Photo © par Daniel Rancourt.

Quand les enfants ne chanteront plus…

Daniel Rancourt, Le Félix, Saint-Félix-de-Kinsey, septembre 2023

Entretien avec trois professeures de musique originaires de SaintFélix-de-Kingsey : Maryse Laroche, Julie Morin et Annie Provencher.

Veuillez prendre note que comme la majorité des enseignants sont des femmes, le féminin l’emporte et est utilisé dans ce texte pour désigner l’ensemble du corps professoral.

Les faits

Le phénomène est observé partout au Québec : dans les « régions », mais aussi dans les grands centres comme Québec et Montréal : la musique est de moins en moins enseignée. On ne veut plus de la musique dans nos écoles. Le gouvernement recommande une heure de cours d’une pratique artistique par semaine. Selon le programme du ministère de l’Éducation, on doit offrir de la formation en deux pratiques artistiques dans nos écoles : le cours d’arts plastiques, généralement donné par la professeure titulaire, et au choix, selon l’équipe école -formée des enseignantes et des membres de la direction : des cours d’art dramatique, de danse ou de musique. Ce choix, décidé chaque année scolaire, est par la suite entériné par le conseil d’établissement où les parents ont leur mot à dire. Ce qui fait, entre autres, que les postes de professeures de musique, ou de danse ou d’art dramatique, sont «éjectables» chaque année. «J’ai appris avec le temps qu’il n’y a rien de plus permanent que le provisoire», indique Maryse. Annie, Julie et Maryse ajoutent qu’il y a un manque de consultation des spécialistes en enseignement de la musique et que la musique est rarement prise en considération : « Pourtant, c’est prouvé et démontré, la musique fait une différence dans la lutte au décrochage scolaire ».

Même si elles ne sont plus à SaintFélix, les trois enseignantes ont à cœur la situation de leur village natal : « À SaintFélix, après le primaire, les enfants sont dirigés à l’école secondaire Jeanne-Mance à Drummondville où on n’offre pas de cours de musique. Il n’y a pas de continuité dans l’éducation! Pourtant le cégep de Drummondville est reconnu pour la formation en musique ! Que fait l’enfant qui a entrepris un parcours musical ? ».

On dit que c’est une question de transport scolaire. Et qui dit transport scolaire, dit décision monétaire.

« Aujourd’hui, si tu veux faire de la musique, étudier et développer tes aptitudes, il faut trouver un transport pour te déplacer à Drummondville et avoir les moyens de payer des cours privés. Qu’estce qu’on fait avec les enfants talentueux qui n’ont pas accès à la suite de leur formation en musique ? Comment ça se fait qu’il n’y a plus de musique dans nos écoles ? C’est quoi la politique culturelle dans nos centres de services scolaires ? » demandent-elles en chœur.

La musique

« On a besoin de la musique. La musique accompagne tous les rituels de la vie, les petits comme les grands. C’est un choix de société. Mettez de la musique partout. Tout le monde le dit : la musique adoucit les mœurs ! Ça calme tout le monde.

Les recherches le démontrent : la musique est une source de développement équilibré, tant intellectuel qu’émotif, stimulant les deux hémisphères du cerveau en même temps. C’est à la base du langage, un langage à part entière, comme le français et l’anglais. C’est un outil de communication, de socialisation, qui permet à l’âme de s’extérioriser », souligne Maryse Laroche.

En guise de démonstration, Julie Morin mentionne qu’elle a organisé un concert de fin d’année avec ses élèves âgés entre 6 et 13 ans : « Ils étaient une quarantaine d’élèves atteints du trouble du spectre de l’autisme (TSA) et ils ont réussi à jouer ensemble !… Wow !… Moi, je chante tout le temps : c’est un exutoire extraordinaire ».

« La musique est rassembleuse. J’ai pratiqué la guitare tout l’été avec mon grand-oncle George Comeau. Il a 87 ans ! Nous avons préparé quelques pièces country pour une messe spéciale en août. Veut, veut pas, la musique crée des liens intergénérationnels », relate Annie Provencher. « Moi, la musique m’a libérée. Libérée de la ferme où j’ai grandi, la musique m’a permis de voyager, de voir et visiter le monde, de rencontrer plein de gens de toutes les cultures », ajoute Maryse.

Et on sait que la mémoire musicale subsiste malgré la vieillesse, l’Alzheimer et la démence : il y a des personnes âgées qui ne parlent plus, qui ne reconnaissent plus personne, mais qui savent encore chanter et se souviennent des paroles des chansons.

Et Annie de rajouter : « Moi, à la suite de plusieurs décès dans mon entourage, la musique m’a empêché de sombrer… Ça m’a sauvé la tête ».

