Un homme hors du commun

Christian Proulx, Au Fil de la Boyer,
Saint-Charles-de-Bellechasse, Février 2023

À Saint-Charles, tout le monde ou presque connait le Dr Jean Falardeau. Mais pour plusieurs, l’homme, lui, l’est peut-être moins. Nous l’avons rencontré pour vous.

Jean Falardeau est originaire de Saint-Romuald dans le quartier que l’on connaissait à l’époque sous le nom de « Chaudière-Bassin ». Il y a fait ses études primaires et la première partie de son secondaire au Juvénat de Saint-Romuald. À la suite de la disparition du cours classique, il les a poursuivies au Collège de Lévis jusqu’à la fin du collégial.

De son propre aveu, Jean a décidé dès le début de son adolescence de devenir médecin. Déjà tout jeune, il aimait rendre service à tout un chacun, «je partais à la course pour le faire ». C’était pour lui une grande joie et en même temps une valorisation personnelle très importante. « J’étais heureux ». Donc, après réflexion, quelle profession peut te permettre de réaliser ça ? Selon lui, c’est la médecine pour la relation d’aide.

Finalement, un seul choix possible pour lui, il risque le tout pour le tout et s’inscrit seulement à l’Université Laval, en médecine, bien sûr. Il est accepté avant même les premières minutes de son entrevue. Mais une fois gradué, il faut trouver un endroit où pratiquer.

Jean avait Bellechasse dans la peau depuis tout jeune. Sa grand-mère avait une résidence secondaire au lac Crève-Faim à Buckland en 1934. Plus tard, la famille a acquis une maison mobile qu’elle installa à cet endroit. « On y passait toutes les fins de semaine, été comme hiver, et toutes les vacances d’été. Saint-Romuald c’était plus pour les études.» Une fois diplômé, il faut trouver un endroit où pratiquer. Pour lui, il n’y a aucun doute possible, ce sera dans Bellechasse. Mais voilà, à cette époque, il y avait des médecins partout, Saint-Gervais, Saint-Michel, Saint-Vallier, Saint-Raphaël, même quatre ou cinq à Saint-Damien, etc.

Alors pourquoi Saint-Charles? Son frère Albert, pharmacien, était associé à l’époque avec JeanPierre Marquis. Ce dernier l’informa qu’il aimerait bien que Jean s’installe à Saint-Charles, il aurait un espace pour lui. Comme il connaissait le Dr Marc Létourneau, déjà actif ici, après lui en avoir parlé, il accepta la proposition. Il réussit à se loger sur la rue de la Gare, la première année et ensuite sur la rue Saint-Édouard une autre année avant de « se bâtir » sur la rue Patrice, avec un bureau à même la résidence.

Mais la concurrence étant forte, il fallait se créer une clientèle. Comment? En étant disponible en tout temps, d’où le choix d’une clinique sans rendez-vous. Au début, les patients ne se bousculaient pas. Jean avait du temps libre. Le jour et trois soirs par semaine à son bureau, dans l’édifice de la pharmacie, les autres soirs et la nuit à sa résidence. Il a même collaboré avec Télé-Médic avec chauffeur et véhicule d’urgence à Québec les fins de semaine. Il se rappelle quelques anecdotes comme un appel au Concorde pour traiter un « Magnat du pétrole », ou encore une réanimation cardiaque durant une messe sans interrompre le déroulement de la cérémonie. Cet évènement a fait la manchette du Soleil. C’était une autre époque, complètement hors-norme, mais tellement gratifiante.

Des visites à domicile, il en a fait énormément, longtemps, et même la nuit, jusqu’à il y a environ une dizaine d’années. « Ça prenait du temps, mais c’était payant au niveau médical, pas monétairement, c’était le même tarif qu’au bureau, mais on voyait l’environnement de la personne et ça aidait énormément à comprendre les problèmes de santé de la personne ».

Il se souvient d’une tempête où toutes les routes étaient fermées. Il reçut un appel à la maison pour un enfant très malade dans un rang. Comment faire pour se rendre là ? Il téléphona à Roger Beaudoin, de Servi Neige. Ils se rendirent à la résidence avec la charrue ne sachant pas s’ils étaient sur la route ou dans un fossé. Ils y sont finalement arrivés.

À un autre moment, un agent de la SQ, qu’il connaissait, lui téléphona en pleine nuit à propos d’un individu en crise barricadé dans sa maison. Bien que ce n’était pas un de ses patients, il lui demanda de servir de négociateur à la « Claude Poirier ». Jean s’est exécuté avec succès, il a désamorcé la situation. Le lendemain, l’homme est venu le consulter à son bureau pour une prise en charge.

À l’époque, les chirurgies mineures de toutes sortes, des réparations de plaies, des corps étrangers dans les yeux, etc., étaient pour lui, monnaie courante, à un point tel, qu’un jour un client lui a apporté « un certificat de médecine générale spécialité : Falardeau ». À cette période, ses clients pouvaient compter sur lui. Ils se rendaient à l’urgence uniquement pour des problèmes de santé importants et lorsque Jean leur recommandait de le faire. « La médecine, ça n’a pas d’heure ni de temps. Quand tu en as besoin, tu dois voir le médecin… ».

