Comment tuer un centre-ville : le cas de Sherbrooke

Denis Pellerin, Entrée libre, Sherbrooke, mai 2023

Les centres-villes sont des centres d’achats. Le verbe « étaient » serait plus juste. Dans toutes les villes, la venue des (véritables) centres d’achats, le plus souvent en banlieue, est venue les concurrencer. Celui de Sherbrooke n’y fait pas exception.

Même que sa position, coincée entre une rivière et une falaise, allait rendre difficile sa transformation pour répondre à cette nouvelle concurrence. On peut difficilement approvisionner les grands magasins, épiceries, pharmacies et autres avec des remorques de 53 pieds et y transporter les marchandises « à bras » à partir de la rue. Et ce sont ces « grandes surfaces » qui attirent la clientèle. Une transformation était donc nécessaire.

UN CENTRE-VILLE EST COMME UNE ŒUVRE D’ART COLLECTIVE

En ce sens, chaque propriétaire y met sa touche personnelle par un immeuble de bon goût. Ou pas. Et en prend soin. Ou pas.

Comme une œuvre d’art à restaurer, il faut s’assurer que les changements qu’on y fait soient réversibles. Des fois qu’on se tromperait. Des fois qu’on changerait d’avis.

Faute de pouvoir faciliter l’approvisionnement, on y est allé pour (ce qui semblait) le pratico-pratique : les marquises des années 70. Pour que les clients puissent magasiner à l’abri des intempéries. Comme au centre d’achats. Jugées laides et difficiles d’entretien (enlever la neige et les fientes de pigeons), après 20 ans, une fois l’emprunt remboursé, on les a enlevées. Vingt ans qui ont permis à bien des commerçants de vendre leurs immeubles du centre-ville pour s’installer… dans les centres d’achats. Ironie.

COMME LA FENÊTRE D’OVERTON

Il y a eu de petits changements aussi. Insidieux. Souvent passés inaperçus. L’un après l’autre. Mais qui au total ont rendu notre centre-ville moins attrayant.

Les policiers à pied entre autres. Une présence rassurante, qui pouvaient maintenir l’ordre et donner des indications aux passants, pas seulement des contraventions.

Les balayeurs de trottoirs. D’autres villes les utilisent encore plutôt que les balais mécaniques qui ne « vont pas dans les coins » et ne font souvent que soulever la poussière qui se dépose ailleurs. (Le summum étant ces commerçants qui engagent des gens munis de balais rotatifs et de souffleurs à feuilles à essence pour envoyer la poussière… chez les voisins.) Le centre-ville par une journée de grand vent est une séance de dermabrasion du visage.

Autre changement imperceptible : la décrépitude. Des stationnements à étages d’abord (l’a-t-on assez dit dernièrement ?), je n’y reviendrai pas. Les façades des immeubles sont sales. Les immeubles en pierre grise surtout. Et en crépit. Et la brique. Quand la dernière fois a-t-on vu le nettoyage d’une seule façade ? Et les plantes sauvages qui poussent entre les façades et le trottoir. De la grande bardane, du plantain, de l’herbe à poux… coin King/Wellington. Devant l’immeuble de la Chambre de commerce. Entre autres.

ET DES CHOIX MALHEUREUX

L’abolition de l’heure gratuite de stationnement il y a une douzaine d’années constitue peut-être le coup de grâce. Coïncidant avec une hausse de tarifs et le remplacement des horodateurs par des bornes de paiement (qui gelaient l’hiver et ne permettaient pas de ramener l’heure gratuite), les recettes des stationnements ont chuté drastiquement. Inexorablement.

Par la suite, comme pour ajouter l’insulte à l’injure, on a confié la gestion des stationnements à des firmes de gardiennages plutôt qu’à nos policiers (et policières surnommées un temps «  souris vertes  ») qui, avec des appareils modernes, pouvaient détecter d’avance les voitures dont le stationnement était sur le point d’expirer. L’efficacité. Rien de tel qu’un·e client·e qui se dit « Plus jamais » !

Je ne me rappelle pas en quelle année on a arrêté le transport en commun sur Wellington Nord. Pour être équitables envers les automobilistes ? On sait que la première qualité d’un usager de la STS est d’être un bon marcheur.

La place des cyclistes au centre-ville ? Les voies du centre-ville, comme celles de Dieu, sont impénétrables pour les vélos. Point.

FAIRE REVIVRE LE CENTRE-VILLE ?

Maintenant qu’on a fait fuir la clientèle avec des horodateurs souvent en panne, du mobilier urbain rouillé et sale, l’absence de stationnements en nombre suffisant près des destinations, de même pour le transport en commun, les pistes cyclables, des contraventions et tutti quanti, que doit-on faire ?

Une rue piétonne ? Des tours à bureaux ? J’ai des doutes. Des gros doutes.

Assurons-nous au moins d’éviter les erreurs du passé : que les solutions retenues soient réversibles.