Alexis Bataillé, Échos Monréal, avril 2023
Daniel Crespo Villarreal, un avocat en droit du logement, affirme qu’il y a un manque de ressources et de volonté pour faire respecter les lois et les règlements qui sont supposés garantir le bien-être des locataires alors que la Mairesse de Montréal, Valérie Plante assure que la Ville et la Régie du bâtiment du Québec sont en plein blitz d’inspections après l’incendie du Vieux-Montréal qui a fait 7 victimes.
Durant les semaines qui ont suivi la tragédie du 16 mars, plusieurs révélations ont exposé la défaillance des systèmes d’inspections municipales et provinciales en matière de logement. Un rapport du Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ) avançait que 79% des 29482 annonces sur Airbnb en février étaient illégales. D’après eux, 23245 des locations offertes n’avaient pas la certification requise, incluant celles qui ont brûlé. En fait 79% pourraient être une estimation conservatrice, créer une fausse certification ne prendrait seulement que cinq minutes d’après Le Devoir, qui affirme que la pratique serait répandue. Emile-Haim Benamor, le propriétaire du bâtiment qui a pris feu possède plusieurs autres bâtisses, dont une où des chambres louées sur Airbnb n’ont pas de gicleurs et de fausses fenêtres, ce qui est considéré comme dangereux par les experts si on se fie au reportage du Journal de Montréal.
Peu d’espoir envers Québec
L’édifice qui s’est embrasé le 16 mars dernier ne transgressait pas que les lois du Québec parce qu’il n’avait pas la certification nécessaire, mais aussi celles de la municipalité parce qu’il se trouvait dans le Vieux-Montréal, quartier où ce type de location touristique est interdite par la Ville de Montréal. Pour cette raison, la Ministre du Tourisme, Caroline Proulx, a initialement déclaré que c’était la responsabilité des municipalités de faire enquête pour ce type d’infractions. Son cabinet l’a contredite le jour même affirmant que c’était plutôt le rôle des inspecteurs de Revenu Québec.
Madame Proulx s’est engagée à revoir la législation sur l’hébergement touristique: «S’il y a des infractions, si le numéro d’enregistrement n’est pas affiché sur les plateformes, il y aura des amendes, non seulement à la plateforme, mais également aux locateurs ». Malgré ces affirmations, Me Crespo Villarreal doute que la situation va « réellement changer avec ce gouvernement-là. »
Airbnb : un symptôme de la financiarisation qui aggrave la crise
Pour l’avocat, le problème central avec la propagation de Airbnb c’est la financiarisation du parc immobilier: «Si on le voit comme un investissement on va vouloir que ça soit le plus rentable possible, si la location à court terme est plus rentable, c’est ça que les gens vont faire et si c’est plus rentable de le faire dans l’illégalité, encore une fois, c’est ce que les gens vont faire». Dans le rapport du RCLALQ, on apprend que les investissements boursiers ont un moins bon rendement que les investissements dans les quartiers centraux de Montréal.
À Montréal et à Québec, dans plusieurs quartiers résidentiels la proportion de logements locatifs loués sur Airbnb accote ou même dépasse légèrement la barre des 3% qui est considérée comme étant le taux d’inoccupation dit sain. C’est notamment le cas du Plateau, de la Petite-Bourgogne, de Sainte-Émile et de SaintRoch. La situation s’intensifie lorsqu’on se rapproche du centre-ville de Montréal. Dans Peter McGill, on dépasse les 4% et dans le Vieux-Montréal où, comme mentionné précédemment, le type de location offert sur Airbnb est illégal, la proportion des logements locatifs loués sur la plateforme dépasse les 10%. Ces chiffres ont été collectés en février, soit la saison morte du tourisme, d’après la RCLALQ il s’agirait probablement d’un portrait conservateur de la situation.
Quand les règles encouragent l’illégalité
Pour le RCLALQ la réglementation actuelle, qui serait «opaque», encouragerait l’illégalité: « les logements certifiés ne sont pas inspectés, aucun plan d’entretien des logements n’est exigé et le partage des compétences entre le gouvernement provincial et les municipalités est loin d’être clair. » La certification d’un hébergement touristique coûte 145$ par année en droits payables en plus d’exposer le locateur à des taxes et des impôts. Pour le Rassemblement, le peu d’inspections, résultat d’un système qui fonctionne par dénonciation, rend très facile et même rentable l’illégalité chez les propriétaires.
Quelle protection des locataires dans le marché traditionnel ?
Dans le marché locatif traditionnel aussi les règles qui sont faites pour garantir aux locataires une habitation salubre et sécuritaire sont bafouées, même si la législation semble moins opaque, on peut douter de la capacité des autorités à punir les contrevenants.
La Ville de Montréal a donné sept amendes au propriétaire des immeubles situés aux 4524, 4530, 4540 et 4550 sur la rue Brébeuf. Au total, ces contraventions représentent une somme punitive de 5950$, qui à première vue peut sembler considérable. Il faut toutefois noter qu’il existe un avis de détérioration pour chacune de ces quatre bâtisses et que combinés, il y aurait plus de 1000 travaux à faire pour que ses immeubles correspondent aux normes de sécurité et de salubrité de la Ville.
La nature de ces travaux est variée, on peut lire dans les avis de détérioration que, par exemple, il faudrait consolider la toilette parce qu’elle est branlante, réparer le câblage électrique qui est non sécuritaire et, à cause des « indices forts de croissance microbienne», il faut procéder aux travaux de décontamination selon les protocoles établis en la matière.
De plus, les quatre bâtisses ensemble représentent environ cent logements. Le 6000$ qu’il doit payer en amendes n’est qu’une petite fraction de la centaine de loyers qu’il collecte mensuellement à ses locataires, qui doivent vivre avec une toilette chambranlante, de la moisissure ou encore des fils électriques dangereux.
Au TAL sous l’épée de Damoclès
Faire valoir les droits des locataires devant le tribunal administratif du logement serait aussi une tâche difficile d’après Me Crespo Villarreal. Si à l’époque de sa création il y avait l’objectif de combattre les effets néfastes du rapport de pouvoir entre les locataires et les propriétaires, aujourd’hui les locataires qui font des démarches au TAL opèrent avec l’épée de Damoclès au-dessus de leurs têtes.» D’abord, ils sont «par définition» désavantagés en termes de ressources, étant presque toujours moins fortunés que leurs propriétaires, les locataires peuvent attendre des semaines avant de pouvoir entrer en contact avec de l’aide juridique alors que les propriétaires peuvent juste se payer de bons avocats. Aussi, les noms des personnes impliquées dans les poursuites du TAL sont accessibles au public. Donc même en ayant gain de cause, un locataire qui poursuit son propriétaire risque d’avoir de la difficulté à en trouver un nouveau.