Sylvain Vigier, Entrée libre, Sherbrooke, septembre 2023
C’était au mi-temps du mois d’aout. Nous n’étions encore pas trop éveillés, ni à l’affut des nouvelles, alanguies par les vacances qui se terminent et l’ambiance quasi tropicale de l’humidité estivale. Ainsi, au détour d’un point presse de rentrée parlementaire, le ministre québécois de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie ainsi que ministre responsable du Développement économique régional, M. Pierre Fitzgibbon, déclarait qu’il faudrait diminuer le parc automobile du Québec de 50% pour espérer atteindre la carboneutralité en 2050. Quoi ! ? Ai-je bien entendu ? Pierre Fitzgibbon ? Le ministre représentant le plus la dimension affairiste et probusiness du gouvernement Legault fait une déclaration publique sur une trajectoire décroissante de l’industrie automobile ? On se frotte les yeux et se gratte les oreilles pour s’assurer que nous ne sommes pas plongés profond dans un rêve. Non, nous ne rêvions pas, et le ministre confirmait et précisait ses propos deux jours plus tard : « Si on veut être cohérents et qu’on veut avoir une carboneutralité en 2050, il faut que les habitudes des consommateurs changent de façon importante ».
Cette déclaration a fait son effet, et ça ramait sec du côté du gouvernement pour remettre l’église au cœur du village. Le toujours courageux et volontaire ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, M. Benoit Charrette, tentait de minimiser la déclaration de son collègue à l’économie en disant en substance que oui il faudra bien réduire un jour, mais combien et quand, on a la vie pour s’en parler. Le premier ministre F. Legault ne pouvait non plus laisser mettre en doute sa volonté d’être le défenseur d’un certain art de vivre québécois, centré sur l’auto et les centres d’achats, après l’abandon du projet du 3e lien. Sa déclaration fut plus sournoise, ou candide, on hésite : « Pierre a lu beaucoup de rapports d’environnementalistes ». Utiliser « environnementalistes » en lieu et place de « environnementaux » en dit long sur l’idée que se fait le premier ministre de l’enjeu de la crise climatique. Ce choix de mot indique qu’un rapport qui présente les enjeux de la crise du climat, et remettrait potentiellement en cause le modèle de développement soutenu par F. Legault, est nécessairement un rapport orienté politiquement, un rapport écrit par des « environnementalistes ». Les auteurs et autrices de ces rapports sont très certainement des communistes ou des décroissants, mais certainement pas des scientifiques qui font part de leurs conclusions basées sur une analyse rationnelle, le plus souvent quantitative, des faits et données en dehors de toute idéologie.
Touché par la grâce un 15 août
Mais c’est aussi la raison du bruit de cette déclaration du ministre : qu’est donc arrivé cet été à Pierre Fitzgibbon pour faire une déclaration pareille et abandonner le consensuel déni et statu quo cher à son gouvernement ? Comme on dit avec l’accent chantant du sud de la France : quel pète au casque a-t-il eu ? Ce qui surprend, c’est qu’une personnalité qui ne cache pas sa vision capitaliste du monde, qui a fait sa carrière dans les affaires et la banque, partage si ouvertement et publiquement les vérités, voir les évidences, que nombre de dirigeants de son bord politique refusent de dire ou de voir. Ce genre de personne sachant toujours où se situe l’intérêt de son portefeuille, cela indique que le monde des affaires est en train de réaliser qu’un nouveau monde se profile. Qu’après avoir passé des décennies à bloquer les mesures d’évitement et d’adaptation aux nouvelles réalités climatiques et environnementales, le monde de l’argent comprend qu’il faut changer de stratégie et placer ses billes ailleurs. Fitzgibbon, en bon pragmatique, a tout simplement compris qu’il ne servait plus à rien de s’entêter dans un modèle qui ne rapportera pas les fruits de l’investissement à moyen et long terme.
Alors, merci Pierre pour cette déclaration qui a bien réveillé tout le monde à quelques jours de la rentrée. On regrettera simplement que lorsque ce discours est porté par des responsables politiques qui ne sont pas liées au monde de l’argent, la nouvelle ne soit pas prise au sérieux. Les médias auraient-ils tendance mieux relayer la voix du monde des affaires et de l’argent ? On s’interroge encore.