La musique à St-Félix

Toutes les trois ont chanté dans la chorale dominicale dirigée soit par Luc ou Jeanne Proulx, ou dans «le Chœur de chez nous» dirigé par le fils de Luc Proulx, Gilles, celui qu’on surnommait le « Gregory Charles de Saint-Félix», aujourd’hui chef d’orchestre des Voix du Chœur à Drummondville.

« À l’époque, rappellent-elles toutes les trois, les cours de musique étaient donnés partout, dans toutes les écoles. C’était aussi une tradition, que ce soit le piano, le violon ou le chant, qui se transmettait de génération en génération. On était allumées dès le primaire. Puis il y a la chorale de l’église, à la messe et lors des mariages, des funérailles. Il ne faut pas oublier qu’on a un orgue Casavant dans l’église à St-Félix (orgue qui a besoin d’être réparé). Et l’acoustique dans cette église : nous avons toujours aimé chanter là. Pas besoin de micro ! Et il y avait aussi des concours de chants, les événements comme la SaintJean-Baptiste, les soirées folkloriques à la salle communautaire en haut de la coop… «Même les vaches chantaient!» lance
Maryse Laroche.

Toutes les trois déplorent l’abandon des cours de musique à Saint-Félix : « Si les parents sont conscients que leurs enfants n’auront pas de cours de musique tout au long de leur parcours scolaire, car l’école secondaire de quartier est l’école secondaire Jeanne-Mance et qu’elle n’offre pas de cours de musique, c’est leur choix. Des enseignants de musique, il y en a. C’est une question de volonté… C’est aux parents d’y voir. Et de le signifier aux directions d’école ».

La musique à Saint-Félix-de-Kingsey
ON VEUT DES NOMS :

C’est sûr qu’on en oublie… Mais ces quelques noms viennent naturellement à la mémoire : • Maryse Fontaine • Christine-Sylvie Grondin • Odette Lebel • Sœur Lucienne dite sœur musicienne au couvent des Sœurs de l’Assomption de St-Félix • Micheline Vaillancourt, organiste depuis plus de 50 ans Et les familles Bernier, Bouchard, Leclerc, Mailhot, Proulx, Vachon… Bref… Toutes les familles de Saint-Félix ont de la musique dans le cœur !

Maryse Laroche

Maryse Laroche est une des filles de Lucie Croteau et Laurent Laroche. Études primaires à Saint-Félix, cégep de Drummondville puis l’UQAM où elle étudie avec Joseph Rouleau (célèbre chanteur lyrique québécois) et ensuite à l’Université Laval à Québec. C’est une multi-instrumentiste : guitare, piano, violon, ukulélé, banjo, etc. «Mon premier instrument de musique a été un harmonica rouge en forme de blé d’Inde, un objet promotionnel trouvé dans une poche de moulée de la coop». Elle enseigne la musique depuis 40 ans. Sa prédilection : le chant. En 1984, elle a été finaliste au Festival international de la chanson de Granby, et ce, malgré l’avis de ses parents! Maryse donne des cours de guitare à l’école Marconi de Drummondville et des cours de musique à une douzaine de groupes à l’école Roméo-Salois de Saint-Germainde-Grantham. Photo © par Daniel Rancourt.
Julie Morin

Annie Provencher

Annie Provencher est la fille de Pierrette Côté et René Provencher. Après ses études primaires à Saint-Félix et ses études secondaires à Drummondville, elle étudie au cégep de Drummondville en musique. Après une carrière de 18 ans comme technicienne en éducation spécialisée, elle retourne sur les bancs d’école et obtient, en 2019, son baccalauréat en musique à l’Université de Sherbrooke et son brevet d’enseignement, en 2021, à l’Université Laval. Elle enseigne présentement à l’école du Sentier à St-Charles-de-Drummond ainsi qu’à l’école Christ-Roi de Drummondville. «J’ai toujours baigné dans la musique. Quand j’étais petite, je me souviens que mon père en écoutait beaucoup. Je chantais également avec ma soeur Sylvie, aujourd’hui décédée. Elle avait une voix magnifique !… Et moi, je rêvais d’enseigner la musique». Photo © par Daniel Rancourt.

Julie Morin

Julie Morin, fille de Francine René et Denis Morin, a étudié à St-Félix, aux écoles secondaires Jeanne-Mance et MarieRivier où elle a pu poursuivre son parcours musical, puis au cégep de Drummondville et à l’UQAM. Elle a commencé à jouer du piano en 3e année, elle chante et joue de la flûte traversière. Elle enseigne depuis 18 ans. Julie est spécialiste des programmes particuliers (Académie Maestro où elle enseigne la flûte traversière et le chant choral) et des classes spéciales, des étudiants atteints du trouble du spectre de l’autisme (TSA), et elle agit comme mentore et répondante auprès des enseignantes de musique au Centre de services scolaire des Chênes. «Je me souviens avoir dirigé la chorale de St-Félix à l’âge de cinq ans !»