Alors sa stratégie de disponibilité en tout temps, ça a fonctionné? Oh que oui! Mais durant les années 1996-2000 des modifications importantes des règles de la pratique médicale et du système de santé, ajouté au départ de nombreux médecins dans Bellechasse, il est devenu l’un des médecins, sinon le seul, à avoir atteint le nombre de 4600 patients. Ce succès n’aurait jamais été possible sans l’aide de son épouse Françoise, infirmière, à la clinique durant plusieurs années. Malgré tout, la tâche devenait de plus en plus lourde.

C’est alors qu’il se mit à travailler, dans ses rares moments libres, à l’obtention du statut de GMF (Groupe de médecine familiale). L’objectif étant d’offrir à la clientèle des services professionnels diversifiés, infirmière travailleuse sociale, pharmacienne-conseil, personnel administratif, etc. Avant-gardiste, en 2012, il est l’instigateur du premier GMF de Bellechasse, en collaboration avec les Dres Michelle Berger et Linda Turmel de SainteClaire. Il a réussi à obtenir une dérogation pour obtenir ce statut en raison de leurs 9000 clients, même si les normes de l’époque exigeaient 9 médecins pour un tel nombre de patients. Il en était très fier.

Au fil des ans, constatant que Bellechasse manquait de médecins, il repartit en campagne de recrutement pour obtenir de nouveaux médecins cette fois. Un premier résultat est obtenu avec l’arrivée en août 2018 de la Dre Isabelle Tremblay Tanguay. Mais déjà, il en voulait plus.

Mais ce n’était pas possible sans avoir de locaux adéquats à leur offrir. Manon Ruel et Marie-Ève Genois, pharmaciennes propriétaires, sont embarquées dans le projet avec enthousiasme et ont mis en œuvre un agrandissement important de leurs locaux, ce qui, après moult tergiversations, fut inauguré en 2019. C’est ainsi qu’après huit ans d’efforts soutenus, il put accueillir deux nouvelles recrues, les Dres Noémie Goyette et Annie-Pier Lessard en août de la même année.

Et voilà qu’est arrivée la pandémie. Elle a chambardé toutes les habitudes des gens et les méthodes de pratiques en vigueur à la clinique. Cette période a été très éprouvante en termes de travail et pour sa santé, impossible de garder ce tempo longtemps. Et voilà que son associée, la Dre Michelle Berger de Sainte-Claire annonça sa retraite et la fermeture de sa clinique à Sainte-Claire à la suite du départ de la Dre Linda Turmel, ayant quitté pour la SAAQ (Société de l’assurance automobile du Québec). Mais il lui était impossible de dire non, même de recevoir des clients à 6 h du matin sans rendez-vous. Parfois il était plus malade lui-même que les patients qui venaient le consulter. Mais là, c’en est trop.

En janvier 2022, il annonça lui aussi son départ à la retraite pour la fin de l’année. Mouvement de panique, de nombreux clients se sont précipités pour régler tous leurs problèmes de santé, qui dans plusieurs cas traînaient depuis longtemps, d’un seul coup avant son départ. Les gens arrivaient avec leur liste de « d’épicerie ».

Sa plus grande fierté était d’avoir réussi à garder son modèle de fonctionnement, n’eût été la pandémie, presque jusqu’à la fin. Aujourd’hui, ce n’est plus comme ça, un rendez-vous, un problème… un autre problème, une autre une consultation.

Le statut du GMF actuel est en vigueur jusqu’au 31 mars 2023. Des décisions du ministère de la Santé sont attendues en avril prochain. Jean espère ardemment que le statut de GMF soit reconduit et que d’autres médecins se joignent à l’équipe dans un avenir prévisible.

Il précise que n’ayant plus aucun dossier médical sous forme papier, il lui est donc impossible de les remettre aux patients. Par contre, tous les professionnels de la santé ont un accès à tous les documents, rapports d’examens sur chacun d’eux. Chaque personne peut également consulter son dossier sur le site : « dossier santé Québec ».

Aujourd’hui, Jean n’a pas encore eu le temps de réfléchir à des projets précis. Il veut bien sûr, prendre un peu de repos, mais pas trop longtemps, « ça aussi c’est contre sa religion ». Mais il a confiance en la vie, elle l’a toujours amené là où il voulait être. Il veut prendre le temps de se réapproprier sa vie personnelle avec son épouse et sa famille. Ses trois enfants sont adultes et établis dans la région, Jean-François à Saint-Malachie, Marc-Antoine à Saint-Raphaël et Dre Sarah-Ann Falardeau, Chiropraticienne à Lévis. Il est également grand-père de sept petits-enfants dont il est très fier et avec lesquels il veut passer beaucoup de temps. Possiblement un petit voyage en vue et de l’activité physique en plein air, puisqu’il n’a pas pris de vacances depuis 5 ans.

Le Dr Falardeau tient à remercier sa clientèle de lui avoir fait confiance durant tant d’années. Il se dit choyé d’avoir été à Saint-Charles; « les citoyens m’ont carrément adopté, j’en suis très fier, j’ai eu une belle pratique avec des gens que j’adorais et que j’aurais voulu qu’ils puissent avoir un autre médecin rapidement à mon départ. Je vais vivre de mes souvenirs ». « J’ai particulièrement été surpris et j’ai beaucoup apprécié la journée du 29 décembre dernier où il m’a été possible de remercier personnellement bon nombre de citoyens.