur crucial, où les espaces libres se faisaient rares et qui attirait tout à la fois les Montréalais, les banlieusards et les touristes, n’a malheureusement plus la même magie ou la même attractivité ces dernières années. Avec comme résultat un taux d’inoccupation des locaux commerciaux qui avoisine maintenant les 18%. C’est presque 1 local sur 5!

Les facteurs sont multiples et variés. La pandémie elle-même est venue changer les paradigmes logistiques de beaucoup de secteurs, avec une émergence du mode télétravail. Or celui-ci perdure malgré la fin, depuis un bon bout de temps, des années de confinement covidien, même si plusieurs des grandes entreprises et des compagnies exigent maintenant de leurs employés une présence physique au bureau au moins deux ou trois jours par semaine, selon les précisions de Michel Leblanc, PDG de la Chambre de Commerce du Montréal métropolitain (CCMM). Et à cela il faut ajouter un phénomène qui n’est pas unique au Québec mais qui s’inscrit dans une tendance mondiale, la pénurie de main-d’œuvre.

Que ce soit en raison du vieillissement de la population, des changements sociétaux post-pandémiques ou d’une modification des valeurs auxquelles souscrivent les nouvelles générations, le fait est qu’il y a moins de personnel disponible qu’auparavant. En outre, les travailleurs, particulièrement ceux en bas de 35 ans, tiennent également à faire moins d’heures de travail que leurs prédécesseurs. On est aussi devenus beaucoup plus pointilleux sur ce que l’on souhaite comme emploi, ou quant aux conditions englobant celui-ci. Les départements de ressources humaines s’arrachent donc les cheveux tous azimuts pour tenter de trouver du personnel qualifié, disponible et désireux de travailler.

Par ailleurs, les difficultés d’accès au centre-ville n’ont elles-mêmes pas été étrangères à la désaffection croissante envers ce district autrefois prisé. Depuis trop longtemps maintenant, Montréal semble se déconstruire, en proie à d’incessants chantiers, avec des travaux qui n’en finissent plus et qui semblent mis de l’avant sans une planification logique. À croire qu’il n’y personne à la tête de l’organigramme humain pour coordonner une planification urbaine raisonnable et optimale. C’est une réalité économiquement handicapante dont la rue Sainte-Catherine a dû pâtir pendant des années, bien avant la Covid.

Et comme pour en ajouter une couche, voilà qu’on décide d’augmenter les heures tarifaires des places de stationnement disponibles à Montréal. En corollaire, le centre-ville se retrouve aussi meurtri par une conjonction de problématiques sociales qu’il devient impossible d’ignorer. À commencer par la présence itinérante, qui a explosé ces dernières années. Cela fait de la peine parce qu’on a l’impression de taper verbalement sur une frange de la population déjà vulnérable et en détresse, mais c’est un fait incontournable; les sansabris sont maintenant légion dans l’arrondissement Ville-Marie, que ce soit au Village, au Vieux-Montréal ou au centre-ville proprement dit.

Avec tout ce que cela comporte de problèmes sous-jacents. Les rues sont sales, souillées, et il n’est même plus rare d’y trouver des excréments humains, des mouchoirs tâchés de sang. Beaucoup de rues sont malpropres, ont l’air morbide et sentent l’urine. Et la prolifération de drogues y est malheureusement endémique dans plusieurs d’entre-elles. On pense notamment à certaines rues du Village et du Quartier chinois, aux alentours de la Place Émilie-Gamelin, à toutes les rues adjacentes au Palais des Congrès, à la rue Berger, aux Squares Phillips et Dominion et aux ruelles de proximité, non seulement crasseuses mais qui semblent maintenant devenues carrément dangereuses.

Or, en parallèle, la gouvernance municipale pense maintenant à effectuer la collecte aux déchets seulement aux deux semaines. Ce serait une aberration inadmissible, cela fait partie primordiale des tâches d’une administration municipale: la circulation automobile et la gestion des feux; le déneigement l’hiver; la collecte des taxes et la délivrance de vignettes diverses; les services municipaux aux citoyens; la gestion de l’eau, et des travaux de voirie; et la collecte des déchets. À une certaine époque, celle-ci se faisait même deux fois par semaine.

Il est impératif d’agir rapidement et avec beaucoup plus d’efficacité. «Et il reste beaucoup de travail à faire», un constat que mène lucidement Glen Castanheira, PDG de Montréal centre-ville.

Sauf qu’il faut absolument faire preuve d’une meilleure efficacité stratégique, à tous les niveaux, tant pour la Ville de Montréal que les organismes économiques. On rappellera par exemple que la CCMM a reçu 14,5 millions $ depuis 2021 spécifiquement pour aider à la relance économique. Et ce n’est pas avec de beaux sourires ou l’érection d’un gigantesque anneau de métal de 2 M $, Place Ville-Marie, tout aussi spectaculaire soit-il, que l’on y parviendra. Il faut optimiser les solutions conventionnelles, tout en explorant de nouvelles pistes.

Les organismes économiques doivent se diffuser beaucoup plus, parler de leur programme se faire aussi connaître plus, tant auprès des commerçants que des citoyens montréalais. On doit faire de fortes campagnes de promotion publicitaire, et en parallèle faire la mise en valeur d’une vie de quartier attractive auprès des gens qui oeuvrent, travaillent et/ou même résident au centre-ville. La Ville doit aussi embarquer et redevenir une alliée plus efficace dans la création/promotion de projets rassembleurs, culturels ou autres.

On pourrait aussi penser à une campagne médiatique pour aider le domaine de la restauration, qui est en souffrance mais ce dont les restaurateurs sont euxmêmes en partie responsables, après avoir doublé et même triplé leurs tarifs au point de rendre prohibitive l’idée de manger au resto.

Car l’espoir est bien là et le potentiel, toujours entier. Même à Montréal plusieurs artères sont parvenues à bien tirer leurs épingles du jeu et singulièrement diminuer la désertion des locaux commerciaux, comme sur la rue Masson, la rue Fleury, l’avenue Mont-Royal, la rue Wellington ou au Vieux-Montréal.