Un quartier en perdition

Vincent Di Candido, Échos Montréal, mars 2023

Montréal, ville cosmopolite qui est le centre attractif majeur de tous les Québécois, Montréalais et visiteurs internationaux, semble vouloir malheureusement se transformer en ville-dortoir, si on en juge par la surabondance de chantiers qui l’enlaidissent et son manque de cohésion commerciale.

Il est devenu bien difficile d’éprouver du plaisir à se promener dans la métropole à travers le dédale des travaux tous azimuts qui causent non seulement énormément de frustration pour les automobilistes et les livreurs, mais qui font également le désespoir des marchands, avec un nombre record de commerces ayant tout simplement fermé leurs portes, en l’absence de clientèle.

Il faut comprendre que beaucoup de clients – outre la désolante mainmise monopolistique des Amazon, Alibaba, eBay et autres grands conglomérats du magasinage en ligne – ont choisi au fil des dernières années de délaisser des artères commerciales de moins en moins attractives pour aller plutôt en des lieux offrant une plus grande variété commerciale et le stationnement gratuit, comme certains centres commerciaux, bien qu’ils soient plusieurs parmi ceux-ci à souffrir également d’une désaffection des consommateurs.

C’est un constat que l’on a pu faire en plusieurs secteurs, que ce soit dans le Plateau sur l’avenue Mont-Royal, ainsi qu’à divers endroits du centre-ville, où la Covid, qui a pu servir d’excuse et camoufler la situation pendant un temps, ne peut plus servir d’argumentaire. Bien que les choses soient moins alarmantes cela dit dans l’Ouest et que le cœur commercial de la ville y batte encore avec dynamisme, offrant une mixité plus forte parmi plusieurs centres d’achat tels que le Centre Eaton, le Complexe Desjardins, la Place Ville-Marie; et des grandes bannières comme Ogilvy’s-Holt Renfrew, La Baie, Sports Experts et Uniklo.

Nulle part cependant la situation n’est-elle plus évidente que sur la rue Ste-Catherine, à l’Est du boulevard St-Laurent. Il suffit d’y déambuler pour réaliser que l’offre commerciale s’y est appauvrie considérablement, alors le phénomène d’itinérance y est plus important que jamais, avec une présence accrue de sans-abris et de drogue, ce qui n’a rien de charmant ou de rassurant, ni pour les visiteurs ou pour les commerçants, et encore moins pour les résidents qui ont fait entendre leurs voix récemment pour exprimer leur ras-le-bol et de cette constante décrépitude. Plusieurs résidents ont également exprimé leur préoccupation à propos de l’ajout d’un nouveau centre sociocommunautaire d’hébergement pour les Autochtones, sur la rue St-Hubert dans le Village, la Maison Ahkwà:tsire, où près de 25 personnes pourront trouver refuge, ce qui est certes louable, mais les résidents craignant que cela n’emmène en parallèle davantage de présence itinérante dans le quartier.

Cette hécatombe urbaine se transpose d’ailleurs plus spécifiquement dans le Village, entre la place Émilie-Gamelin et la rue Papineau. Cela est particulièrement désolant quand on se rappelle un passé pas si lointain où ce secteur névralgique était une des fiertés de Montréal, avec ses salles de spectacles, de cinéma et de divertissements ; l’abondance de bons restaurants ; son ambiance certes toujours un peu éclectique et colorée, mais néanmoins beaucoup plus familiale et sécuritaire. C’était un lieu privilégié des Montréalais où la culture, le commerce et tourisme se côtoyaient avec harmonie.

Après la fermeture du mythique magasin Dupuis & Frères, spécialisé en chapellerie élégante, on ne pourra désormais que se souvenir avec nostalgie d’une tout aussi emblématique adresse, celle du magasin Archambault, qui a fait les beaux jours des mélomanes, et autres amoureux de la littérature et du cinéma, avec ses trois étages remplis de DVD, de livres et de trésors musicaux. Ce sont chaque mois des milliers de visiteurs qui venaient y faire leurs emplettes ou simplement flâner, au hasard d’un après-midi, contribuant par ricochet au rayonnement des autres commerces de proximité, comme tout juste à côté le légendaire restaurant Da Giovanni, où les passants pouvaient s’arrêter devant les vitrines pour observer, l’eau à la bouche, les cuisiniers composant les délicieuses sauces, pâtes et boulettes de viande qui depuis 1954 ont fait la réputation de cette escale gourmande.

Bien sûr le monde a changé. L’avènement du tout-en-ligne a exacerbé les effets d’une pandémie prolongée qui n’a évidemment pas aidé elle non plus. Mais il faut quand même souligner que la situation a été aussi largement empirée par les tergiversations internes et les jeux de coulisse politiques des principaux acteurs paramunicipaux du secteur, dont notamment les guerres intestines au sein de la SDC du Village, qui souffre en outre depuis beaucoup trop longtemps d’une fâcheuse tendance à s’isoler. En effet, plutôt que de s’ouvrir sur l’extérieur et de s’annoncer à la population montréalaise en général, le Village préfère hélas s’enliser et s’auto-enclaver au sein de sa propre identité ghettoïsée.

Et c’est vraiment dommage. Ce quartier a le potentiel d’être magnifique, vivant, attractif et plaisant pour ses résidents et visiteurs, tout autant que rentable pour ses marchands. Et il mériterait d’être revampé efficacement. Mais pour cela, il faudrait qu’y cessent les guerres d’egos et la propension à se replier sur soi-même.