Olivier Béland-Côté, Graffici, Gaspésie, Novembre 2022
GASPÉ | Merinov, vous connaissez, n’est-ce pas? Pourtant, bien que le nom de l’organisme résonne dans la région depuis plus d’une dizaine d’années, les tâches et les individus qui les accomplissent demeurent quelque peu méconnus. GRAFFICI est allé à la rencontre de l’un de ses chercheurs, Pierre-Olivier Morisset, pour qui le secteur des pêches et de l’aquaculture, au-delà de ses ressources traditionnelles, renferme une mer de possibilités.
« L’objectif principal de mon équipe est d’extraire la valeur maximale de ce qu’on peut ressortir de la mer ou d’un vivier, notamment des résidus marins », lance d’entrée de jeu le chercheur responsable du centre de fractionnement chez Merinov. Ces résidus marins, ce sont en fait les carapaces des crustacés, les carcasses des poissons, les algues ou les produits issus de procédés de cuisson en usine, par exemple. À la clé, ces matières parallèles, appelées coproduits, s’insèrent dans la fabrication de matériaux de toutes sortes : des croquettes pour les animaux aux aérogels isolants, en passant par des plastiques biodégradables.
L’alimentation humaine est elle aussi concernée, alors que l’exosquelette du homard ou de la crevette est mis à profit dans la confection d’ingrédients culinaires aromatiques. « Il y a plein d’options pour la valorisation des coproduits marins », expose le scientifique recruté par l’organisme au moment où il complète une maîtrise en ingénierie des bioprocédés à l’Université du Québec à Rimouski.
L’emplacement, un atout
Plus important centre intégré de recherche appliquée dans les domaines de la pêche, de l’aquaculture, de la transformation et de la valorisation des produits aquatiques au Canada, Merinov est ainsi associé au Cégep de la Gaspésie et des Îles via son centre collégial de transfert de technologie (CCTT), dont il gère les opérations. Ses activités se déroulent donc sur le terrain, en partenariat avec les industries du milieu. Cette présence in situ – l’organisme compte trois points de services, soit Gaspé, Grande-Rivière et Cap-aux-Meules – constitue un atout.
« Le but de l’équipe du centre de fractionnement, ce n’est pas de faire de la recherche fondamentale, c’est d’aider les entreprises à adopter des nouvelles technologies, à améliorer leurs pratiques et à réduire leur impact environnemental, indique Pierre-Olivier Morisset. La proximité avec les industriels est dans ce cas-ci plus importante que la proximité avec les centres de recherche universitaires. »
Ainsi, pour les entreprises concernées par cette valorisation de la mer, notamment les usines de transformation de la Gaspésie, des Îles-de-la-Madeleine et de la Côte-Nord, Merinov offre des solutions concrètes, via la recherche appliquée ou le transfert de technologie. « La recherche appliquée, c’est améliorer des procédés déjà existants ou adapter une technique à une réalité différente, explique le chercheur. Le transfert technologique, c’est de prendre une technologie en pratique dans une industrie et essayer de la transposer dans l’industrie dans laquelle on travaille.»
De la chitine au chitosane, la quête du Graal
Retour dans les laboratoires du secteur Bioressources et biotechnologies, qui accueillent l’équipe du centre de fractionnement. Afin d’en arriver à des applications concrètes, les coproduits marins doivent dans un premier temps être décortiqués (ici, au sens figuré) et ce dans le but d’en dévoiler leur composition chimique. Dans le cas de la carapace des crustacés, constituée essentiellement de protéines, de carbonate de calcium et de chitine, c’est ce dernier élément qui intéresse d’abord le chercheur.
« La chitine, c’est le polymère de la carapace, l’équivalent de la cellulose dans le bois », explique l’expert en biotechnologies marines et en extraction de biomolécules. Traitée en laboratoire, la chitine peut se décliner en chitosane à la suite de diverses manipulations. « C’est cette molécule précise qui a les propriétés les plus intéressantes, notamment sur le plan des antimicrobiens ou au niveau des aérogels, souligne le chercheur. C’est en quelque sorte le « Graal ». »
Bien que les « utilisateurs finaux » – les entreprises visant l’utilisation des molécules issues des coproduits – cherchent d’abord à acquérir du chitosane, d’autres formes, comme les chito-oligosaccharides (qui se résument à des petits blocs de chitosane) répondent à d’autres objectifs en plus d’être potentiellement plus faciles à obtenir. « Certaines entreprises les utilisent comme biostimulants, explique l’homme âgé de 32 ans. Ce ne sont donc pas des fertilisants, mais plutôt des molécules qui favorisent la croissance ou le développement de certaines défenses chez les plantes, pour mieux faire face aux stress que sont les sécheresses ou les champignons, par exemple.
Des coproduits québécois
Toutefois, comme le chitosane, les chitooligosaccharides découlant de la chitine des carapaces ne sont pas encore disponibles au Québec, ce qui oblige les entreprises à s’approvisionner à l’étranger. « La valorisation des coproduits des crustacés, c’est un sujet qu’on a traité beaucoup dans les dernières années et qu’on continue de traiter, en partenariat avec les usines, souligne le jeune chercheur. Notre objectif ultime serait que 100% des coproduits issus de la pêche des crustacés au Québec soit valorisé. »
Pour l’heure, une grande partie des milliers de tonnes de résidus émises par les usines de transformation québécoises bénéficie au milieu agricole, sous forme d’engrais. Le compostage est également une avenue possible. Par ailleurs, l’option des lieux d’enfouissement, où finissait une part significative des déchets marins, est progressivement abandonnée, notamment parce que le gouvernement du Québec vise l’objectif de ne plus enfouir de matières organiques dès cette année.
« Que ce soit par la production de chitine et de chitosane, la récupération de protéines pour l’alimentation animale ou la valorisation en tant que produit fertilisant ou biostimulant, la valorisation des coproduits marins peut se faire de différentes façons, renchérit le scientifique. Mais, il faut trouver les meilleures conditions pour que ça ait un sens pour les entreprises ‘‘émettrices’’ de ces déchets-là [les usines de transformation] et les entreprises ‘‘utilisatrices’’ en bout de parcours ».
Travail d’équipe
Originaire de Gatineau, Pierre-Olivier Morisset fait le choix de prendre pied à Gaspé en 2018. Certes, Merinov lui offre alors un poste de chercheur, mais l’attrait qu’exerce la région de par sa nature sauvage et ses montagnes enneigées pèse aussi dans la balance. « La Gaspésie a toujours été une option, voire un objectif », indique le passionné de ski alpin, notamment hors-piste.
L’été, celui qui attend un premier enfant avec sa conjointe, celle-ci native de New Richmond, pratique le rugby, un sport qu’il oeuvre à implanter dans l’Est du Québec. «Oui, je suis un gars d’hiver, mais je suis aussi un gars d’équipe», signale-t-il, faisant le parallèle entre la mise en commun des habiletés et des efforts sur le gazon, comme en laboratoire.