Mathieu Perchat, Le Mouton Noir, Rimouski, août 2023
Avec l’arrivée de la rentrée scolaire, l’élévation du cout de la vie cumulée à la crise du logement, autant de facteurs qui engendrent une fragilisation dans l’accès à l’alimentation.
En conséquence, les services d’aides alimentaires retrouvent une augmentation des demandes. Par exemple, Moisson Rimouski connait un ajout de de 30 à 40 familles par rapport à l’année dernière. Or, l’organisme ne dispose pas suffisamment de ressource alimentaire pour subvenir au besoin de ces familles.
Le but de cet article est de présenter les raisons de ces enjeux alimentaires qui vont au-delà des causes, qui ne sont en réalité que des symptômes mettant au jour des vulnérabilités systémiques et multifactorielles.
Des causes systémiques de la précarité
Les enjeux alimentaires actuels proviennent des transformations que l’agriculture a vécues durant ce dernier siècle, comme la spécialisation, la standardisation et la mondialisation. Ces transformations ont renforcé les territoires agricoles déjà très productifs, mais ont eu l’effet inverse pour les territoires les moins productifs, qui se sont sérieusement affaiblies, au point de disparaitre pour certains. Une perte d’autonomie alimentaire de ces territoires est alors à déplorer (Élie-Leonard, Doyon, 2022).
Depuis les années 90, un intérêt nouveau sur notre manière de cultiver a été motivé par la dégradation de l’environnement et les problèmes de nos systèmes alimentaires, qui sont causés par la provenance et les modalités de production. De ces réflexions sont nés les mouvements d’alimentation de proximité, comme la création de marchés publics ou encore de petites productions maraîchères locales et biologiques (Élie-Leonard, Doyon, 2022).
Est-ce que la précarité alimentaire ne pourrait-elle pas être limitée par les petites productions locales, prenant une autre voie que la production actuelle qui rend possible cette précarité ?
La sécurité alimentaire
Pendant longtemps, la disponibilité et la production se pensaient comme les solutions face à la précarité alimentaire. Or, un chercheur en 1981 a démontré que des famines pouvaient survenir sans que la quantité de nourriture disponible diminue sur un territoire donné. Ses travaux ont mis en avant que l’impossibilité de se nourrir provenait principalement de facteurs sociaux, comme la pauvreté. La précarité alimentaire s’affilie bien plus à une situation qu’à une donnée quantitative.
C’est pourquoi il est possible d’identifier quatre piliers qui assurent une sécurité alimentaire : la disponibilité, l’accessibilité économique et physique, l’utilisation et la stabilité (Élie-Leonard, Doyon, 2022). Chacun d’eux doit être satisfait pour construire une sécurité alimentaire.
Le premier pilier correspond à l’offre alimentaire disponible dans un territoire donné. La qualité comme la quantité, ou encore leur abordabilité sont inclus. C’est pourquoi certains lieux peuvent être qualifiés de déserts alimentaires en raison de la difficulté à se procurer des produits frais.
Le second pilier correspond à l’accessibilité économique et physique. Une accessibilité économique suggère que la nourriture est en correspondance avec le revenu des personnes. Quant à l’accessibilité physique, ce sont les infrastructures, la distribution, l’approvisionnement ainsi que leur disponibilité dans des contextes non marchands (solidarité) qui sont désignés. Tout comme la distance à parcourir, le temps de transport à réaliser pour se procurer la nourriture.
Le troisième pilier correspond à l’utilisation réfère aux « bonnes pratiques de soins et d’alimentation, de préparation des aliments, de diversité du régime alimentaire, et de distribution des aliments à l’intérieur du ménage, et à la valeur nutritionnelle » (Élie-Leonard, Doyon, 2022).
Quant au quatrième pilier, il désigne la stabilité dans le temps des trois autres piliers.
Si l’un de ces piliers vient à défaillir, une insécurité alimentaire se profilera, entrainant une précarité alimentaire lorsqu’un choc, une crise ou une exposition surviendrait.
Ainsi, on constate que la précarité alimentaire dépasse le domaine de l’alimentation. Elle provient d’une multitude de causes en relation, comme tout phénomène sociologique, ce qui complique les actions à mettre en place.
Ce que ces quatre piliers nous permettent de dire, c’est que pour prévenir la précarité alimentaire, il faut veiller à leur maintien en diminuant les risques d’exposition des populations, et « augmenter les capacités des populations de faire face au problème » (Élie-Leonard, Doyon, 2022). Et ces mesures ne peuvent être mises en œuvre que par un groupe social ou un individu ayant pour but l’atténuation des risques de faiblesses des piliers.
Conclusion
Seulement, il existe des mesures plus simples à mettre en place : la question de la précarité alimentaire ne joue pas uniquement dans les questions politiques, elle se joue aussi à travers des dynamiques et des modèles de développement local. Par exemple, « les initiatives agricoles locales participent à la sécurisation alimentaire en augmentant la disponibilité, en accroissant l’accessibilité économique et physique ainsi qu’en améliorant la fraîcheur des aliments ». Bien entendu, ces initiatives ont une influence limitée sur la précarité alimentaire, car elle ne réponde qu’à certains piliers. Mais aussi par les limites inhérentes à ce mode de production. Par exemple, les capacités de stockages ou de productions en raison d’une limitation dans le financement.
« La vulnérabilité de certains pans de la population s’ancre dans d’autres éléments du contexte territorial, notamment le manque de logements abordables, les difficultés économiques et les coûts associés à l’éloignement. Ainsi, il apparait que des stratégies non-alimentaires doivent également être mises en place afin d’assurer la sécurité alimentaire des populations des régions rurales périphériques » (Élie-Leonard, Doyon, 2022).
Sources
https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2001934/banque-alimentaire-collation-epicerie-inflation
Sèze, Benjamin. « La lutte contre la précarité alimentaire », Études, no. 2, 2022, pp. 43-54.
Jessica Élie-Leonard et Mélanie Doyon. « Une initiative agricole locale en appui à la sécurisation alimentaire ; le cas de “Cultiver pour nourrir” dans la Municipalité régionale de comté d’Antoine-Labelle (Québec) », Norois, vol. 262, no. 1, 2022, pp. 31-48.